Une analyse des transitions hégémoniques

Avec ce texte nous abordons le second volet d’une trilogie consacrée au concept d’hégémonie en histoire globale, et  dont le premier texte a été publié la semaine dernière.

Comment passe-t-on d’une puissance hégémonique à une autre lors du déclin d’un système-monde ? Reprenant des remarques de Braudel, Arrighi [1994] observe d’abord que le système-monde moderne a clairement connu plusieurs phases d’une certaine « expansion financière », phases caractérisées par une importance accrue, accordée par les acteurs économiques, au capital financier par opposition au capital commercial ou au capital productif. Ainsi la « globalisation financière » actuelle, avec la recherche de retours sur investissement d’abord dans la sphère financière (recherche caractérisée notamment par la recherche institutionnalisée de gains spéculatifs en capital à court terme), serait proche de la période du « capital financier », à la fin du 19ème siècle, laquelle voyait les banques prendre le contrôle des entreprises productives et allait déboucher sur l’impérialisme et la recherche d’une valorisation à l’extérieur des pays dominants. Mais la parenté serait tout aussi étroite avec la période de retrait des Hollandais du grand commerce, autour de 1740, dans le but de devenir les banquiers de l’Europe. Cette parenté serait encore tout aussi évidente avec la diminution des activités commerciales des Génois, à partir de 1560, pour se consacrer eux aussi à une pure activité bancaire. Autrement dit, les phases d’expansion financière se répèteraient, à intervalles du reste de plus en plus courts, dans le système-monde moderne. Elles succèderaient à chaque fois à des phases d’expansion matérielle qui finiraient par s’épuiser…

Arrighi propose de théoriser ce mouvement en faisant référence au schéma de reproduction du capital proposé par Marx. Pour ce dernier, le mouvement même du capital se résumerait à la forme A-M-A’, dans laquelle un capital argent initial A, signifiant d’abord liquidité et donc liberté d’utilisation, choisirait de s’investir dans une combinaison productive, plus rigide, mais permettant de fabriquer une marchandise donnée M qui, une fois valorisée sur le marché, redonnerait un capital A’, en principe plus important et de nouveau libre d’être réinvesti. C’est évidemment en achetant, dans la combinaison productive, la force de travail, marchandise qui présente la particularité d’avoir une valeur moindre que celle que le travail crée (le prolétaire reçoit en salaire une somme qui lui permet d’acheter, pour sa subsistance, moins de travail d’autrui qu’il n’en a lui-même fourni) que l’augmentation, entre A et A’, est possible. Ce schéma fondamental de Marx donnait, très synthétiquement, la signification du rapport de production capitaliste et caractérisait à la fois la logique de tout investissement capitaliste particulier et celle du mode de production tout entier. Arrighi l’utilise ici, à vrai dire indûment, pour marquer que l’expansion matérielle coïncide résolument avec la phase A-M, tandis que l’expansion financière serait un retour généralisé de M vers A’. Ce n’est là pourtant qu’une allégorie « pédagogique », Marx ne voulant pas marquer, dans ce schéma, une succession de phases mais un mouvement logique permanent. Tout au plus peut-on dire que la phase d’expansion matérielle voit un réel enthousiasme des producteurs à transformer leur capital en combinaisons productives, la phase financière marquant une réticence à cette transformation et la recherche de gains spéculatifs dans le seul achat de titres.

Mais « ces périodes d’expansion financière ne seraient pas seulement l’expression de processus cycliques, propres au capitalisme historique, elles seraient également des périodes de réorganisation majeure du système-monde capitaliste – ce que nous appelons des transitions hégémoniques » [Arrighi et Silver, 2001, p.258]. Autrement dit, ces périodes où la finance prend une importance particulière témoigneraient d’une faiblesse toute nouvelle de la puissance hégémonique ancienne et annonceraient son prochain remplacement. Elles constitueraient le moment de repli, dans chaque cycle d’accumulation mené par un complexe spécifique d’organisations gouvernementales et privées, lequel conduirait le système capitaliste mondial, d’abord vers l’expansion productive, puis vers l’expansion financière, les deux moments constituant le cycle. Elles annonceraient l’imminence relative d’un tournant dans le « régime d’accumulation à l’échelle mondiale », à savoir le remplacement progressif d’un complexe d’organisations gouvernementales et privées par un autre.

Pourquoi passerait-on inéluctablement d’une phase d’expansion matérielle à une phase plus financière ? Arrighi invoque une baisse de rentabilité des fonds investis dans la production sans véritablement s’en expliquer, reprenant ainsi à son compte la thèse marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit, dont il a pourtant été démontré qu’elle n’avait rien d’inéluctable. En admettant cette explication, comment comprendre alors qu’un taux de profit plus élevé puisse être réalisé dans la sphère financière de l’économie, apparemment indépendamment de la production, désormais négligée ? A la suite de Pollin [1996], Arrighi suggère trois possibilités : une lutte entre les capitalistes qui se redistribueraient un profit désormais limité ou freiné dans sa croissance ; la capacité de la classe capitaliste, à travers les marchés financiers, à procéder à une redistribution du revenu en sa faveur et au détriment des autres classes ; la possibilité que les fonds soient transférés hors des lieux et secteurs les moins profitables pour être investis dans de nouveaux secteurs ou des économies en forte croissance. La première est évidemment limitée dans le temps mais, en créant un jeu à somme négative, cette concurrence féroce diminuerait encore les taux de rentabilité, précipitant un abandon, par les capitalistes, de la sphère productive et augmentant les fonds disponibles pour la sphère financière. La seconde forme verrait le jour lorsque la demande de fonds correspondrait à l’offre : c’est pour Arrighi la montée des dettes publiques, consécutive au ralentissement de la croissance, qui obligerait les Etats à se concurrencer pour obtenir les capitaux existants. Dans l’opération, les organisations contrôlant la mobilité de ces capitaux se trouveraient en position de force et verraient leur part du revenu augmenter, ce qui est véritablement d’actualité avec la crise grecque. Quant à la troisième possibilité, Arrighi montre qu’elle n’est qu’apparemment financière dans la mesure où elle signifie déjà que l’on passe à un autre cycle d’accumulation, basé sur un investissement productif et rentable en d’autres lieux et dans d’autres activités… Cela dit, le financement par les Vénitiens, au 16ème siècle, des investissements hollandais, celui par les Hollandais, au 18ème siècle, de l’expansion britannique, et enfin le soutien britannique aux Etats-Unis, à la fin du 19ème siècle, sont bien au cœur du sujet et marquent, à travers cette troisième forme de réalisation d’un profit, à la fois l’expansion financière et l’inéluctabilité du changement d’hégémon…

Sur ces bases, Arrighi et Silver [2001, p.265] développent une stimulante typologie des cycles d’accumulation en montrant que, des Génois du 16ème siècle aux Etats-Unis du 20ème, en passant par les Provinces-Unies du 17ème et la Grande-Bretagne du 19ème, les hégémonies se succèdent et se ressemblent mais aussi se complexifient. Par exemple, les Génois sont incapables d’assurer vraiment leur protection militaire face aux armées de l’époque, qu’elles soient turques, espagnoles ou même vénitiennes, et doivent acheter celle-ci aux Habsbourg. En revanche, les Provinces-Unies qui leur succèdent développent une force suffisante pour résister victorieusement au Saint-Empire. Mais il leur manque aussi, selon Arrighi et Silver, une capacité suffisante de production qui explique qu’ils aient, pour l’essentiel, commercialisé les produits d’autres peuples. Cet autre élément n’allait pas faire défaut à leurs successeurs, les Britanniques, pourvus à la fois d’une forte armée et d’une capacité productive inédite suite à la révolution industrielle… Continuant ce raisonnement, que manquait-il aux Britanniques ? Essentiellement un marché intérieur suffisant ! Ce dernier élément, leur successeur américain allait évidemment en disposer, ajoutant à la puissance militaire et à la capacité productive une sécurisation relative de ses débouchés. Autrement dit, on l’a compris, chaque hégémon aurait définitivement quelque chose de plus que son prédécesseur, gage évident de son succès.

Une autre évolution, non plus vers l’accroissement des « qualités » de l’hégémon, comme nous venons de le voir, mais un mouvement de balancement, affecterait les hégémons successifs. En clair, si Gênes, comme la Grande-Bretagne, étendent l’espace géographique des  échanges, déploient une stratégie en ce sens extensive, Provinces-Unies et Etats-Unis adoptent une attitude plus intensive, occupant les espaces ainsi dégagés par leurs prédécesseurs et tentant d’en rationaliser l’usage. Ces stratégies, extensive et intensive, sont respectivement associées à des structures organisationnelles dites « cosmopolites-impériales » (Gênes et Grande-Bretagne) et « nationales-entrepreneuriales » (Provinces-Unies et Etats-Unis). Les premières étendent l’envergure du système-monde, les secondes le rendent plus fonctionnel. Par ailleurs, plus les hégémons se renforcent, plus leur durée de vie apparaît faible, ce que les auteurs interprètent comme l’expression d’une contradiction majeure du capitalisme mondial.

Au-delà de cette caractérisation des hégémons, Arrighi et Silver montrent comment l’expansion financière, à la fois restaure provisoirement les forces de l’hégémon sur le déclin, tout en renforçant directement les contradictions qui le minent et sont vouées à l’emporter. Pour eux, l’hégémon déclinant, ou plutôt le complexe des organisations gouvernementales et privées qui en dépend, va utiliser sa position éminente pour capter les capitaux mobiles, plus nombreux du fait de la baisse de rentabilité des activités productives, et les recycler vers les activités et les lieux plus rémunérateurs. Il est clair qu’une telle intermédiation est de nature à rehausser le niveau des taux de profit dans l’économie hégémonique, du fait de l’importance nouvelle prise par ces activités financières, tout en dynamisant directement ses concurrentes éventuelles. A terme, le changement d’hégémon serait inéluctable, même si les bases de cette nouvelle prééminence sont tout aussi politiques qu’économiques [Arrighi, 1994, p.36-84].

Dans le troisième volet de cette trilogie, la semaine prochaine, nous nous efforcerons de concrétiser cette théorisation dont le repérage historique est assez clair et l’actualité tout à fait évidente…

ARRIGHI G. [1994], The Long Twentieth Century, Money, Power and the Origins of our Times, London, Verso.

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Catégories occidentales et structuration de l’histoire

Avec Le Vol de l’histoire [2006, édition française 2010], Jack Goody poursuit son attaque résolue contre un ensemble précis de représentations occidentales du passé et du présent. Le problème de ces représentations est qu’elles assimilent toujours une période historique particulière, au sens empirique d’un laps de temps déterminé, à une catégorie historique servant de paradigme. Ce n’est là à vrai dire que la marque de fabrique de tous les évolutionnismes pour lesquels l’histoire est « cassée » selon des ères, phases ou toutes autres périodisations absolues. Une part de cette critique faite par Goody est importante et proche de nos propres travaux. De fait, beaucoup de ce qui est considéré comme neuf en histoire apparaît finalement comme un mirage. Le capitalisme, la démocratie, la modernité ne sont nullement des inventions du 18e siècle et ces phénomènes ont été présents, sous une forme ou une autre, depuis plusieurs milliers d’années. Mais son livre est plus qu’une déconstruction de ces catégories. Il constitue une illustration de la critique plus générale de l’ethnocentrisme occidental et de ses effets, tant sur l’histoire que sur les identités propres à l’Ouest comme aux autres parties du monde. L’idée du caractère unique de l’Occident, quel qu’en puisse être le sens historique, est ici rejetée et les arguments particulièrement substantiels, contrairement à beaucoup de critiques post-coloniales vulgarisées de la soi-disant supériorité occidentale. Cependant, dans la mesure où il n’adopte aucune analyse systémique de l’ordre social, Goody glisse tendanciellement vers un examen au cas par cas de ces représentations particulières dans le but de les discréditer. Les enjeux deviennent alors de savoir si l’Europe peut faire valoir le phénomène X, Y ou Z comme son invention propre, que ce soit la démocratie, le capitalisme, la propriété privée ou l’amour… Ou bien si ces derniers ne sont que de simples répliques ou des importations en provenance de l’Orient (ce que Goody suggère) ou de quelque autre endroit du monde. Cela fait longtemps maintenant que cet auteur s’est engagé dans une démonstration de l’importance de l’Orient dans l’histoire occidentale et cet ouvrage peut être compris comme un pas réussi de plus dans cette entreprise plus large [Goody, 1990, 1996, 2003, 2004].

Bien sûr, cette sorte de critique n’est pas nouvelle, étant partie intégrante d’une attaque de longue haleine contre l’ethnocentrisme occidental. Elle trouve un parallèle dans l’œuvre d’Edward Saïd et dans l’essentiel de la littérature post-coloniale, travaux qui récusent toute spécificité occidentale à l’exception du fait impérialiste. Dès lors, si Shakespeare est bien africain, c’est-à-dire si la Grèce a tiré sa civilisation de l’Égypte et cette dernière de l’Afrique, nous sommes confrontés à une inversion particulièrement intéressante de l’idéologie occidentale qui dominait jusqu’alors. Pour le dire en termes simples, trop sans doute, nous sommes peut-être en train de passer de l’orientalisme à l’occidentalisme, c’est-à-dire à une critique culturelle généralisée de tout ce qui est associé à l’Occident. Ce qu’il y a de vrai dans cette critique, c’est évidemment que l’Occident n’est pas unique dans la mesure où tout est déjà arrivé autrefois et dans d’autres parties du monde. En ce sens, la grande différence entre l’œuvre de Goody et les études post-coloniales, c’est que la perspective de la première est plus historique que géographique. Elle ne constitue pas une publicité pour l’Autre mais une discussion de l’historicité longue de tout ce qui a été considéré comme relevant de la discontinuité du monde moderne. Et il serait possible d’aller plus loin dans ce débat… Pour constater, par exemple, que les unités de production mésopotamiennes de la fin du troisième millénaire et du deuxième n’étaient pas de simples ateliers, comme semble l’accepter Goody, mais relevaient du fonctionnement d’usines géantes avec des centaines, parfois des milliers de travailleurs. Une économie capitaliste existait véritablement dans le Moyen-Orient antique. Diakonoff [1972] et Gelb [1969] ont sans doute été parmi les premiers chercheurs à défendre l’idée, aujourd’hui acceptée, que la propriété privée était bien réelle dans l’antiquité mésopotamienne. Mais ce genre de fait a été traité comme relevant de la culture ou de la diffusion de cette dernière car il n’existait pas d’approche systémique de ces phénomènes. Et c’est pourquoi nous trouvons, dans toutes ces critiques, à la fois indignation morale à l’encontre des chercheurs occidentaux et pléthore de batailles relatives aux origines de tel ou tel phénomène culturel.

La critique que fait Goody à propos de Wallerstein constitue, en ce sens, un exemple intéressant. Ses arguments contre Wallerstein portent sur les présupposés a-historiques et presque évolutionnistes de ce dernier concernant l’essor occidental [1974, 2004, 2006] et nous serons d’accord là-dessus. Cependant, il faut noter que bien des historiens, et même l’inimitable A.G. Frank, ont émis des jugements très critiques à propos de cette rupture historique arbitraire qui situe l’origine du système-monde capitaliste au 15e siècle. Frank dit explicitement qu’il manque à Wallerstein une perspective historique de long terme, une approche articulant l’essor de l’Occident au déclin de l’Orient (ce qu’a fait plus concrètement Abu-Lughod [1989]), une vision de l’Occident comme ayant autrefois constitué une périphérie de l’Orient, laquelle lui fournissait des matières premières et des esclaves. Ces phénomènes sont aujourd’hui bien documentés, en tout cas pour la période précédant l’expansion européenne. Mais l’approche systémique que je défends ne verrait pas ces réalités comme relevant de la culture et de sa diffusion, ne les analyserait pas en termes de qui était le premier et le plus original… Au contraire, nous comprenons ces phénomènes comme relevant de processus très anciens d’ascension hégémonique puis de déclin. Critiquer Wallerstein pour son manque de perspective de long terme est donc intéressant, mais il existerait aussi d’autres débats que Goody n’aborde pas. Il ne s’attarde pas davantage sur l’analyse fondamentale de la dynamique des systèmes-monde réalisée par Wallerstein, peut-être parce qu’il est moins intéressé par cet aspect des choses. Pourtant, il me semble que Wallerstein a ici, comme toutes les analyses en termes de système global, beaucoup plus à offrir que Goody ne le croit. Ainsi Braudel [1979, 1985], autre fondateur de l’analyse systémique globale, était-il plus ouvert aux processus historiques de très longue durée et Maurice Lombard, qui fut son collègue, nous a donné un récit historique intéressant et fort de l’inversion des relations hégémoniques entre Moyen-Orient et Méditerranée, transfert qu’il analysait comme relevant de processus cycliques plus larges d’expansion et de contraction. Au fond, la critique argumentée de Goody contre les historiens raisonnant en termes de système-monde, Wallerstein au premier rang, consiste à repérer les obstacles eurocentriques qui tendent à couper l’Occident du reste du monde. Je suis en accord total avec lui là-dessus et j’ai présenté des arguments similaires depuis les années 1970 [Ekholm et Friedman, 1979]. Le capitalisme, sous une forme ou une autre, a été bien présent ici et là depuis l’âge du Bronze et il existe certainement une forte continuité des formes d’accumulation rencontrées depuis cette époque. Frank a formulé exactement la même affirmation dans plusieurs articles et ouvrages [Frank, 1998 ; Frank et Gills, 1993 ; Denemark et alii, 2000] et a représenté, dans le cadre des discussions au sein de plusieurs groupes sur les systèmes-monde historiques, une approche qui plaide pour l’existence d’un seul système-monde pour les cinq derniers millénaires. Il serait intéressant de voir comment Goody pourrait se situer dans ce type de débat. À l’évidence, une des implications de son argumentation serait que l’affirmation d’une continuité de long terme aboutit à discréditer le besoin du concept de capitalisme :

« La discussion de l’œuvre de Braudel nous amène donc à nous demander si nous avons vraiment besoin du concept de capitalisme, lequel semble toujours pousser l’analyse dans une direction eurocentrique » [Goody, 2006, p. 211].

Il suggère donc d’utiliser ce terme pour rendre compte, plus généralement, « d’une activité mercantile généralisée et des phénomènes qui l’accompagnent » [idem]. Mais Frank et d’autres [Ekholm et Friedman, 1979] ont défendu l’idée qu’il était important de maintenir la notion de capitalisme, avec sa logique spécifique, même s’il existe des sous-catégories ou des variantes (parfois très fortes) à l’intérieur de celle-ci. Tous les capitalismes se fondent sur le fait de transformer une richesse commerciale (qu’elle soit privée ou publique) en plus de richesse encore, et ce par à peu près tous les moyens possibles, avec cependant, parmi ceux-ci, une prédominance des transactions marchandes. En ce sens, les capitalismes industriel et financier ne constitueraient pas deux « espèces » à part, mais bien d’autres aspects ou variantes d’un seul et même système. Notre position sur la question du capitalisme sera donc à l’opposé de celle de Goody : c’est bien en assumant que le capitalisme est aussi vieux que les plus grandes civilisations que nous pouvons l’extirper de son contexte occidental habituel…

Goody critique aussi Elias et son « processus de civilisation » fondé sur le « désir de se distinguer » comme relevant d’un biais eurocentrique. Il existe certainement des biais dans le travail de la plupart des historiens qui sont situés au centre d’un ordre hégémonique, quel qu’il soit, et vivent ainsi au sein de son cadre de catégories. Mais il ne faudrait pas pour autant noyer dans cette critique les contributions analytiques les plus fondamentales de ces auteurs. Si bien que la critique d’Elias et de Wallerstein, pour importante qu’elle soit du point de vue de la géohistoire, passe à côté des mécanismes importants que ces auteurs ont analysés et qui sont pertinents pour une relativisation historique du type défendu par Goody. Et si nous abandonnons leurs contributions théoriques, nous n’avons plus alors devant nous qu’un « concours relatif aux origines » : qui a inventé quoi, qui fut le premier ? Dans une telle perspective, commerce, capital, structures symboliques et stratégies deviennent des éléments séparés que rien ne peut plus relier. Notre propre recherche nous a conduits à une compréhension bien différente de ces problèmes, même si la critique de tout « centrisme » y est aussi nécessairement  présente.

Les tendances à plus d’individualisme, à une gouvernance démocratique ou encore à la séparation de la religion et de l’État sont liées à l’essor commercial de cités-États, durant des périodes particulières qui sont elles-mêmes dépendantes du positionnement de ces cités dans l’espace global propre à leur contexte historique particulier. Si bien que la question de savoir si ces tendances sont nées en Europe n’est vraiment pas pertinente dans cette approche. Par contre, la question de la nature des mécanismes en jeu est absolument cruciale, pourquoi tel phénomène survient encore et encore, et non qui l’a créé… Ceci implique que toute domination est toujours de relativement courte durée et que de nouvelles puissances viennent remplacer les anciennes. Et qu’en accompagnement de l’émergence de ces hégémonies, des processus de civilisation, des catégorisations hiérarchisantes apparaissent pour caractériser l’espace environnant. Si bien que nous sommes d’accord avec Goody quand il critique l’absolutisation de la position eurocentrique, mais nous insistons aussi sur la nature systémique d’un phénomène qu’il ne s’agit pas de considérer comme une erreur intellectuelle ou un problème spécifiquement occidental. Et il serait tout à fait incongru d’affirmer que le biais propre à la puissance hégémonique constitue une erreur spécifiquement occidentale, tant l’histoire mondiale recèle de représentations biaisées de l’Autre en tout point semblables. La logique propre à l’argument anti-eurocentrique, dans notre approche, doit donc être généralisée et reconfigurée afin de pouvoir s’appliquer à tous les ordres hégémoniques semblables. Cette démarche constituerait un usage plus cohérent du type de critique qu’offre Goody.

L’image qui se dégage ainsi de cette discussion est que, non seulement l’histoire se répète, mais encore elle se répète en d’autres parties du monde et au cours d’ères différentes. Bien sûr, les thèmes communs à tant de civilisations ne sont pas apparus sur un mode identique mais comme des variations liées à des trajectoires historiques particulières. C’est pourquoi je rejoins d’emblée Jack Goody sur cette position fondamentale et approuve sa prudence afin de ne pas tomber dans les positions nettement plus occidentalistes que charrie facilement la critique de l’eurocentrisme. De fait, notre propre anthropologie « systémique globale » a commencé par une position critique de ce type [Ekholm, 1976 et 1980 ; Ekholm et Friedman, 1980], plus précisément par un questionnement des hypothèses de l’idéologie évolutionniste en anthropologie, lesquelles s’apparentent à une excroissance des classifications coloniales du monde. Ces catégorisations évolutionnistes et fonctionnalistes du monde étaient fondées sur une transformation de registres spatiaux en registres temporels : ce qui était constaté comme  « présent ailleurs » devenait quelque chose qui avait aussi été « arriéré autrefois ». Cette transformation impliquait une réorganisation temporelle des catégories propres à la domination impériale. Les tribus et chefferies traditionnelles, les sociétés primitives étaient comprises comme des stades antérieurs du monde de la civilisation moderne et leur contemporanéité était bien la preuve qu’il s’agissait là de résidus d’ères antérieures. De cette façon, le monde était déjà construit en des termes précis avant que le chercheur de terrain occidental arrive. Mais, nous avons déjà insisté là-dessus, de telles classifications n’étaient pas des erreurs occidentales mais des structures de la domination impériale et relèvent des typologies que les ordres impériaux génèrent en tout temps. Si bien qu’on devrait ajouter à la critique faite par Goody que le « vol occidental de l’histoire » est aussi une représentation erronée dans la mesure où il est précisément vu comme exclusivement occidental. Toutes les civilisations impériales – et toutes les civilisations sont impériales – participent de réécritures similaires du passé et du présent. Cet argument affaiblit l’affirmation post-coloniale selon laquelle la faute en revient à l’Ouest et à lui seul. Au contraire, la faute est beaucoup plus générale et même une caractéristique universelle de toute loi impériale.

Ce texte est la première partie d’un article intitulé « Occidentalism and the Categories of Hegemonic Rule » et paru initialement dans la revue « Theory, Culture and Society » (vol. 26 – 7,8 – 2009). Traduction de Philippe Norel. La seconde partie de ce texte paraîtra la semaine prochaine.

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Le 20e siècle au miroir de l’histoire globale

Le siècle qui s’est terminé en l’an 2000 nous apparaît spontanément comme un siècle de progrès économique, certes plein d’hésitations dans l’entre-deux guerres, mais débouchant finalement, dans sa seconde moitié, sur une phase longue de croissance forte puis acceptable, des innovations techniques spectaculaires et institutionnalisées, une réelle consommation de masse dans les pays occidentaux, des compromis sociaux durables malgré les remises en cause récentes dues à la globalisation. Cette image lénifiante peut évidemment être critiquée à loisir : graves menaces environnementales liées au rythme de croissance et à certaines innovations ; crises récurrentes, peut-être de plus en plus graves ; montée alarmante de la pauvreté dans les pays riches ; incapacité des pouvoirs étatiques à prendre désormais la main sur des problèmes en partie nouveaux. Il n’en reste pas moins que l’image du 20e siècle demeure, en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, celle d’un effort économique sans précédent, d’une pacification relative des rapports commerciaux internationaux, d’une amélioration de nos « niveaux de vie »…

Cette réussite économique relative est indéniable, si l’on fait la comparaison avec le 19e siècle, en termes de rythme de croissance du PIB, de gains de productivité, de hausse des pouvoirs d’achat. Pour l’expliquer on a souvent, notamment en Europe occidentale, invoqué le « mode de régulation fordiste ». Si ce dernier caractérise et identifie les « trente glorieuses » européennes, on sait moins qu’il se met en place aux états-Unis à partir de la fin du 19e siècle. C’est en effet en 1895 que Taylor pose ses principes d’organisation « scientifique » du travail, en partie pour se passer, dans l’industrie américaine, des travailleurs de métier, compétents mais aussi politiquement contestataires et du reste coûteux. De fait, la parcellisation taylorienne des tâches permet d’employer dans l’industrie américaine ces immigrants sans qualification que les bateaux déversent sur la côte Est jusqu’en 1917. Avec les méthodes de Taylor, les gains de productivité deviennent plus réguliers par l’intensification du travail qu’elles permettent. C’est le premier pilier du fordisme qui sera appliqué massivement en Europe après 1945.

Si la productivité peut donc croître grâce au taylorisme, encore faut-il vendre la production ainsi accrue. C’est ici qu’intervient Henri Ford. Ce magnat de l’automobile aurait eu le génie d’augmenter le salaire de ses ouvriers de 150 % en janvier 1914 afin qu’ils consomment ses propres produits, entamant ainsi un cercle vertueux entre production et consommation. La réalité est plus prosaïque : gêné par le refus de ses employés de travailler à la chaîne, leurs départs réguliers de Detroit ou leur absentéisme, directement menacé par une grève annoncée, Ford aurait augmenté les salaires sous la contrainte… Mais ce faisant, il a sans doute vite découvert qu’en canalisant ces hausses de revenu vers la prise d’un crédit destiné à l’achat d’une automobile, il créait sa propre demande, donnant ici raison à Jean-Baptiste Say. La consommation de masse était engagée. C’est elle qui resurgira en Europe, dans les années 1950-1970 avec les conventions collectives et les hausses de pouvoir d’achat au rythme des gains de productivité.

Cette synergie a incontestablement marqué l’ensemble du 20e siècle, embryonnaire et cantonnée à l’Amérique du Nord avant 1945, se diffusant ensuite à l’ensemble des pays développés avant sa remise en cause dans les années 1980. Et pour s’assurer de sa pérennité, les États nationaux n’ont pas hésité à intervenir, s’immisçant dans les négociations salariales, imposant le principe de la sécurité sociale, embauchant des fonctionnaires pour assurer un quasi plein-emploi, de fait d’abord utile à l’absorption de produits de plus en plus nombreux. Bref l’État régulateur, d’inspiration keynésienne, s’est largement imposé comme complément des deux piliers du fordisme. C’est là aussi une incontestable caractéristique du 20e siècle économique et qui perdure aujourd’hui dans les débats liés à la crise financière.

L’histoire globale a-t-elle quelque chose à ajouter à ce panorama ?

Elle nous rappelle en premier lieu qu’il ne faut jamais prendre la partie pour le tout. La vision précédente se focalise sur un processus très particulier mais peut-être ponctuel, certes préparé de longue date, mais se développant sur une trentaine d’années seulement entre 1950 et 1980, et largement remis en cause, d’une façon sans doute durable, par la globalisation économique qui apparaît dans les années 1980. Or précisément, si l’on réfléchit en prenant appui sur cette remise en cause, force est de constater que le 20e siècle peut tout aussi bien être vu comme une longue parenthèse entre deux périodes de globalisation. Entre 1860 et 1914, une première mondialisation a certainement créé un précédent à ce que nous connaissons aujourd’hui. C’est d’abord une forte libéralisation des échanges internationaux, impulsée par la Grande-Bretagne et la France, avant sa remise en cause à la fin du 19e siècle. C’est aussi le premier moment de l’Investissement Direct Étranger (IDE) qui préfigure l’essor de nos firmes multinationales. C’est en troisième lieu une réelle libéralisation financière qui rend les capitaux spéculatifs beaucoup plus mobiles sur la planète, au moins entre pays occidentaux (incluant quelques économies d’Amérique du Sud). C’est enfin et surtout une certaine régulation internationale de l’économie mondiale à travers le système monétaire de l’étalon-or. Les quatre piliers de notre mondialisation actuelle sont donc bel et bien là, dès le dernier tiers du 19e siècle, et analysés comme tels par les contemporains.

Cette mondialisation a indéniablement reculé, à partir de 1914, et les réels efforts pour la relancer ont buté, à partir des années 1920, sur l’affrontement des nationalismes économiques, lesquels culmineront avec la Seconde Guerre mondiale. Et dans les trente années qui suivent cette dernière, le fordisme permet de fait de retarder le retour à une certaine globalisation car les sources de la croissance sont alors spontanément trouvées dans la consommation intérieure et dans l’investissement. De ce point de vue, le fordisme peut davantage être considéré comme un processus qui a permis, dans une certaine mesure, de pérenniser tout en les disciplinant, les nationalismes économiques si prégnants à partir des années 1920… Le 20e siècle, entre 1914 et 1980, serait alors bien une parenthèse étrange entre deux mondialisations… Et ce seraient précisément les obstacles rencontrés par ce fordisme qui auraient obligé à renouer avec une vision globalisante de l’économie.

L’histoire globale peut aussi retenir de ce 20e siècle le passage du colonialisme à l’émergence économique, au moins pour certains pays de ce qu’on appelait trop facilement, dans les années 1970, le tiers-monde. Les études sur la Corée du Sud et Taïwan, dès le début des années 1980, ont bien montré que ces pays avaient amorcé dynamiquement leur rattrapage à partir des années 1970, s’inspirant clairement en cela du précédent japonais et en misant précisément sur une synergie forte entre économies asiatiques. On découvrit peu après que ce modèle s’imposait à l’ensemble des pays d’Asie du sud-est puis à la Chine populaire, enfin à quelques grands pays latino-américains et à l’Inde dans les années 1990. Ce qui paraissait impossible aux économistes encore dans les années 1970 devenait réalité : l’Occident n’était plus désormais le seul à avoir réussi son décollage économique et à avoir atteint la fameuse société de consommation chère à Rostow. Cette réussite nous renvoie alors beaucoup plus loin dans l’histoire, nous faisant brutalement prendre conscience de la grandeur passée du monde sinisé et de l’Inde, de leur longue suprématie commerciale et économique jusqu’au 18e siècle, dans l’océan Indien. Autrement dit l’histoire globale nous montre, en élargissant encore l’horizon de mise en perspective du 20e siècle, que l’émergence indienne ou chinoise n’est pas fortuite mais s’enracine dans un passé bien connu des lecteurs de ce blog…

L’histoire globale nous amène donc à voir le 20e siècle comme moins important, par ses réussites économiques à l’intérieur du monde occidental, que par ses conséquences dans les pays aujourd’hui émergents, moins significatif par l’élaboration d’une synergie entre gains de productivité et consommation de masse que par le retour qu’il a permis à une seconde globalisation, que l’on approuve ou que l’on critique cette dernière…

Du capitalisme diffus au capitalisme concentré : l’originalité de l’Europe dans l’histoire globale selon Arrighi et Mielants.

Une problématique récurrente en histoire globale tend à identifier les ressorts du dynamisme occidental à une certaine relation, apparue sans doute dès la fin du Moyen Âge, entre le pouvoir politique et les marchands. Développé dans le cadre des politiques mercantilistes des 17e et 18e siècles, mais déjà connu dans les Cités-États italiennes au 13e siècle, ce lien particulier aurait rendu l’Europe capable de tirer profit de sa relation commerciale ancienne avec l’Asie, puis de ses « grandes découvertes » territoriales.

C’est sans doute Arrighi [1994] qui a le premier précisé la nécessaire connivence entre pouvoir politique et capital marchand dans la genèse d’une véritable originalité de l’Occident. Il retient d’abord l’approche de Braudel [1985] qui fait des capitalistes des individus non spécialisés et donc capables d’investir n’importe où afin d’augmenter significativement leur capital-argent disponible, mais aussi des acteurs soucieux de disposer d’une souplesse permanente dans l’affectation de leurs fonds. Il trouve le modèle de ces capitalistes dans les marchands des Cités-États italiennes de la fin du Moyen Âge mais, et c’est là une originalité profonde par rapport à l’héritage braudélien, Arrighi considère qu’ils n’ont fait que reproduire des comportements anciens, observés de longue date dans le système afro-eurasien, et propres à ce qu’on pourrait appeler un « capitalisme diffus ». Dans ces conditions, « la transition vraiment importante qu’il s’agit d’élucider n’est pas celle du féodalisme au capitalisme, mais le passage d’un pouvoir capitaliste diffus à un pouvoir capitaliste concentré » [Arrighi, 1994, p. 11]. En ce sens, les capitaux diffus seraient une constante de l’histoire, leur concentration sur un territoire et entre quelques mains serait une originalité ouest-européenne particulièrement féconde…

Rejoignant Wallerstein [1974], Arrighi considère que ce passage est intrinsèquement lié à l’émergence du système-monde moderne et du système interétatique tout comme à la nature des hégémonies successives. Il étudie alors les différences de logique entre ce qu’il nomme le « territorialisme » (attitude identifiant le pouvoir à l’extension du territoire et de la population soumise, mais ne considérant la recherche de richesse que comme un moyen éventuel ou un effet collatéral) et le « capitalisme » (qui recherche cette richesse comme finalité et ne cherchera l’acquisition de territoires qu’au titre de moyen). Si les deux logiques sont considérées comme alternatives dans la formation de l’État, Arrighi n’en marque pas moins l’existence de synergies importantes entre les deux. Si Venise connaît tant de réussite, par exemple, c’est qu’elle développe les deux simultanément tout en assurant qu’elles n’entrent jamais en contradiction. Elle assurerait ainsi un premier « pouvoir capitaliste concentré » dans l’histoire de l’Occident, tirant parti par ailleurs du système mis en place entre les Cités-États italiennes. Ce pouvoir capitaliste concentré serait considérablement renforcé au 17e siècle dans le cas des Provinces-Unies. Unissant les deux logiques, comme à Venise, les Pays-Bas bénéficieraient, dans le cadre de la formation des États modernes, de leur opposition frontale historique aux grands empires, d’une plus grande capacité militaire à contrer durablement ces derniers, d’un accès direct aux ressources économiques (produits asiatiques) que Venise mobilisait à travers les intermédiaires mongols ou égyptiens, d’une technique de formation étatique supérieure [1994, pp. 44-47]. Autrement dit, les progrès dans la connivence entre marchands et appareil d’État seraient au cœur de la construction d’un capitalisme européen qui, de fait, a toujours été associé à l’État.

Mielants [2008] reprend à son compte l’importance accordée par Arrighi aux Cités-États tout en l’étendant à ce qu’il nomme le « système inter-Cités-États », c’est-à-dire l’ensemble des relations entre ces cités. Pour lui, au-delà d’un capital marchand bien en place, des pratiques capitalistes émergeraient clairement en Europe de l’Ouest entre le 12e et le 14e siècle. Mais c’est évidemment dans les Cités-États que ces pratiques sont de loin les plus significatives, notamment parce que les marchands y détiennent clairement le pouvoir et mettent la puissance publique au service de l’accumulation commerciale privée. Comme Arrighi, il montre le caractère crucial du commerce extérieur pour ces cités et leur capacité à construire, non seulement un capital marchand fort, mais un « pouvoir capitaliste concentré » à travers des pratiques de monopole qui relèvent du territorialisme comme du capitalisme.

Mais ce sont les systèmes politiques communs à ces Cités-États qui apparaissent finalement déterminants dans la mesure où « les mêmes politiques et techniques de domination et d’exploitation expérimentées par les élites du système des Cités-États furent ensuite reprises par les élites des États-Nations, aux 16e et 17e siècles, pour renforcer leur accumulation illimitée du capital » [Mielants, 2008, p.43]. Institutionnellement c’est le droit de regard des marchands dans les instances de décision des Cités-États qui serait décalqué plus tard au sein des grandes nations mercantilistes, Provinces-Unies et Angleterre notamment : les intérêts privés y instrumentaliseraient le pouvoir politique afin de servir leur propre accumulation.

Là se situerait pour Mielants une différence fondamentale entre les « économies politiques » ouest-européennes et leurs homologues chinoises, indiennes ou d’Afrique du Nord. Vis-à-vis de la Chine, la comparaison est cependant plus nuancée. Sous les Song en effet, aux 11e et 12e siècles, l’État réhabilite les marchands, encourage le commerce en général, extérieur en particulier, construit des navires, sécurise les voies de transport. Mais ce ne serait pas en raison d’une influence des marchands sur le pouvoir central, ni même sur les pouvoirs urbains (très contrôlés par les fonctionnaires), comme ce le devenait en Europe, mais d’une pure décision du pouvoir impérial afin de contrer les menaces venues du Nord. Il s’agissait concrètement de remédier à l’impossibilité d’utiliser la route de la Soie, du fait de la mainmise des Mongols sur cette dernière, par un contournement maritime. Il s’agissait aussi de développer l’économie pour obtenir les ressources nécessaires à l’effort de défense contre la menace de ces nomades du Nord (la production de fonte, à usage militaire, progresse sensiblement à cette époque). Autrement dit, même dans ce cas apparemment similaire de progrès soutenu par le pouvoir politique, les ressorts de la décision en matière économique diffèreraient considérablement.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Tant redoutée au 12e siècle, la conquête effective de la Chine par les Mongols, au milieu du 13e siècle, sera particulièrement destructrice. Elle ruinera l’avance économique des Chinois, tandis que la percée des fils de Gengis Khan jusqu’en Europe fournira au contraire aux marchands des Cités-États italiennes l’ouverture sur le système-monde afro-eurasien dont ils pouvaient rêver [Abu-Lughod, 1989]. Et viendra ainsi conforter le pouvoir des marchands dans les instances de pouvoir de Gênes ou de Venise, sans compter le transfert à l’Europe de plusieurs innovations militaires. Autrement dit le « moment mongol » à la fois ruine la seule véritable politique mercantiliste chinoise de son histoire tout en renforçant le pouvoir des marchands sur les puissances publiques de quelques villes, ultérieurement de quelques États européens, permettant de surcroît l’armement rationnel de ces derniers… Là se situerait finalement une des raisons profondes de l’essor de l’Occident, associant une conjoncture favorable, pour les Européens, au sein de l’économie eurasienne globale, et des tendances lourdes à l’œuvre dans les cités-États italiennes, flamandes et hanséatiques de l’époque… Mielants combine ainsi remarquablement facteurs internes et externes dans l’explication de ce qui constitue les débuts d’une grande divergence entre Europe et Asie orientale.

ABU-LUGHOD J.L. [1989], Before European Hegemony: The World System 1250-1350, Oxford, Oxford University Press.

ARRIGHI G. [1994], The Long Twentieth Century: Money, Power and the Origins of our Times, London, Verso.

BRAUDEL F. [1985], La Dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud.

MIELANTS E. [2008], The Origins of Capitalism and the Rise of the West, Philadelphia, Temple University Press.

WALLERSTEIN I. [1974], The Modern World System, tome I, New York, Academic Press.

L’État dans les processus de mondialisation

Nous avons tenté de montrer dans un papier récent (28 février) que le processus de mondialisation peut être caractérisé par une synergie entre l’expansion géographique des échanges d’une part, la progression de la transformation des sociétés en fonction des impératifs du marché d’autre part. Ce double mouvement serait à l’œuvre autant dans la fin du 20e siècle que dans les années 1860-1914, voire en deçà, notamment dans ce qu’il est coutume d’appeler la révolution industrielle, à la fin du 18e siècle. Le problème est de comprendre pourquoi cette synergie est potentiellement féconde. Et aussi de cerner les conditions qui la rendent possible.

Plus précisément, nous allons tester ici l’hypothèse que l’extension géographique des échanges est la matrice, strictement nécessaire, mais pourtant non suffisante, à la transformation qui court, des premiers marchés de biens indépendants jusqu’au Marché globalisé contemporain. Sans cette dynamique de commerce lointain, de densification des relations d’échange, la progression de la régulation marchande, d’abord à l’intérieur des espaces nationaux puis dans l’espace international, s’avèrerait strictement impossible. Autrement dit, le commerce sur longue distance serait un facteur qui contribue à convertir l’expansion géographique de la sphère productive en approfondissement du Marché ou de la régulation marchande. Mais cet approfondissement de la régulation marchande se fait d’abord et toujours sur une base nationale ou, plus généralement, une base territoriale donnée, celle propre à l’hégémon de chaque période (Venise, Provinces-Unies puis Angleterre). Nous allons voir aussi que cette influence est surtout d’autant plus vive et rapide que le pouvoir politique propre à l’hégémon utilise le grand commerce dans la perspective de son renforcement propre…

Qu’apporte en effet le grand commerce, agent parmi d’autres de l’expansion géographique, aux dynamiques de marché ? En premier lieu il multiplie évidemment les besoins de consommation en apportant des produits inédits. Dans le même mouvement il permet la diffusion la plus large de produits artisanaux de qualité, fabriqués dans les cités occidentales au Moyen Âge, par exemple. Mais cet étirement géographique de l’offre et de la demande, premier effet du commerce lointain, s’accompagne surtout d’une monétarisation des économies locales (condition nécessaire, on l’a vu, à la création de systèmes élémentaires de marché). Le grand commerce stimule aussi la création d’associations, de sociétés d’exploitation aux formes juridiques de plus en plus évoluées, depuis la societas romaine jusqu’à la grande compagnie maritime du 18e siècle, en passant par la colleganza vénitienne : il suscite donc directement les véritables « forces de marché ». Le commerce lointain peut cependant aussi se révéler contre-productif, du point de vue de la création de systèmes de marché, lorsqu’il alimente les économies locales en esclaves (et il le fera jusqu’au 19e siècle), main-d’œuvre non « libre » susceptible de ralentir, voire d’empêcher la création de marchés du travail… Enfin le commerce lointain permet évidemment cette accumulation primitive du capital, chère à Marx, qui rend possible la constitution du capitalisme… Le grand commerce est donc tout à la fois « créateur d’espaces nouveaux de production » et stimulant des « systèmes de marchés ».

Mais si l’on observe attentivement le matériau historique, il semble que ces effets puissent rester marginaux si le pouvoir politique (ultérieurement l’État) n’interagit pas, d’une façon très particulière, avec le commerce lointain. Par exemple, dans beaucoup de pays asiatiques (sauf en Chine), l’indifférence des pouvoirs politiques envers les commerçants retarderait longtemps la création d’embryons d’économies de marché. À l’inverse, l’État européen en gestation du 15e siècle  va encourager une pénétration des économies locales par le grand commerce, de façon à monétariser ces économies et percevoir facilement l’impôt, gage de sa montée en puissance. Autrement dit, cet État embryonnaire s’appuie clairement sur l’activité des commerçants de longue distance pour affermir son propre pouvoir. Cet impôt est lourd de conséquences : investissement « public » accru, notamment dans l’armée, possibilité d’emprunter avec la garantie des rentrées fiscales, donc création d’une dette « publique », laquelle stimule un embryon de « marché financier », suscite l’épargne, etc. Mais cet enchaînement peut se poursuivre : le crédit aux souverains est souvent le fait des grands marchands (qui tirent ainsi profit, via les intérêts, de la monétarisation des économies – permettant l’impôt – qu’ils ont eux-mêmes engendrée) tandis que la capacité d’emprunter au-delà des ressources de l’impôt permet aux souverains de créer une armée qui, via la conquête extérieure, suscitera à son tour une nouvelle extension de l’espace des productions destinées à l’échange… Toute la phase mercantiliste de la constitution des économies modernes tient dans cette synergie entre commerce lointain et pouvoirs politiques… Extension géographique et approfondissement des systèmes de marché sont donc, au moins entre le 16e et le 18e siècle, mis en relation par le biais d’une certaine instrumentalisation du grand commerce par les États…

Il nous faut sans doute aller plus loin et, sur la base de cet exemple supposé emblématique, analyser dans quelle mesure les pratiques gouvernementales historiques se sont effectivement servies du commerce lointain pour engendrer les configurations successives du Marché. C’est sans doute Foucault qui peut nous apporter le plus ici, dans le cadre de sa typologie des rationalités de gouvernement à l’œuvre dans l’histoire européenne. Et ce d’autant mieux qu’il cerne une rupture à la fin du 16e siècle. Dans son « histoire de la gouvernementalité », cet auteur retrace le processus par lequel l’État de justice du Moyen Âge (apparu en Angleterre au 12e siècle), devenu aux 15e et 16e siècles État administratif, s’est trouvé petit à petit soumis à une exigence de « gouvernement ». Jusqu’à la fin du 16e, le type dominant de pouvoir serait le pouvoir pastoral, fondé évidemment sur l’analogie du berger et de son troupeau. Il s’agit dans le cadre de ce pouvoir, d’abord d’assurer le salut des ouailles, mais aussi de leur imposer une stricte obéissance. L’art du souverain sera d’autant plus grand qu’il imitera la nature (régie par Dieu), qu’il exercera une force vitale et directrice afin de tenir ensemble des intérêts divergents, et que, tout comme le pasteur ou le père de famille, il rendra possible le salut de ceux dont il a la charge… Le souverain « gouverne » certes, mais au sens où il est partie intégrante de « ce grand continuum qui va de Dieu au père de famille, en passant par la nature et les pasteurs » [Foucault, 2004, p. 238-339]. C’est ce continuum qui est remis en cause à partir de la fin du 16ème siècle, dans la mesure où les découvertes de l’astronomie et de la physique montrent que Dieu ne régit le monde que par des principes, des lois immuables, par ailleurs accessibles à l’entendement. Dieu ne gouverne donc pas le monde sur un mode pastoral, il ne fait que régner au travers de principes abstraits.

Les conséquences de cette rupture sont fondamentales. Le souverain n’a plus à « prolonger sur terre une souveraineté divine qui se répercuterait en quelque sorte dans le continuum de la nature » [idem, p. 242]. Il devient alors détenteur d’une tâche spécifique, gouverner, sans modèle à trouver du côté de Dieu ni du côté de la nature. Il doit faire alors plus que ce qu’implique la pure souveraineté et réaliser autre chose que ce qu’implique le pastorat. Il doit inventer une rationalité de gouvernement, poser une « raison d’État ». Cet État entre alors dans la pratique réfléchie des hommes et se voit défini comme « une ferme domination sur les peuples ». Quant à la raison d’État, c’est « la connaissance des moyens propres à fonder, à conserver et à agrandir une telle domination » [Botero, cité par Foucault, 2004, p. 243].
En conséquence, la « raison d’État » ne se réfère plus à une finalité antérieure ou extrinsèque à l’État lui-même. Au début du 17e siècle, Palazzo appelle raison d’État ce qui est nécessaire et suffisant pour que la république conserve son intégrité. Pour d’autres, cette conservation de l’État, érigée en objectif unique, implique aussi une « augmentation » de l’État [Foucault, 2004, pp. 262-263]. Mais le point important est que cette approche détermine désormais un temps historique et politique indéfini : il n’y a plus à attendre de « fin de l’histoire » ou de retour du Christ. Il y a en revanche à assurer, par l’art de gouverner, une paix perpétuelle entre des États désormais nombreux dans l’espace européen. Cet art de gouverner ne s’inscrit plus à l’intérieur d’un système de lois, mais relève davantage de l’obligation d’assurer le salut de l’État, de préférence à tout autre objectif.

L’art de gouverner consiste donc en une « augmentation de l’État », pas nécessairement extension territoriale mais plutôt accroissement de ses capacités, perfectionnement de ses méthodes, croissance de son influence… Et la raison fondamentale de cette obligation tient dans le contexte concurrentiel dans lequel les États européens se trouvent alors, les uns en regard des autres, à partir surtout de 1648. Les rivalités sont désormais réorganisées en stratégies étatiques : dans ce calcul stratégique, les richesses des États remplacent le trésor du Prince, les ressources économiques mobilisables remplacent les possessions territoriales, les alliances provisoires se substituent aux alliances familiales ou aux inféodations. Calcul des forces, dynamique des alliances, physique des États, constituent l’horizon indépassable de l’art de gouverner. Ce dernier débouche alors sur un équilibre entre les Etats que la diplomatie vient conforter.

L’instrumentalisation du grand commerce devient alors un moyen privilégié de cette « augmentation » de l’état. Et parallèlement elle autorise la création de systèmes élémentaires de marchés. Aux 17e et 18e siècles, cette stratégie s’exerce d’abord directement, dans le cadre des prescriptions bien connues des auteurs mercantilistes : le grand commerce permet de dégager un excédent commercial matérialisé par l’entrée nette de métaux précieux, cet approvisionnement dynamise l’activité tout en fournissant des recettes pour le trésor royal (via l’impôt comme à travers la réception des métaux), recettes qui en retour permettent de lever une armée, laquelle au final permettra de renforcer la position nationale, notamment dans les régions cruciales pour prélever les denrées exotiques revendables, donc capables de déterminer l’excédent commercial.

Mais cette stratégie s’exerce aussi indirectement, dans le cadre d’effets d’entraînement structurant, largement imputables au grand commerce : au versant comptable de l’excédent d’exportations se substitue le versant qualitatif de la commercialisation des économies les plus dynamiques… Ainsi Amsterdam connaît au 17e siècle une étonnante symbiose entre marchands, commerçants de longue distance et élites politiques, sous domination cependant du politique : la Compagnie des Indes Orientales n’est-elle pas possédée par des capitaux privés mais gérée par des représentants du pouvoir politique ? Dans ce cas, il est clair que l’essor commercial externe (en mer du Nord et Baltique puis dans l’océan Indien) piloté par la république des Provinces-Unies, stimule le développement des marchés nationaux de facteurs. Certes le marché de la terre existait depuis la fin du 13e siècle au moins et s’était déjà développé sous l’influence de la construction des polders, les travailleurs concernés récupérant des portions de terre en pleine propriété. Mais il est évident que c’est la capacité des Pays-Bas d’importer leur nourriture qui, en diminuant le prix des céréales, libère le comportement spéculatif des agriculteurs et stimule le marché du foncier. Celui-ci explose littéralement au début du 17e siècle avec un investissement des urbains dans la récupération et mise en valeur de terres. La commercialisation de l’économie rurale est alors unique en Europe, les paysans confiant même leur propre nourriture au marché et se mettant à acheter régulièrement leurs inputs. Pour ce qui est du marché du travail, il est évidemment stimulé du côté de l’offre (la spécialisation agricole libérant de la main d’œuvre) mais aussi du côté de la demande (elle-même liée aux réussites à l’exportation). En conséquence le pouvoir des guildes qui imposait des barrières à l’entrée est, sinon attaqué, du moins confronté à un statut émergent de travailleur précaire qui va progressivement s’imposer.

L’exemple néerlandais est donc particulièrement fascinant en ce que l’expansion géographique des échanges semble donner toute leur dimension à des marchés de facteurs qui, certes précèdent largement le 17e siècle et ses transformations décisives, mais n’avaient aucune raison de se développer en l’absence de ces stimulants majeurs. L’espace mondial est bien, dans l’exemple des Provinces-Unies au 17e siècle, l’outil permettant la mise en place de systèmes nationaux dynamiques de marchés, sous influence déterminante d’un pouvoir étatique très proche des intérêts des marchands… Les Pays-Bas auraient alors connu ce qui est, peut-être, le premier processus de mondialisation….

FOUCAULT M., 2004, Sécurité, territoire, population, Paris, Hautes études – Gallimard/Seuil.