Tout objet historiographique relève-t-il d’un traitement global ?

C’est en définitive la question fondamentale que pose le recueil intitulé « Essais d’histoire globale », dirigé par Chloé Maurel et publié en février dernier aux éditions L’Harmattan. Il s’agit là d’un ouvrage a priori disparate, reprenant des interventions en séminaire, et portant sur des objets aussi divers que les mineurs de charbon et les imprimés en langues étrangères, les gares de chemin de fer, la lutte pour l’abolition de l’esclavage, le livre, les imprimés politiques de forme brève, les liens entre ethnologie et situations coloniales, la politique du livre de l’UNESCO, l’OIT ou encore le G7. Sur chacune des ces thématiques, les auteurs tentent d’apporter un regard nouveau, global, international ou transnational, qui parfois s’impose et colle au sujet, parfois surprend davantage. C’est sans doute tout le mérite de l’ouvrage que de tenir le pari d’une application large de ce regard neuf, même si la réussite est inévitablement inégale.

Le livre s’ouvre avec une longue introduction de Chloé Maurel qui commence par établir la filiation longue de l’histoire globale. Elle la situe d’abord dans l’histoire comparée chère à Marc Bloch et en parallèle dans les tentatives d’histoire universelle, qu’elles soient françaises (Febvre, Crouzet, Grousset, Duroselle), britanniques (Toynbee) ou allemandes. Elle distingue ensuite plusieurs générations de théoriciens de la World History d’inspiration anglo-saxonne. La première est celle des fondateurs (parmi lesquels McNeill et Stavrianos sont les plus développés) qui relèveraient d’un rejet du chauvinisme des histoires nationales et d’une « école de la citoyenneté mondiale ». Une seconde génération regrouperait Abu-Lughod, Frank et Wallerstein, auteurs du dernier quart du 20e siècle, non-historiens de formation, mais qui ont réalisé des contributions novatrices de par leurs intuitions et approches systémiques. La troisième génération s’incarnerait dans les travaux plus récents de Bentley et Subrahmanyam, plus dans la logique de l’histoire connectée, auxquels elle rattache aussi Manning. Ensuite, la fin du 20e siècle verrait l’explosion quantitative des contributions. Mais au sein de cette floraison, elle identifie bien le travail de Mazlish, fondateur de la Global History et surtout intéressé par « la naissance et l’évolution du phénomène de mondialisation ». Dans un second temps, elle s’attache à montrer le retard initial de la France en ce domaine puis évoque les ouvrages plus récents qui ont pu jalonner le débat dans notre pays.

Pour Chloé Maurel, c’est d’abord dans « l’angle très large déployé par ces travaux » qu’il faudrait trouver l’unité du livre. Cette cohérence naît aussi de rapprochements thématiques, quatre contributions relèvent ici de l’histoire de l’imprimé tandis que trois autres traitent de l’histoire des relations internationales. Il serait intéressant que les points de vue adoptés dans chaque papier soient ici plus précisément qualifiés et distingués. Il y a en effet plusieurs façons d’élargir l’angle d’approche, de « faire du global ». On peut par exemple pratiquer un comparatisme international sur un même objet (cas, par exemple, des mineurs de charbon dans ce livre). La perspective transnationale est évidemment différente puisqu’elle revient à montrer comment un objet circule dans l’espace international et doit donc être appréhendé dans cette transgression des frontières (cas ici du livre et des limites des histoires purement nationales de ce dernier). La critique de l’européocentrisme (ou de l’occidentalocentrisme) constitue tout autant un angle d’attaque plus large, particulièrement bien illustré ici dans l’histoire de la politique du livre de l’UNESCO qui voit finalement, en dépit des bonnes intentions, la promotion d’une conception très occidentale du livre… L’approche en termes de gouvernance, internationale, supranationale ou mondiale, constitue encore un autre point de vue (qui s’impose ici sur l’étude des organisations internationales). Bref, le livre aurait sans doute gagné à ce que la multiplicité des regards dits « globaux » soit davantage disséquée. Est-il par ailleurs pertinent d’appeler globaux tous ces angles d’attaque ? Oui sans doute, pour ce qui est de la cohérence éditoriale, mais des précisions complémentaires auraient été bienvenues.

Ceci dit, c’est aussi évidemment à chaque lecteur de repérer ces différences et de faire son propre cheminement, au gré des différents articles… Ne pouvant évoquer ici en détail la richesse des dix contributions réunies par l’ouvrage, contentons-nous de deux exemples, « le combat pour l’abolition de l’esclavage » (Olivier Pétré-Grenouilleau) et « les organisations internationales et la régulation sociale de la mondialisation : le cas de l’agenda de l’OIT pour le travail décent » (Marieke Louis).

Pour ce qui est de la prohibition de l’esclavage, l’article proposé ne surprend pas lorsqu’il développe l’idée que l’abolitionnisme renvoyait « à un projet forcément global, du fait même de sa nature et des modalités par lesquelles il a dû passer afin de devenir clairement opérationnel ». Il a par ailleurs été mené par des acteurs et réseaux transnationaux, certains se revendiquant d’une certaine citoyenneté mondiale. Enfin, la vaine recherche d’un traité international, à partir de 1815 et sous l’égide de la Grande-Bretagne, a bien posé « une question cruciale, celle du droit d’ingérence », dans la mesure où les traités bilatéraux qui en résultèrent supposaient « un droit de visite réciproque permettant aux navires de guerre des puissances signataires de visiter les navires de commerce de l’autre afin de vérifier qu’il n’y avait pas d’esclaves à bord ». En définitive, respect international des mesures à faire appliquer, transnationalité des acteurs, problèmes fondamentaux d’une gouvernance globale, enfin valeurs supposées universelles sont clairement au cœur de cette histoire-là. Et la démarche s’oppose alors à celle de l’historiographie traditionnelle, souvent nationale et cherchant la raison ou le facteur principal de l’abolition, négligeant alors le caractère transnational du combat engagé sur la base de valeurs radicalement nouvelles (il ne s’agissait plus d’aménager l’esclavage ou de le réformer mais de l’interdire, sur la planète entière et pour l’éternité). Autrement dit, Pétré-Grenouilleau invoque une analyse en termes de compréhension du combat (de ses acteurs, principes et méthodes) contre une tentative d’explication, en partie déterministe. Et dans la logique de cet argument il montre aussi en retour combien l’abolitionnisme a pu servir de caution morale à la colonisation ou encore comment le contrôle des navires de commerce allait renforcer l’hégémonie britannique…

Pour ce qui est de l’OIT, l’article de Marieke Louis, montre bien la déstabilisation qui a affecté l’institution, sur ces vingt dernières années, dans le cadre du débat sur la « clause sociale » d’une part, la baisse de la syndicalisation d’autre part. Par ailleurs l’OIT aurait manqué le tournant de l’an 2000 sur les objectifs du Millénaire pour le développement, se laissant alors marginaliser par les autres instances internationales. Dans ces conditions, devant la difficulté à faire valoir la pérennisation de conventions internationales comme à se poser en promoteur de normes, l’OIT s’est sans doute réfugiée dans un agenda sur le « travail décent » qui relèverait plus de la soft law, c’est-à-dire plus d’une participation à une régulation sociale mondiale que d’un effort de réglementation sociale proprement dite. Et l’OIT dériverait alors pour partie vers un rôle d’agence secondaire de développement et de rappel des droits humains fondamentaux, mais avec une prise limitée sur le réel.  Dans le même esprit, son fonctionnement tripartite originel, fondé sur l’interaction des États, des organisations d’employeurs et de salariés, serait remis en cause à la fois par l’affaiblissement du pouvoir de régulation sociale des États et l’apparition d’acteurs clés comme les entreprises transnationales ou les ONG. C’est donc bien ici une focalisation sur les déterminants liés à la mondialisation économique qui éclaire les débats propres à l’OIT.

On sera peut-être moins convaincu par l’intérêt d’un regard global sur les imprimés politiques de forme brève, au-delà du rappel que les blogs et tweets de la mondialisation contemporaine ou encore le court livre de Stéphane Hessel ont certainement une parenté avec ces imprimés de jadis… Mais peu importe. A quelques exceptions près, la démonstration est faite ici que bien des objets historiographiques se prêtent, plus aisément qu’on le croit volontiers, à une mise en perspective large, à une forme ou une autre de « traitement global ». C’est tout l’apport de l’ouvrage que d’avoir réussi à révéler une telle dimension dans le cas d’objets aussi inattendus que les gares de chemin de fer ou les imprimés en langues étrangères. Néanmoins il est clair que la démarche ici engagée ne saurait saturer ce qu’on peut entendre par histoire globale. Celle-ci n’est à l’évidence pas seulement la mise en œuvre d’un angle d’approche ou d’un regard neuf. Le global est aussi un objet d’étude en soi, que l’on parle de systèmes-monde, d’interconnexions, de circulations continentales de techniques ou de diasporas commerçantes, de diffusions de consommations ou de plantes… Et le regard élargi de l’historiographe, s’il peut y contribuer, ne saurait pour autant se confondre avec l’analyse de l’historicité du global.

Réfléchir au sens du global

À propos de Le Tournant global des sciences humaines, Alain Caillé et Stéphane Dufoix (dir.) La Découverte, 2013.

« Comment les sciences sociales pourraient-elles penser la globalisation, dans toutes ses dimensions et dans tous ses effets, si elles ne savent pas penser en même temps leur globalisation ? » La phrase, posée en ouverture du Tournant global des sciences sociales, résume l’objet de ce livre coordonné par Alain Caillé et Stéphane Dufoix. L’ouvrage marque un repère important dans cette réflexion, en ce qu’il réunit nombre d’auteurs fondamentaux de la pensée autour du global. Les textes qui le composent ont été recueillis, pour l’essentiel, à l’issue d’un colloque qui s’est tenu, sous le même intitulé, à Paris en septembre 2010.

« Les fondateurs de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie ou de la géographie possédaient-ils une vision du global ? Où se trouve le global ? […] Est-il un concept adéquat ou simplement une dénomination qui appelle la conceptualisation ? […] Est-il postnational et postdisciplinaire ? Le global pourrait-il être le cœur d’une théorie générale ? » Les diverses contributions s’efforcent de répondre à ces questions structurant un ouvrage qui, pour être relativement théorique, fournit néanmoins des jalons essentiels – on notera également, en fin de chacun des 22 articles (ou chapitres), la présence d’utiles bibliographies.

Un certain nombre de chercheurs reconnus ont répondu présent, et les francophones ont déjà été évoqués sur ce blog. D’autres chercheurs importants, étrangers et mal connus en France voire très peu traduits, sont aussi de la partie. Le tournant global qui les fédère ici, c’est bien la prise en compte du global comme ensemble de questions traversant les disciplines des sciences sociales. En matière de global, il est un constat partagé : la France a la chance d’abriter des pionniers, mais le malheur de souffrir quelque peu de retard – un retard que les coordinateurs, dans leur introduction, attribuent classiquement au cloisonnement disciplinaire régissant la recherche française, agissant comme une « entrave à la possibilité de faire surgir des pôles de structuration pluri-, inter- ou transdisciplinaires autour de l’objet “global” ».

Le livre s’organise en quatre parties : « Mutations disciplinaires » ; « De quelques mutations d’objet » ; « Théories de la globalisation entre réalités et idéaux » ; « Re-fonder, re-penser, ré-organiser les sciences sociales ». Nous allons les survoler, nous appesantissant longuement sur la première, à notre sens la plus fondamentale.

Avec « Les naissances académiques du global », Stéphane Dufoix analyse la genèse des notions de mondialisation/globalisation. Le discours global aujourd’hui en affirmation, conclut-il, « constitue une sorte d’équivalent contemporain de celui qui naît entre la fin du 18e et le début du 19e siècle autour des idées de société, d’État-nation et de modernité. Dans le domaine des sciences sociales, il représente une véritable rupture, sans doute la première qu’elles aient véritablement connue depuis leur apparition précisément au début du 19e siècle. » Si le discours global « incarne effectivement une ambition (décrire la naissance d’un monde nouveau) et une promesse (l’établissement d’une nouvelle science pour y parvenir), il permet aussi d’articuler une synthèse assez nouvelle dans laquelle, au lieu d’être une rupture fondamentale, la globalisation s’inscrit dans l’histoire longue du monde, celle du capitalisme, de l’impérialisme occidental et de la modernité. »

Dans « Histoire globale, histoires connectées : un “tournant” historiographique ? », Romain Bertrand, après avoir rappelé que l’approche des aires culturelles a compté plusieurs précurseurs en France, estime que « les indices d’acclimatation de l’“histoire globale dans l’Hexagone sont […] de plus en plus nombreux ». Il explore la tension entre connecté et global, micro- et macro-, se faisant l’avocat d’une troisième voie, celle d’une histoire symétrique qu’il a brillamment illustrée dans L’Histoire à parts égales. Il estime au passage que l’histoire globale a du mal, contrairement à la connectée, à se détacher de l’eurocentrisme, même si les deux courants participent à sa remise en cause. Une opinion qui n’est pas partagée par tous les contributeurs de ce blog, et appellera peut-être un futur débat.

Christian Grataloup, condensant dans « Une géographie postbraudélienne » les thèses qui font tout le sel de Faut-il penser autrement l’histoire du monde ?, souligne que la multipolarisation du Monde « suppose de recomposer l’espace-temps des sciences sociales ».

Avec « Problèmes et perspectives de l’histoire globale de l’environnement depuis 1990 », John R. McNeill dresse un magistral panorama des enjeux globaux de l’histoire environnementale, très active dans le monde anglo-saxon, même si elle compte quelques pionniers en France. Dans ce texte qui mériterait de larges répercussions, il distingue trois formes de cette « histoire des relations entre les sociétés humaines et l’ensemble de la nature, dont elles ont toujours dépendu » : 1) « L’étude de l’histoire de l’environnement matériel, de la manière dont l’homme est entré en relation avec les forêts et les grenouilles, avec le charbon et le choléra » ; 2) « L’histoire environnementale qui s’intéresse au politique et à l’action publique, [qui] prend pour objet l’histoire des efforts consciemment entrepris par les êtres humains pour réguler les relations entre les sociétés et la nature mais aussi les rapports entre les différents groupes sociaux sur les questions concernant la nature » ; 3) « Sous-ensemble de l’histoire culturelle [, une histoire environnementale qui] a trait à tout ce que les êtres humains ont pensé, cru, écrit et, plus rarement, peint, sculpté, chanté ou bien encore dansé à propos des relations entre nature et société ». Soulignant à quel point une telle histoire, sous ses trois formes, est par nécessité interdisciplinaire et incline à l’échelle globale (rares sont les phénomènes environnementaux qui respectent les frontières nationales), il en examine les pratiques et productions globalisantes, prenant les exemples de la riche histoire environnementale de l’Inde, méconnue en France, et de l’analyse à grande échelle de l’urbanisation de l’Amérique latine. Il termine en soulignant le rôle des « amateurs » dans ce champ, entre le pionnier Clive Ponting (fonctionnaire du ministère de la Défense britannique) et l’ornithologue du best-seller Effondrement Jared Diamond, et en appelant ses collègues à produire ladite histoire globale de l’environnement, gageant qu’ils le feront mieux que les amateurs. Un seul bémol : au vu de l’ampleur de la tâche, une telle conclusion se discute, les historiens ne jouissant pas d’un monopole de la rigueur.

Considérant « Les espaces enchevêtrés du “tournant global” », le sociologue Ludger Pries constate que les univers sociaux de tout-un-chacun ont connu une extension sans précédent, du village au monde. Il suggère que le défi global posé aux sciences sociales est de mieux cerner les différents termes désignant ce processus : globalisation, mondialisation, transnationalisation, glocalisation, société-monde, empire mondial, trans-monde… Un ensemble de propositions qu’il subsume par le terme d’« internationalisation ».

« Tricot français ou mailles anglaises », de Juliet J. Fall, est un petit chef-d’œuvre. Filant la métaphore entre la bonne façon de tricoter et la manière la plus appropriée de produire de la géographie, l’article montre combien les pratiques nationales, en matière de mailles comme de perception de l’espace, varient. En deux lieux donnés, sera défini comme global ou local le même objet. Une de ses collègues s’est ainsi vue refuser un article par une revue au motif qu’étudier un bassin hydrographique canadien serait local, la même revue publiant quelques mois plus tard un article similaire à partir d’un terrain aux États-Unis – global par définition ? Elle définit le tournant global comme un défi reposant intimement « sur la capacité à penser simultanément le monde comme un tout et comme un ensemble de divisions », et invite à mettre en place de « réelles médiations entre les différentes traditions de recherche ».

Avec « Rééquilibrer les comptes », Paul Kennedy étudie « la résilience du local et la fragilité d’une conscience globale ». Car « une part importante de ce que l’on définit généralement comme le “global” gagne à être comprise comme étant profondément enracinée dans le local et alimentée par le local ». Il distingue deux scenarii du global : celui d’une société mondiale déjà advenue, « résultat cumulatif accidentel, involontaire et imprévu des agendas privés, locaux ou nationaux mis en œuvre par une multitude d’acteurs, hier et aujourd’hui » ; et un monde partageant une conscience globale, qu’il juge pour l’instant embryonnaire. Entre un monde « en soi » actuel et un monde réellement capable d’agir « pour soi », subsiste un gouffre qui défie les chercheurs. Le local résiste, les lieux, même parcourus de flux globaux, s’entêtent à exercer une forte emprise sur les gens. Il conviendrait donc d’éviter un « surcodage global » et de porter si nécessaire l’accent sur le local, lieu où « nous rencontrons les forces globales venues de l’extérieur, et que nous les domestiquons en tirant profit des multiples ressources sociales routinières qu’il [le local] nous fournit ».

Les trois parties suivantes explorent d’abord divers objets globalisés, dans le chapitre 3, « De quelques mutations d’objet ». À commencer par la religion. La sociologue Peggy Levitt ébauche, dans « Les tribulations de la religion », une très intéressante « cartographie de la production et de la consommation culturelle globale » afin de saisir cette religion en mouvement ; le texte de son collègue François Gauthier prolonge sa réflexion, car « La religion à l’ère de la mondialisation » questionne nos définitions classiques du phénomène et les limites de la distinction public/privé. Saskia Sassen explore les nouveaux assemblages, fragments de territoire, d’autorité et de droits « qui échappent peu à peu à l’emprise des cadres institutionnels nationaux ». Des dispositifs élaborés par les firmes à travers le monde pour échapper au durcissement des normes écologiques dans de nombreux pays, aux cours pénales, mondiale et internationale, ces mouvements marquent une tendance centrifuge inverse à la dynamique centripète des États-nations. « Conflits environnementaux et régulation multiniveaux », de Franck Poupeau, analyse enfin le rôle des multiples acteurs des conflits qui ont opposé, en Bolivie, les communautés « originaires » aux multinationales de l’eau.

La 3e partie, « Théories de la globalisation entre réalités et idéaux », comprend 4 textes. « La “globalisation capitaliste” et la classe capitaliste transnationale », de Leslie Sklair ;  Remettre la mondialisation à sa juste place » de Jonathan Friedman ; « Un “nous” sans “eux”. Manufactures de la société-Monde », de Jacques Lévy ; et « Les démocraties globales postmodernes », de Jan Aart Scholte.

La 4e partie, « Re-fonder, re-penser, ré-organiser les sciences sociales », plus éclectique, se propose d’abord de « Penser global et monter en généralité » avec Michel Wieviorka – administrateur de la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH), qui s’apprête à fêter son 50e anniversaire par un colloque international « Penser global. Internationalisation et globalisation des sciences humaines et sociales, du 15 au 17 mai 2013 à Paris, accompagné du lancement d’une nouvelle revue des sciences sociales, Socio, dont le numéro 1 sortira le 28 mars avec pour titre… « Penser global ». Michael Kuhn expose « les transformations du système mondial des sciences sociales dans son « Face au multiversalisme scientifique »  ; Gayatri C. Spivak se propose de « Lire le tournant global » ; Francesco Fistetti aborde « Le global turn entre philosophie et science sociale » au fil du « paradigme hybride du don », réflexion prolongée par un article sur « L’Essai sur le don, un texte pionnier de la critique décoloniale », de Paulo H. Martin – rappelons que l’ouvrage est publié sous la codirection de Caillé, dans la collection « Bibliothèque du MAUSS »).

En conclusion, Alain Caillé souligne « L’effet méta-disciplinaire du tournant global en science sociale », la « décomposition et recomposition des disciplines ». En un constat : « La globalisation […] fait apparaître de plus en plus problématique les découpages hérités entre disciplines instituées ». Et un souhait : que ce contexte accouche d’une théorie sociologique générale. « Ou si l’on préfère, d’une “social theory” : une science sociale généraliste, une global social theory en quelque sorte ».

On regrettera, dans ce livre qui entend dresser un dense panorama du « Tournant global » dans toutes les disciplines des sciences sociales, que la sociologie se trouve quelque peu sur-représentée, la moitié des contributeurs relevant de ce champ. Et surtout l’absence de l’économie. Ce dernier regret fait écho à ce qu’écrit Alain Caillé dans le dernier texte, lorsqu’il souligne que la science économique, ou plutôt le « modèle économique standard élargi » – loin de représenter toutes les facettes de cette discipline –, occupe depuis trente ans une position hégémonique dans les sciences sociales, qui « va strictement de pair avec l’hégémonie mondiale des marchés financiers ». Mais cette absence constitue aussi un hommage par défaut – lors du colloque éponyme à l’origine de ce livre, on entendit des intervenants déplorer que l’économie ait vécu, par nature, son tournant global bien avant les autres disciplines.

Un Monde d’économies-mondes, le tournant raté de la mondialisation nazie

Faut-il parler d’ « économies-monde » ? À lire certains auteurs, et des meilleurs, il semblerait bien que oui. Le monde serait singulier. Mais sans -s n’impliquerait-il pas avec un M- à l’initiale ? Le géographe nourri des travaux d’Olivier Dollfus insisterait : le Monde n’est pas un simple monde, mais LE monde, global, unique, de l’espace terrestre fait un par une humanité interconnectée. Pourtant, le Monde n’est pas l’horizon nécessaire de ces « économies-monde », qu’il serait plus juste d’écrire « économies-mondes ». On pourra trouver la remarque tatillonne, mais ce -s a du sens. Le monde, en mode minuscule, n’est qu’une partie du Monde ; il lui est même antérieur, car ce n’est qu’après la circumnavigation magellanesque que le globe est devenu le Monde, enclos de l’humanité. Un monde, donc, est un ensemble ; et comme tels, les mondes peuvent s’emboîter, se juxtaposer, s’intersecter.

Lorsqu’on parle d’« économie-monde », que faut-il alors entendre ? Au départ, en allemand Welwirtschaft, sans doute « économie mondiale », soit « économie-Monde ». C’est le sens du mot au 19e siècle. Mais son utilisation à rebours pour des périodes anciennes en a changé le sens : die Weltwirtschaften des Altertums ; le piège est là. Ni singulier ni pluriel à Welt, antéposé, ou du moins sans nombre visible.

C’est à Fernand Braudel, qui rédigea pour partie sa thèse dans les geôles allemandes durant la Seconde Guerre mondiale, que nous devons l’introduction de la notion en France et surtout cette traduction particulière : « économie-monde ».

« Il ne suffit point de répéter les expression des historiens économistes allemands : Welttheater ou Weltwirtschaft, qu’ils emploient volontiers à propos de l’ensemble historique et vivant de la Méditerranée, pour marquer que, univers en soi, économie-monde, il vécut longtemps sur lui-même, sur son circuit de soixante jours, n’entrant en contact avec le reste du monde et spécialement l’Extrême-Orient, que pour le superflu. Le drame du XVIe siècle, et de la Méditerranée en particulier, c’est qu’autour de cet univers de soixante jours, le vaste, l’immense monde vient de se révéler… »[1]

Notion qu’il reprend quelques pages plus loin :

« Cet espace économique organisé à la façon du monde d’aujourd’hui, c’est ce que les Allemands appellent une Weltwirtschaft, pour conclure que la Méditerranée, au XVIe siècle, en est une à elle seule. À quoi on répondrait : oui et non, si la réponse ne paraissait trop normande. Non, car elle est assez démantelée sur ses pourtours : la fortune turque à l’Est, c’est le développement avec Constantinople d’une ville-pieuvre et, par elle, la mise hors du circuit méditerranéen (ou peu s’en faut) de la mer Noire. À l’Ouest, les grandes découvertes l’ont brusquement, largement ouverte sur l’économie de l’Atlantique. Non encore, dirons-nous, car les spécialisations n’y sont jamais impérieuses, contraignantes et surtout stables… Et cependant, oui, car pour l’essentiel elle vit encore sur elle-même ; oui, car elle a ses zones particulières adaptées à la vie générale et une vie générale qui circule à côté, au-dessus, au travers de ces petits univers économiques, jamais complètement fermés sur eux-mêmes, entre quoi se partage, quand on l’examine d’un peu près, le vaste espace de la mer. »[2]

Et qu’il décline au pluriel dans une note de bas de page, évoquant « l’effondrement d’économies-mondes (Antiquité, Moyen Âge, le monde de 1939) »[3].

Trente ans plus tard, Fernand Braudel y revint, et consacra quelques paragraphes du Temps du monde, troisième volume de Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, aux « économies-mondes » :

« Pour engager le débat, il faut s’expliquer sur deux expressions qui prêtent à confusion : économe-mondiale, économie-monde.

L’économie-mondiale s’étend à la terre entière ; elle représente, comme disait Sismondi, le “marché de tout l’univers”, “le genre humain ou toute cette partie du genre humain qui commerce ensemble et ne forme plus aujourd’hui, en quelque sorte, qu’un seul marché”.

L’économie-monde (expression inattendue et mal venue dans notre langue, que j’ai forgée autrefois, faute de mieux et sans trop de logique, pour traduire un emploi particulier du mot allemand de Weltwirtschaft) ne met en cause qu’un fragment de l’univers, un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique. »[4]

Ce qui m’amène au livre du jour, ouvrage non négligeable pour l’historiographie de l’histoire globale et plus encore comme source de celle-ci, un livre passé de mode, écrit par un économiste nazi, tare sans doute, mais dûment cité par Fernand Braudel. Il s’agit du Tournant de l’économie mondiale, de Ferdinand Fried, de son vrai nom Ferdinand Friedrich Zimmerman (1898-1967). Le livre, Die Wende der Weltwirtschaft, est paru en 1937, avant d’être traduit en français en 1942. Notons que le traducteur a opté pour la solution la plus simple, et peut-être la plus logique : l’adjectif plutôt que l’apposition, « économie mondiale » plutôt que « économie-monde ».

Ferdinand Fried part d’un constat, lieu commun de son temps : l’espace mondial est désormais clos.

 « L’humanité se voit pour la première fois placée devant ses frontières : c’est de cette constatation que se dégage la mission de notre époque. La tâche consistant à s’organiser dans ces frontières est si nouvelle et si exceptionnelle que c’est seulement au prix des combats et des convulsions les plus terribles qu’il a été possible aux hommes de la concevoir et qu’il leur sera possible de la mener à bonne fin. »[5]

Ferdinand Fried, qui entend réfléchir sur la situation de l’économie mondiale fortement ébranlée par la crise des années 1930, introduit alors une digression historique au cours de laquelle il explique l’application de la notion de Weltwirtschaft à des espaces restreints, par l’usage de la notion de Weltreich, d’« empire mondial » :

 « Si l’on veut emprunter à l’histoire une comparaison qui, d’ailleurs, révèle en même temps de grandes différences par rapport à la situation présente, on peut se référer à l’ancien empire mondial des Romains et à son “économie mondiale romaine”. Cette expression recèle, à vrai dire, une contradictio in adjecto qui, au surplus, caractérise les contradictions particulières auxquelles on se heurte dès que l’on aborde toutes ces catégories de problèmes. L’économie de l’Empire romain constituait une économie mondiale dans la mesure même où l’imperium était un empire mondial. Nous sommes habitués à parler d’empires mondiaux lorsque nous considérons tous les grands États constitués dans l’Antiquité ; nous connaissons des empires mondiaux, sinon égyptien, du moins babylonien, assyrien, perse, hellénique et romain. Aucun de ces empires n’embrassait la totalité du monde alors connu ; l’Empire romain lui-même fut constitué par la jonction et la fusion progressives de presque tous les empires mondiaux antérieurs et devint un organisme de domination et d’hégémonie qui n’englobait pas de loin tout le monde connu d’alors, mais qui se maintenait, soit sur le pied de guerre, soit sur le pied de relations commerciales pacifiques avec les autres organismes analogues de l’univers antique. Depuis qu’Alexandre le Grand avait forcé avec ses armées les portes du monde connu de son temps et dépassé ses frontières, et que les regards des anciens avaient pu plonger dans des horizons naguère insoupçonnés ou incertains, la physionomie du monde antique bordé par la Méditerranée, avait été bouleversée et défigurée, les anciens acquirent alors une notion, d’ailleurs imprécise, de la civilisation indienne et une appréhension tout à fait vague du vaste milieu lointain de la grande civilisation chinoise ; les relations entre ces différentes zones oscillaient entre l’impression d’un éloignement planétaire, de distances inaccessibles et d’isolement réciproque, d’une part, et de prétentions naïvement instinctives à faire valoir les unes à l’égard des autres des attributs de puissances et de souveraineté, d’autre part.

Le contact entre les deux grands milieux civilisés de l’Occident et de l’Orient, entre l’empire mondial des Romains et celui des Chinois, nous apparaît comme mystérieux et passionnant : ce fut là une des rares minutes où l’histoire semble retenir son souffle pour continuer à progresser tranquillement et sans hâte. […]

Après ce premier contact passager, les différents grands empires mondiaux, les économies mondiales et les civilisations continuèrent à coexister avec une indépendance complète, chacun vivant à sa mode, satisfait de lui-même et autonome. […]

C’était donc, pour ainsi dire, avec de délicats fils de soie que s’était noué alors tout le commerce mondial d’alors, pour autant qu’il dépassait les bornes du milieu d’influence proprement dit de chacune des grandes civilisations. »[6]

Les routes commerciales mondiales

Figure 1. Des mondes distants, mais inter-reliés (Ferdinand Fried, 1942, p. 17)

Le tableau qu’il dresse d’une juxtaposition d’économies-mondes aux frêles interactions au début du Ier millénaire de notre ère serait tout à fait recevable aujourd’hui. Mais par cette comparaison, où Ferdinand Fried veut-il en venir ?

 « Ici se pose la question de l’économie mondiale en général. Si l’on désigne par ce terme l’économie mondiale capitaliste, libre de ses mouvements, du XIXe et du XXe siècle, qui était fondée sur l’hypothèse trompeuse d’une civilisation mondiale unifiée, on doit reconnaître qu’elle a constitué dans l’histoire de l’humanité un phénomène tout à fait unique et exceptionnel, causé par différentes circonstances spécifiques, et qui devait disparaître après que celles-ci auraient cessé d’agir. Mais si l’on entend par économie mondiale la coopération de peuples, de civilisations et de groupements économiques différents, se complétant réciproquement à beaucoup de points de vue, sans pour autant être placés dans la dépendance les uns des autres, une économie mondiale a toujours existé et elle existera de nouveau lorsqu’aura pris fin la crise actuelle de l’économie mondiale capitaliste. L’indépendance des civilisations, celles-ci étant fondées, par conséquent, sur une base raciale, constitue la condition nécessaire de l’indépendance économique des différents groupes civilisés et, par voie de conséquence, la condition d’une coopération solide sur le plan économique mondial. Cette collaboration économique mondiale, c’est-à-dire le commerce mondial, ne doit jamais, si elle doit être vraiment durable, constituer pour un peuple une nécessité impérieuse et pressante. En effet, un peuple ne peut supporter de dépendre du commerce mondial que s’il existe une civilisation mondiale unifiée – ou que ce peuple domine lui-même le commerce mondial. Comme la première solution doit, de nos jours, être considérée comme éliminée, seule la seconde vient en ligne de compte et il s’agit là déjà d’une solution raciale : économie mondiale doit, dans ce cas, se traduire par domination mondiale d’un peuple. Cependant cette formule (qui, comme nous le verrons, correspond à la solution spécifiquement anglaise du problème) devient elle-même inopérante lorsqu’elle peut être contestée avec succès par d’autres peuples. C’est précisément ce qui se passe au cours de la crise actuelle et ce qui contribue à accélérer l’évolution orientée dans le sens d’une véritable coopération économique mondiale entre tous les peuples qualifiés. »[7]

Autrement dit, la situation antique devrait être le modèle d’une mondialisation équilibrée, juxtaposant des économies-mondes, et donc des Empires-mondes.

 « Cette mission ne peut s’accomplir que par la communauté et la collaboration, par une communauté politique et sociale des grands peuples pris en eux-mêmes, par une communauté nationale des peuples dans les grands espaces qui leur sont dévolus, et enfin par une collaboration, pacifique et respectueuse des droits de tous, de tous les grands espaces économiques et des Empires mondiaux. Il n’en naîtra, certes, aucune culture, ni aucune civilisation mondiale unifiée, mais seulement une vie en commun féconde des différentes grandes cultures originales, vivant ensemble dans une communauté mondiale. »[8]

Loin de tout globalisme libéral, il ne pouvait, il ne devait y avoir, pour Ferdinand Fried, aucun espace économique mondial unique, mais un partage du Monde en grands espaces, en économies-mondes, dont, on l’aura compris, le Lebensraum du IIIe Reich. L’idéologie nazie peut ainsi se comprendre comme un anti-mondialisme.

Bibliographie

Fernand Braudel, 1949, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin.

Fernand Braudel, 1979, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin.

Olivier Dollfus, 1984, « Le système Monde. Proposition pour une étude de géographie », Actes du Géopoint 1984. Systèmes et localisations, Groupe Dupont, Université d’Avignon, p. 231-240.

Ferdinand Fried, 1942, Le Tournant de l’économie mondiale, trad. de l’allemand par G. Fain, Paris, Payot (Die Wende der Weltwirtschaft, 1937).

 


Notes

[1] Fernand Braudel, 1949, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, p. 320.

[2] Ibidem, p. 325.

[3] Ibidem, p. 333, note 1.

[4] Fernand Braudel, 1979, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, vol. 3, Le Temps du monde, Armand Colin, Paris, p. 12.

[5] Ferdinand Fried, 1942, Le Tournant de l’économie mondiale, Paris, Payot, p. 9.

[6] Ibidem, pp. 15-16, 17, 18.

[7] Ibidem, pp. 14-15.

[8] Ibidem, p. 406.

L’océan Indien de Philippe Beaujard (2)

 

Après avoir recensé le premier tome du travail de Philippe Beaujard, Les Mondes de l’océan Indien, sur ce blog, le 7 janvier dernier, je viens de terminer son tome 2 qui porte sur la période 600-1500. À vrai dire on sort un peu « groggy » après les 580 pages d’une telle lecture, tant la richesse du matériau accumulé apparaît toujours aussi  invraisemblable, tant les problématiques sont abondamment documentées et discutées dans le moindre détail, tant également il paraît difficile de retenir les faits ou éléments d’analyse significatifs, à l’évidence trop nombreux. Mais le plaisir de la découverte reste entier… Et plus que tout, on quitte ces pages avec l’impression qu’on ne savait presque rien du sujet avant de se laisser emporter par l’auteur sur les chemins du renouveau islamique, les expéditions des Chola, les relations entre Chinois et Mongols, l’essor puis le déclin de Mojopahit, les stratégies des marchands karīmī ou encore la subtilité du grand commerce swahili.

Ce volume peut, de prime abord, être considéré comme plus accessible que le premier dans la mesure où il traite de périodes plus proches de nous et réputées mieux connues : nous allons voir que c’est en partie une illusion, tant l’auteur mobilise de faits et d’histoires familiers aux seuls spécialistes d’une part, tant la synthèse obtenue est manifestement innovante d’autre part. On pourrait aussi penser que son objet est mieux cerné. À la différence du premier volume qui nous présentait la lente création, puis la pluralité des systèmes-monde régionaux, entre le Néolithique et notre ère, enfin leur unification en un seul système afro-eurasien, ce second tome traite de l’évolution de cet unique système-monde, de ses cœurs successifs, de ses dynamiques et de ses retournements de hiérarchies, dans un cadre désormais établi. Il s’ouvre avec l’essor parallèle de l’Islam et de la Chine Tang (7e siècle) et se clôt au moment où les aventuriers européens vont considérablement élargir le monde connu et rendre moins significatif le seul espace afro-eurasien. Mais si le système est désormais unique, la problématique du livre éclate rapidement en une multitude de thématiques d’analyse tout à fait cruciales, lesquelles empêchent de se contenter d’une description chronologique linéaire.

Ce volume est divisé en trois livres principaux, correspondant rigoureusement aux pulsations enregistrées de ce système-monde afro-eurasien. Le premier livre traite du cycle d’expansion-contraction qui se met en place entre 6e et 10e siècles, avec comme cœurs, la Chine Tang, les califats omeyyade puis abbasside, sans doute aussi quelques royaumes indiens et l’Empire byzantin. Au cours de ce cycle, la contraction est relativement longue, environ 150 ans, de 850 à la fin du 10e siècle. Le deuxième cycle (11e -14e siècles) est engagé par le dynamisme de la dynastie Song avec comme cœurs annexes l’Inde chola puis du sultanat de Delhi, les empires seljukide puis ilkhanide, l’État égyptien enfin. Au sein de ce cycle, la contraction est nettement plus courte, 70 ans environ, à partir de 1330. Le troisième livre ne correspond qu’au premier essor du troisième cycle, au seul 15e siècle, mené par les Ming, quelques sultanats indiens (notamment du Gujarat), l’empire de Vijayanāgara, les empires ottoman, safavide, moghol et toujours l’Égypte. Dans chacun de ces livres, les différentes aires géographiques sont traitées successivement, bien sûr en marquant à chaque fois les relations entre les différents espaces. Mais la lecture peut aussi éviter la juxtaposition des chapitres géographiques et se faire selon trois cheminements distincts. Comme dans le premier tome, le lecteur peut pratiquer une lecture abrégée en étudiant les introductions des trois livres, puis le remarquable épilogue, soit au total 110 pages qui fourniront les jalons essentiels du volume. Il peut aussi pratiquer la lecture linéaire (complète) proposée par l’auteur qui a évidemment ses vertus. Il peut enfin lire d’abord avec profit les pages 537 à 580 de l’épilogue : il y trouvera l’essentiel des conclusions de Beaujard et surtout se familiarisera avec l’explication de la logique systémique (pp. 537-546), elle-même reprise dans le schéma (noté Ep.3, juste avant la page 577) particulièrement utile en cours de lecture. De même, il est conseillé de bien analyser les planches (notées Ep.1 et Ep.2) qui donnent une vision très synthétique des hypothèses analytiques de l’auteur. C’est seulement après que le lecteur pourra choisir entre lecture abrégée et lecture complète.

Comme dans le premier tome, la pertinence de l’idée de système ne se révèle que très progressivement, lors des innombrables avancées analytiques que recèle la lecture complète. C’est bien la chair du système-monde qui nous apparaît peu à peu, dans une démarche parfois très empirique et inductive, sans pour autant que l’on se noie dans la mesure où le fil directeur est assez souvent rappelé. À la différence d’approches plus théoriques et déductives, Beaujard construit la complexité des systèmes-monde sans nous épargner les détails ou les nuances, même lorsque l’hypothèse théorique peut en ressortir affaiblie. Par exemple il ne cède pas à la tentation de ne relever qu’un cœur ou centre, tout en reconnaissant que dans ces trois cycles, la Chine est véritablement motrice. Du reste, la démonstration de cette influence chinoise n’est pas véritablement faite. Il faudrait, pour en amener la preuve, montrer que la croissance chinoise précède toujours celle des autres cœurs, semi-périphéries et périphéries, de quelques années ou décennies. Il faudrait aussi montrer par quel biais l’essor en Chine engendre un essor général : est-ce par ses transferts de techniques ? Serait-ce par ses exportations de produits désirables qui pousseraient les élites d’autres régions à faire produire leurs « dépendants » afin d’obtenir ces biens en contrepartie ? Serait-ce encore par ses réformes institutionnelles bonnes à copier, son poids démographique (via les importations), ses velléités impériales (comme au début du 15e siècle) ? Sur tous ces points on pourra regretter que l’auteur reste plus allusif que conclusif, même s’il amène beaucoup d’éléments, notamment dans l’épilogue. Et ce n’est pas un mal que ce débat reste ouvert…

Un des apports de ce tome 2 réside dans l’analyse faite des liens entre marchands et pouvoirs politiques. Une certaine vulgate voudrait que l’océan Indien soit un espace dans lequel les pouvoirs politiques auraient laissé faire les marchands, par indifférence idéologique d’une part, parce que les ressources étatiques se trouvaient plutôt dans la taxation foncière d’autre part. Ainsi, on n’aurait que rarement cette imbrication entre politiques et marchands, cette institutionnalisation du pouvoir des marchands, voire cette instrumentalisation mercantiliste des commerçants « nationaux » qui caractérise l’Europe, dès le 13e siècle avec Venise et Gênes, puis les Pays-Bas au 17e. De fait, le concept de diasporas commerçantes semble là pour proposer un tout autre modèle, permettre un commerce affranchi des pouvoirs étatiques et une certaine liberté des individus assurant la circulation des biens. Sur ce point, le livre de Beaujard constitue une véritable mine dans la mesure où il montre que de multiples types de relations sont possibles et qu’aucune conclusion simple ne s’impose. Si le commerçant diasporique existe bien, on observe aussi le lien étroit du pouvoir avec des guildes marchandes (Empire mongol et différents États de l’Inde), l’existence de princes qui se font marchands (Inde et Asie du Sud-Est), voire même condottieres, des cas invraisemblables de taxation étatique (cas du Yémen rasūlide en 1422), des aventures personnelles de marchands qui deviennent souverains. Par ailleurs les expéditions militaires maritimes afin de protéger « ses » intérêts et ceux de ses marchands ne sont pas si rares (Égypte mamelouke au 15e siècle, pouvoir chola en 1025 contre Sriwijaya, soutien actif de la Chine ming au sultanat de Malacca en 1405, etc.). Cependant, de tels liens semblent ne pas s’avérer durables ni institutionnalisés. Par ailleurs et surtout ils n’amènent pas cette politique d’expansion et d’implantation commerciale par la force qui caractérisera l’Europe à partir du 16e siècle : peu de politiques de comptoirs, encore moins de conquêtes territoriales visant à former un empire indissolublement politique et commerçant. Autrement dit, si les idées mercantilistes ont pu pénétrer l’esprit de bien des souverains de l’océan Indien, elles n’ont que très rarement revêtu les formes que privilégiera l’Occident. Sur ce point Beaujard ne renie pas une partie de la vulgate, mais il la précise et la complexifie singulièrement.

Un second point peut retenir l’attention, la question de la logique systémique. Pour l’auteur, les choses semblent claires : une logique unique existe avant le 16e siècle tandis qu’ensuite, avec l’émergence du capitalisme européen, ce mode de production sera à même d’imposer au système-monde sa logique propre. Cependant, la complexité de la logique systémique générale proposée pour les périodes pré-modernes (voir ici les pages 537-546) suscite quelques interrogations quant aux formes précises qu’elle peut prendre dans chacune des phases d’expansion. En général et au départ, c’est bien un facteur exogène, le changement climatique avec réchauffement et humidification qui semble, dans la quasi-totalité des situations, engendrer croissance agricole, donc aussi démographique, puis croissances des échanges, de l’industrie et des villes, lesquelles à leur tour stimulent innovations techniques, idéologiques et institutionnelles. Ces dernières, en accroissant la division du travail et en stimulant la compétition permettent un remarquable progrès tant de l’État que du secteur privé. Mais elles déterminent aussi indirectement inégalités sociales (donc conflits, voire guerres) et diminution des ressources, baisse des rendements marginaux de l’investissement et parfois décentralisation du capital. La spirale négative menant à la contraction est alors enclenchée. Il est dommage que l’ouvrage ne nous fournisse pas, au sein de chaque cycle systémique, un tableau précis de ce qui se réalise de ce schéma général et de ce qui reste secondaire ou inexistant. En clair, il semble qu’un schéma de logique systémique aurait pu être spécifié pour chacun des trois cycles étudiés ici. À titre d’exemple, la phase d’expansion du 15e siècle semble moins résulter de progrès agricoles (dans le cadre d’un réchauffement caractérisé) que d’une réelle ouverture commerciale assez générale impliquant la Chine de Yongle, l’Empire de Vijayanāgara, les sultanats commerçants indiens (Gujarat et Bengale), leurs équivalents à Malacca, Pasai, Brunei, ou encore les réseaux égyptien et yéménite. Comment en rendre compte dans le cadre du schéma proposé de logique systémique ? Il y a sans doute là des travaux complémentaires à mener qui ne pourraient qu’enrichir les analyses déjà réalisées.

On pourrait sans doute faire des remarques similaires sur les types de hiérarchies que l’auteur propose : par exemple, alors que le statut de semi-périphérie est souvent très bien analysé (voire par exemple le cas de la côte swahili), on a parfois du mal à saisir, dans chaque cycle, qui sont les semi-périphéries par rapport aux périphéries. Des tableaux synthétiques s’imposeraient sans doute. De même la question de la monétarisation des économies, que l’auteur juge à juste titre fondamentale, fait plus l’objet de développements informatifs que véritablement analytiques : quelles régions parvenaient à internationaliser leurs monnaies et avec quels effets en retour ? Là aussi une synthèse manque peut-être afin de faciliter la mémorisation d’un lecteur qui se voit débordé par la masse d’informations… D’autres thèmes seraient à évoquer, par exemple celui de la création des systèmes de marchés et de leur effet économique en retour sur les pays qui les mettent en place, fût-ce de façon encore embryonnaire. De même quant à la structure des excédents et déficits commerciaux dans le système-monde, question cruciale dans le cadre de la détermination des hégémons éventuels successifs de ce système. Cependant sur ces différents points, la démarche plus déductive que j’aurais tendance à privilégier n’est pas nécessairement la meilleure. Il était important sans doute de réunir d’abord un riche matériau factuel avant de songer ensuite à l’exploiter à partir d’hypothèses théoriques renouvelées… En revanche on trouvera ici une analyse très originale et subtile de l’échange inégal et de sa construction sociale à partir d’une remarquable étude de la désirabilité des biens échangés dans le commerce de longue distance.

Au total, et il ne faudrait surtout pas l’oublier, c’est bien d’un prodigieux livre d’histoire qu’il s’agit ici, ouvrage d’érudition et de repérage, à l’échelle du monde de l’époque, de la diversité des liens économiques, politiques, culturels et religieux entre les sociétés. C’est aussi un livre de plaisir, celui de découvrir des faits inattendus, voire stupéfiants, de réaliser aussi combien les hommes ont pu réagir de façons différentes à des problèmes similaires. C’est enfin un livre qui génère une intense satisfaction, celle de sentir que notre connaissance progresse et que le « monde global » s’est construit dès ces temps anciens, en dehors d’une Europe qui, pour important qu’allait être son rôle ultérieur, n’en constitue pourtant que le « visiteur du soir ».

BEAUJARD P. [2012], Les Mondes de l’Océan Indien, tome 2 : L’océan Indien au cœur des globalisations de l’Ancien Monde (7e – 15e siècles), Paris, Armand Colin.

L’Islam a-t-il fixé des standards technologiques ?

La question des transferts de techniques occupe une place importante en histoire globale. Au-delà du jeu élémentaire consistant à savoir qui, des Européens, des Chinois, des Indiens ou encore du monde musulman, a inventé le zéro, l’écluse, la charrue ou la lettre de change, l’histoire globale révèle surtout la créativité collective mise en œuvre dans l’obtention de la plupart des standards technologiques qui ont constitué la modernité. Ainsi en va-t-il des techniques commerciales et financières musulmanes que les cités-Etats italiennes ont reprises en les sophistiquant à partir du 13e  siècle, parfois en y incorporant des résultats mathématiques venus de l’Inde. De même, on ne saurait parler des armes à feu sans invoquer d’abord la combustion du salpêtre par les Indiens, puis la mise au point chinoise de la poudre au 11e siècle, la réalisation des premiers fusils par les Mongols vers 1288, celle du canon tirant les premiers projectiles métalliques par les Florentins en 1326, enfin la sophistication de ces armes à feu par les Ottomans, Perses safavides et Moghols au 16e siècle. Mais au-delà de ces interactions créatives, la question est aussi celle de l’arrivée à maturité de ces techniques. À partir de quel moment et sous quelles conditions un ensemble de techniques atteint-il un stade d’achèvement provisoire permettant de définir une sorte de standard ? Comment ce standard peut-il ensuite se diffuser ?

Ce sont là quelques-unes des questions que posait Edmund Burke III en 2009, dans un article très suggestif du Journal of World History. Pour y répondre, il définissait des « complexes technologiques » dans neuf champs spécifiques : armement, textile, écriture/information, pyrotechnologie, gestion de l’eau, fiscalité/bureaucratie, énergie animale, transport maritime, mathématiques. Au-delà des limites évidentes de cette liste et d’un découpage sans doute contestable, il pouvait sur cette base étudier trois champs dans lesquels le monde musulman des 8e-12e siècles a possiblement déterminé des standards cruciaux, en matière de gestion de l’eau, d’écriture/information et de mathématiques.

Présentons ici les deux premiers champs.

Pour ce qui est de la gestion de l’eau, Burke commence par analyser les formes de captage et de transport qui étaient propres aux différents espaces que le monde musulman allait fédérer. En Égypte, outre les canaux d’irrigation, ce sont la noria, le chadouf et la vis d’Archimède qui étaient couramment utilisés. En Mésopotamie, barrages et canaux étaient plus sophistiqués et l’usage de réservoirs était répandu. Sur le plateau iranien, beaucoup plus sec, c’étaient les qanats (sorte de tunnel relié à la nappe phréatique sous une colline et descendant en pente très douce pour affleurer sur le coteau, tunnel par ailleurs surmonté de puits à intervalles réguliers pour l’entretien) qui permettaient l’irrigation. Il en était de même dans la vallée de l’Indus tandis qu’en Inde centrale les réservoirs constituaient la norme. Avec l’Islam, ces diverses technologies hydrauliques allaient connaître une diffusion rapide à partir de l’ère abbasside : transfert de la pratique des réservoirs iraniens et indiens jusqu’au Maroc ; circulation des techniques d’irrigation persanes et des cultures connexes vers le Yémen, l’Afrique du Nord, l’Espagne ; utilisation de qanats à Sijilmassa, laquelle permettra la création d’une étape cruciale du commerce de l’or soudanien… Cette circulation allait être encouragée par les pouvoirs politiques en parallèle de la publication de manuels agricoles et de la diffusion de semences. Les progrès agricoles du monde islamique auraient ainsi concerné les rendements, les rotations culturales, le nombre de récoltes annuelles [Watson, 1983] quoique certains textes récents nuancent ces améliorations [Decker, 2009]. Pour Cioc [in Burke and Pomeranz, 2009], les prouesses hydrauliques du monde musulman auraient servi à Venise et aux Pays-Bas, comme pour l’établissement de barrages sur le Pô et le Rhin. Le standard musulman aurait aussi concerné l’Espagne puis, par ricochet, l’Amérique : « Tant les galeries d’irrigation mexicaines que les puquios du Pérou seraient dérivés de la technique des qanats importés par les Espagnols » [Burke, 2009, p. 175].

En matière d’écriture et de diffusion de l’information, Burke commence par montrer que papier et imprimerie ne pouvaient avoir de retentissement spectaculaire en Chine. En raison d’abord de la valorisation culturelle de la calligraphie. Mais surtout, du fait des milliers de caractères (par ailleurs à multiples traits) à créer, la xylographie devenait lourde et peu performante. Quant à la technique des caractères mobiles, elle n’avait guère plus d’intérêt. C’est donc pour lui dans le monde musulman que papier et imprimerie avaient un véritable avenir. Ce fut le cas dès le 11e siècle où la lecture et la possession de livres semblent avoir été des signes certains de distinction. À cette époque, les livres étaient encore reproduits à la main, le plus souvent en présence de l’auteur lors de séance de lectures de vérification… L’apport de l’imprimerie ne fut pas cependant totalement décisif : la nécessité d’écrire, non seulement l’arabe, mais aussi le turc, le persan et l’ourdou, requérait environ six cents caractères individuels ; des problèmes similaires à ceux rencontrés en Chine se posaient donc. Il n’en demeure pas moins que les bibliothèques furent rapidement pléthoriques en ouvrages de toutes sortes : au 10e siècle, la bibliothèque du califat omeyyade espagnol recelait dit-on 400 000 livres, soit 200 fois plus que la bibliothèque du pape d’Avignon, un siècle plus tard. Les universités musulmanes allaient aussi contribuer à cet effort même si elles allaient restreindre drastiquement le nombre de matières enseignées. De leur côté, les universités européennes, plus tardives, allaient progressivement libérer le savoir hors du champ purement religieux et s’intéresser à la philosophie, aux sciences naturelles, etc. Dans ces conditions, avec un alphabet de 26 lettres, donc l’intérêt d’inventer une technique d’imprimerie à caractères mobiles, d’une part, un développement multidimensionnel du savoir, d’autre part, il n’est pas étonnant que ce soit l’Europe qui ait tiré pleinement parti du standard papier/imprimerie mis au point dans le monde islamique.

Pour suggestive qu’elle soit, la démonstration de Burke est sans doute en partie critiquable.

En premier lieu, il ne définit pas précisément ce qu’il nomme un complexe technologique. Comment l’identifier ? Quelles sont les limites d’un complexe technologique donné par rapport aux autres ? En quoi réside sa cohérence ? Autant de questions premières auxquelles réponse n’est pas donnée. L’auteur se contente de dire que cette appellation permet à la fois de rendre compte des aspects « hardware » (les instruments physiques) et des aspects « software » (les connaissances et la culture pratique) de la technologie. Il ne se réfère à aucun théoricien classique de l’analyse des techniques (Mumford, Gille ou Needham). Puis il illustre cette notion par l’analyse des trois « complexes » que nous venons d’évoquer. Au plan méthodologique donc, la réflexion semble devoir être poursuivie.

En second lieu, la notion de « standard » demeure tout aussi incertaine à déterminer. Dans son premier exemple, la gestion de l’eau, le standard semble se résumer à l’agrégation de différentes techniques et à la diffusion de leur utilisation. C’est un des éléments à prendre en compte évidemment mais il n’est nullement démontré que le « complexe » parvienne alors à un certain palier, par exemple en termes de productivité. Dans son second exemple, la narration même de la diffusion du papier et de l’imprimerie montre que l’état du « complexe » sous l’Islam reste très provisoire et inachevé : c’est le perfectionnement européen, avec les caractères mobiles, qui va donner son plein essor au binôme papier/imprimerie.

Malgré ces réserves, qui sont moins une critique qu’un encouragement à la recherche de concepts plus précis, le travail de Burke a beaucoup de mérites. Celui de montrer ce que l’Europe, en matière de technologies, doit à l’Islam des 8e-12e siècles et à travers lui à l’ensemble de l’Asie, n’étant certainement pas le moindre…

 

BURKE E., 2009, « Islam at the Center: Technological Complexes and the Roots of Modernity”, Journal of World History, vol. 20, n° 2.

BURKE E., POMERANZ K., 2009, The Environment and World History, University of California Press.

CIOC M., 2009, “The Rhine as a World River”, in Burke & Pomeranz, op. cit.

DECKER M., 2009, “Plants and Progress: Rethinking the Islamic Agricultural Revolution”, Journal of World History, vol. 20, n° 2.

WATSON A., 1983, Agricultural Innovation in the Early Islamic World, Cambridge University Press.