La mer impériale

À propos de :

Atlas des empires maritimes. Une histoire globale vue des océans

Cyrille P. Coutansais, CNRS Éditions, 2013.

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Ayant récemment dirigé un hors-série de Sciences Humaines Histoire consacré à « La nouvelle histoire des empires », j’ai été frappé, lors de mes lectures exploratoires du sujet, par une observation de Gérard Chaliand : si l’Inde a pu être conquise tout entière par les Britanniques, alors que les conquérants précédents (d’Alexandre le Grand aux Moghols, qui ne contrôlaient que l’Inde du Nord) s’y étaient cassés les dents, c’est qu’ils seraient arrivés par voie maritime, et non terrestre.

Voile et canons

Par un hasard amusant, l’image retenue en couverture de « La nouvelle histoire des empires » est celle d’un navire occidental des 17e ou 18e siècles, un brick peut-être (je ne suis pas spécialiste de technologie marine). En tout cas, il montre ce que Geoffrey Parker, dans La Révolution militaire (voir le billet « La guerre moderne, 16e – 21e siècles »), estime être le ressort de la puissance coloniale occidentale : au-delà de la capacité à mettre en œuvre des canons, l’habilité à les utiliser sur mer, émergeant des lignes de sabord, en ligne, au plus près de la ligne de flottaison, permettant d’envoyer par le fond tout rival assez téméraire pour s’y frotter. Des Portugais s’insérant de force dans les réseaux commerciaux de l’Asie côtière du 16e siècle aux Britanniques assiégeant la Chine au 19e siècle, les empires coloniaux européens s’imposent progressivement au monde par cette combinaison meurtrière d’artillerie et de voile (cette dernière étant remplacée tardivement par le cuirassé mû par la vapeur), comme le soulignait Caro M. Cipolla dans un livre au titre explicite : Guns, Sails, and Empires: Technological innovation and the early phases of European expansion, 1400- 1700 [Sunflower University Press, 1985].

D’Athènes à Albion, en passant par Sriwijaya et Venise, la mer a permis à des hégémonies différentes de s’imposer. N’ayant pas disposé du temps nécessaire à leur évocation dans « La nouvelle histoire des empires », je vais combler cette lacune en explorant un étonnant ouvrage : l’Atlas des empires maritimes. Une histoire globale vue des océans, de Cyrille P. Coutansais – premier atlas publié en français se revendiquant des apports de l’histoire globale.

Il est vrai que le terme empire, comme le souligne l’auteur, conseiller juridique à l’état-major de la Marine française, « évoque l’Égypte pharaonique, la Perse achéménide ou encore la Chine des Ming plutôt que les dominations crétoise, carthaginoise ou vénitienne. La raison ? Probablement une fascination pour ces grandes emprises continentales, aptes à rassembler peuples et territoires, et une méconnaissance des choses de la mer. L’apparent soft power vénitien n’a pourtant rien à envier au hard power gengiskhanide. » L’argument, en creux, ramène aussi à un paradoxe : en France, le terme empire renvoie d’emblée aux Premier et Second Empires des Napoléon, ou à l’Empire colonial d’une France successivement royaliste, révolutionnaire, impériale et républicaine – des entités qui avaient une dimension ultramarine plus ou moins affirmée, mais tenue pour périphérique.

Un empire maritime, poursuit Coutansais, est « une puissance détenant une flotte capable d’exercer sa force et son contrôle sur les mers, afin d’en maîtriser les principaux courants d’échange. » Telle quelle, elle détient ainsi une « capacité hégémonique. Si Venise peut faire face à l’Empire ottoman, elle le doit certes à sa puissance financière qui lui offre la possibilité d’armer sans cesse de nouvelles galères mais, plus encore, à son rôle d’intermédiaire obligé du commerce entre l’Orient et l’Occident. La Sublime Porte, dépendante des ressources que lui procurent ces échanges, est ainsi contrainte de se plier au bon vouloir de la Sérénissime. »

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L’air de la montagne rend-il libre ?

À propos de :

Zomia, ou L’Art de ne pas être gouverné

James C. Scott [2009], The Art of Not Being Governed. An anarchist history of Upland Southeast Asia, Yale University Press, 2009, trad. fr. Nicolas Guilhot, Frédéric Joly et Olivier Ruchet, Paris, Seuil, 2013.

Zomia

Anthropologue, James C. Scott se revendique de l’anarchisme. S’appuyant sur les thèses que Pierre Clastres avait posées en observant les sociétés indiennes d’Amérique du Sud [La Société contre l’État, Minuit, 1974], il livre ici une très dense histoire des zones montagneuses d’Asie du Sud-Est, défendant l’idée que ce massif montagneux d’Asie du Sud-Est aurait vu se maintenir un état particulier, et autrefois planétairement partagé, des communautés humaines : le refus de la soumission à l’État.

La Zomia, tel est le nom consacré donné à cette région depuis une décennie. Elle s’étend, selon les auteurs, de la Chine du Sud à la Birmanie (soit 2,5 millions de km2, abritant 100 millions de personnes), ou se prolonge jusqu’à l’Afghanistan (Zomia 2). Peu importe les limites, puisque le propre des communautés qui l’habitaient était de les refuser. Scott tranche d’emblée : est Zomia toute étendue qui, en Asie continentale, orientale et australe, occupe un relief d’une altitude supérieure à 300 m. La conséquence : en plaine, des zones propices à la production céréalière et au contrôle étatique des populations. En hauteur, des terres livrées à l’agriculture vivrière et/ou au semi-nomadisme, d’une grande diversité écologique, caractérisées par la présence de populations fuyant l’État. La Zomia, précise l’auteur, se trouve à la périphérie de neuf États et au centre d’aucun.

La 24e édition du Festival international de géographie de Saint-Dié des Vosges, du 3 au 6 octobre 2013, étant consacrée à la Chine, nous allons donc explorer ses marges australes. Scott se concentre sur les tribus habitant la Chine du Sud et de l’Est, ainsi que les hautes-terres du Viêtnam, de Thaïlande, de Birmanie, du Laos… Hmong, Akha, Liao, Karens, Lahu, Wa… Leurs noms sont aussi nombreux que leurs spécificités sociales, vestimentaires, etc. Cette hétérogénéité, pour autant, n’est pas exclusive : on y passe facilement d’une identité à une autre.

La Zomia serait « la dernière zone du monde dont les peuples n’ont pas été intégrés à des États-nations », du moins, nuance-t-il, avant que les années 1950 ne voient les stratégies d’« engloutissement » étatiques, les « technologies destructrices de distance » (voies ferrées, aviation, téléphone, technologies de l’information…) atteindre un niveau de performance tel que les reliefs labyrinthiques des monts d’Asie, qui jusqu’ici avaient épargné à leurs habitants la souveraineté des États voisins, n’ont plus été en mesure de jouer leur rôle protecteur. La démonstration est érudite. L’ensemble des données brassées a permis à plusieurs spécialistes une chasse à l’erreur plus ou moins fructueuse. Mais ce type de thèse généraliste se prêtant facilement à l’exercice, mieux vaut examiner la thèse de fond.

Scott fait de cet état de « peuples se gouvernant eux-mêmes » le propre de l’humanité depuis la monté en puissance des États, qu’il voit comme débutant au début de l’ère chrétienne. À ce stade, une objection vient déjà à l’esprit : les États ont existé bien avant, comme il le reconnaît, en Égypte, en Mésopotamie, en Chine, etc. Mais ils ne contrôlaient, selon lui, qu’une part négligeable de la population mondiale – affirmation discutable, si on admet que l’État ne peut émerger que dans des endroits densément peuplés, propices à une segmentation de la population en classes de spécialistes se consacrant à des tâches définies : l’agriculture, la guerre, le gouvernement, la religion… La caractéristique des peuples sans État est que ceux qui y vivent peuvent se livrer à tout ou partie de ces tâches, d’accord. Mais comment expliquer que ces sociétés sans État, qui auraient joui d’une démographie supérieure à celle des États, se soient contenté de refluer progressivement devant l’avancée, pour la moitié nord de la Zomia par exemple, de l’État chinois de l’ethnie Han ?

La principale faiblesse de la thèse de Scott est qu’elle repose sur un leitmotiv : vouloir « déconstruire les discours de civilisation », la frontière séparant le barbare du civilisé, le cru du cuit, le primitif du moderne est bien sûr louable. Ne présenter ces sociétés que par le biais de « l’histoire de l’absence d’État, délibérée et réactive », revient pourtant à leur prêter comme moteur un refus conscient et constant de la coercition étatique. C’est un exercice d’équilibrisme, dont Scott se tire avec maestria. Tout son art consiste à souligner que certes, sur la longue durée, l’histoire nous montre que les États sont des prédateurs pour leurs marges : ils en extraient des matières premières, des travailleurs forcés, n’ont de cesse de s’approprier ces espaces pour les recenser, leur extorquer des ressources et en assimiler les populations. Et oui, partout où l’on trouve des montagnes, on y voit de la diversité ethnique, car toute minorité a historiquement tendance à y trouver refuge. Le patchwork ethnique afghan comme la carte des minorités confessionnelles de Syrie en atteste. Mais ces communautés ont plus probablement exploité un état de fait (on se préserve mieux de la violence de la majorité en occupant des endroits faciles à défendre ou propices à l’esquive) que cherché consciemment et méthodiquement à passer entre les mailles du filet étatique.

En paraphrasant une formule célèbre, il est facile de défendre que « l’air de la montagne rend libre. » Scandant ce refrain, l’ouvrage campe une histoire formidable, rendant aux sans-voix (les habitants de la Zomia ont souvent refusé l’écrit) et aux minorités opprimées leur place. On saura aussi gré à l’auteur d’entreprendre une histoire de la construction étatique refusant tout évolutionisme et tout téléologisme. Mais Scott souligne à l’envi dans cette longue saga la présence d’une main invisible et omniprésente, celle d’un refus conscient et répété de la domination de l’État. Un historien moins préoccupé de calquer le concept moderne d’anarchisme sur la longue durée y verrait plutôt une influence du milieu favorisant certains développements : les zones montagneuses étant propices à la survie des minorités, celles-ci s’y sont concentrées. Soumises à la pression des voisins, elles y ont développé des techniques d’esquive – comme une agriculture souple, générant des surplus récoltables à dates diverses et facilement dissimulables. Par leurs reliefs accidentés, leurs populations clairsemées, ces régions obéraient l’extension des États, jusqu’à l’avènement des technologies du 20e siècle – et en cela, Scott voit juste. La Zomia n’est désormais qu’un musée exotique, les costumes traditionnels ne se portent plus guère que pour les fêtes ou les touristes, et tout un chacun y abolit désormais quotidiennement la distance à grand renfort de téléphone portable.

L’économie de l’offshore, un pan méconnu de la globalisation

À propos de Ronen PALAN, The Offshore World, Sovereign Markets, Virtual Places and Nomad Millionaires, Cornell University Press, 2003.

La question des paradis fiscaux, plus généralement de ce qu’on nomme parfois l’économie de l’offshore, est aujourd’hui à la mode, et les grandes puissances semblent désormais d’accord pour au moins affaiblir considérablement le secret bancaire et traquer les « optimisateurs fiscaux », aimable terme du monde de l’entreprise et qui ne recouvre rien d’autre que la fraude fiscale, plus ou moins tolérée on le sait. C’est du reste cette relative tolérance qui constitue tout le problème de l’économie offshore, de son intégration fonctionnelle au monde économique officiel, de son lien particulier avec les pouvoirs politiques. C’est précisément cette problématique que développait Ronen Palan, il y a déjà dix ans, dans un livre qui constitue une pièce fondamentale de l’histoire de la globalisation économique, The Offshore World, malheureusement non traduit dans notre langue.

Que recouvre l’économie de l’offshore ? Pour Palan, les formes en sont multiples mais elles partagent toutes un point commun : les transactions offshore « se déroulent toujours dans des enclaves juridiques spécialement conçues et séparées de leurs équivalents officiels par la levée de certaines, voire de toutes les régulations ». Si c’est sans doute Radio Luxembourg qui a popularisé cette notion, et peut-être fourni le nom, par sa radio « pirate » en 1959, destinée à capter les audiences britanniques et françaises, c’est la finance qui lui a donné toute son importance. En premier lieu le marché non régulé des eurodollars dès la fin des années 1950. À partir de 1958, des exportateurs européens payés en dollars US se mirent à les déposer sur leurs comptes dans des banques françaises, britannique ou autres hors États-Unis. Ces banques les leur empruntèrent donc à moyen terme et firent ainsi des crédits en dollars, hors de toute régulation, dans leur pays de résidence comme aux États-Unis. Comme les firmes états-uniennes étaient alors gênés sur le marché américain, pour financer leur expansion extérieure, c’est elles qui fournirent le gros contingent des demandeurs sur ce nouveau marché… Deux décennies plus tard, ce marché non régulé imposait son mode de fonctionnement à l’ensemble des marchés financiers, notamment obligataires. Londres, Hong-Kong devinrent des centres offshore « spontanément » selon Palan, tandis que New York créait le sien dans les années 1980, plus tard imité par Tokyo, Singapour et Bangkok. C’est en second lieu, et c’est plus connu, les paradis fiscaux, dont les précurseurs sont d’ailleurs toujours européens et pas d’abord antillais ou latino-américains. Mais Palan ajoute à juste titre à ces deux incarnations bien connues de l’offshore, les pavillons de complaisance, les zones franches d’exportation, plus récemment certaines activités commerciales sur Internet. Au total, il montre dans une énumération particulièrement documentée que la logique de l’économie offshore est bien vivante et en perpétuelle évolution… Le véritable apport de son livre est cependant l’analyse théorique qu’il en fait, parfois avec une certaine lourdeur ou dispersion dans les arguments, mais le plus souvent avec une réelle pertinence.

Première question : le développement d’une économie offshore est-il uniquement le résultat de taxations et de régulations abusives propres aux grands pays développés ? C’est la thèse traditionnelle des théories statiques du changement qui considèrent que l’offshore s’explique en mettant en relation la rationalité des agents économiques (États, entreprises, individus) et les conditions environnementales qui président à leurs choix. Ainsi des agents rationnels et maximisant leur profit réagiront dans un sens univoque à toute transformation de leur environnement vers plus de contraintes et de taxes. À l’inverse, les théories dynamiques du changement postulent que les conditions institutionnelles et structurelles qui peuvent mener à l’offshore sont bien autre chose qu’un simple environnement extérieur. Elles sont elles-mêmes des créations historiques qui possèdent leur propre évolution tout en se transformant sous l’action des agents. C’est par exemple la thèse de Johns [1983] pour qui la structure de compétition économique entre les États, clairement mise en place par la révolution industrielle britannique voire même durant le mercantilisme, est la matrice de l’offshore. Si cette compétition s’est manifestée historiquement par la spécialisation productive, pourquoi refuserait-on aujourd’hui aux petits pays qui n’ont aucune capacité intrinsèque à engendrer du profit au sein de la production, de jouer de leur souveraineté en matière de régulation pour se créer des rentes ? Dans cette approche, le moteur de la création de l’offshore serait tout autant sinon plus à trouver du côté des offreurs que des demandeurs… Mais en finir avec l’offshore signifierait alors, soit retirer leur souveraineté à certains pays, soit amener les États à se coordonner sur une politique unique, ce qui revient au même. Il y a donc ici une contradiction lourde puisque les États ne pourraient résoudre le problème qu’au prix d’une violation des principes de souveraineté et d’autodétermination.

Palan montre alors que la théorie du « public choice » a écarté ce raisonnement en se concentrant sur la logique de la compétition en matière de régulation et de taxation. Si chaque pays fait payer un prix en échange d’un certain nombre (et d’une certaine qualité) de services, alors leur mise en concurrence devrait logiquement déboucher sur l’obtention d’un rapport qualité-prix optimal pour ces services dans chaque pays. Mais un tel raisonnement reconnaît alors implicitement la primauté du marché sur les droits souverains des États. Il admet également que la souveraineté devient un produit susceptible d’être commercialisé. Et il légitime en quelque sorte l’offshore, oubliant par ailleurs que cette compétition en matière de régulation n’est pas un fait de « nature » mais a bel et bien une histoire, un trajectoire dont précisément la théorie doit rendre compte.

L’auteur adopte en conséquence une thèse plus complexe qui va enraciner l’offshore dans l’histoire économique du 19e siècle : « La structure internationale qui apparaît à la fin de ce siècle portait une contradiction entre l’émergence d’États-nations pourvus de souverainetés mutuellement exclusives […] cherchant à imposer une taxation des affaires d’une part, l’engagement à soutenir l’internationalisation du capital d’autre part. » Et pour lui, cette contradiction forte ouvrait une multitude de solutions possibles, celle qui allait sortir étant largement déterminée par des conjonctures spécifiques, des événements particuliers, des acteurs parfois incertains quant aux conséquences de leurs actions. D’où le recours à l’histoire pour éclairer ces différents éléments.

De fait la genèse de l’État souverain européen du 19e siècle fut longue et très progressive. À la fin du Moyen Âge, les États se voient désormais comme souverains et distincts mais néanmoins encore « intégrés dans un ordre chrétien universel fondé sur une loi naturelle ». Trois siècles plus tard, sans doute en lien avec l’épistémologie newtonienne du monde, ces entités ne se voient plus comme relevant d’un ordre naturel mais comme distinctes et surtout identifiées par des espaces géographiques séparés, dès lors en compétition les uns avec les autres. La territorialisation de la souveraineté serait alors devenue centrale et c’est elle qui se cristallise au début du 19e siècle. Les frontières physiques encore incertaines sont alors précisées tandis que les zones de souveraineté maritime sont établies à 12 miles nautiques (avec du reste une extension imaginaire du territoire, tant vers la haute atmosphère – 50 miles – que vers les profondeurs de la Terre…). Mais parallèlement, la montée de la grande entreprise capitaliste détermine une internationalisation du capital à partir des années 1860 qui vient bousculer ce processus d’établissement de la « cage nationale ». Se pose alors le problème de la résolution des différends liés aux comportements de citoyens d’un pays présents sur un autre territoire : comment les régler sans violer les souverainetés respectives tout en favorisant le fonctionnement économique ? C’est notamment par l’instauration de traités bilatéraux que passe cette résolution, notamment après 1860 et le traité de libre-échange franco-britannique. Avec l’attribution d’une série de droits, pour les individus d’un pays, dans le pays partenaire, avec également l’établissement précis des « localisation juridiques », à travers également la délégation aux marchands eux-mêmes de la fixation de certaines règles, les efforts juridiques de l’époque ont résolu certains problèmes. Ils ont tout autant multiplié les failles que l’offshore allait désormais utiliser…

Curieusement, les premiers « paradis fiscaux » apparaissent dans le cadre d’une concurrence entre États… américains. Durant les années 1880, l’État du New-Jersey est le premier à proposer des avantages fiscaux aux entreprises, suivi de près par le Delaware (1898). Mais dans ces deux cas, les États correspondants accueillent physiquement l’entreprise, loin des hébergements virtuels propres à l’offshore. C’est après 1929 que les premiers exemples d’investissement offshore apparaissent réellement à partir de la Grande-Bretagne. Il est alors admis qu’une entreprise enregistrée à Londres mais dont toute l’activité serait à l’étranger ne paierait plus l’impôt britannique… C’était là une faille béante qui devait faire de Londres une véritable place offshore, quoique non déclarée comme telle. Une entreprise londonienne pouvait ainsi investir à l’étranger, s’y montrer totalement britannique pour échapper à l’impôt local, montrer inversement aux autorités anglaises qu’elle n’avait aucune activité en Grande-Bretagne, bref jouer sur les deux tableaux pour n’être plus imposée nulle part. Et ce avec sans doute une réelle tolérance de la part des autorités britanniques, bienveillance qui reflète bien la contradiction matricielle avancée par Palan. C’est aussi dans les années 1920 que, sur la base d’un secret bancaire créé dès la Révolution française pour attirer les fortunes des aristocrates, la Suisse acquit le statut de refuge international préféré des premiers « optimisateurs fiscaux ». Dans la décennie suivante, le pays renforçait son secret bancaire de façon à attirer agressivement les capitaux étrangers. Et dans le cas suisse comme dans le cas britannique, des lois furent établies permettant de séparer individus ou firmes en plusieurs entités distinctes, ce qui rendait évidemment plus facile l’utilisation de l’offshore puisque l’entité y possédant un actif se trouvait séparée de sa « forme dans le pays d’origine ». Ce principe nouveau de division possible des personnes juridiques sous plusieurs juridictions serait le véritable fondement de l’offshore

Par la suite, l’offshore est resté relativement discret jusqu’aux années 1960, à l’exception du cas très particulier du marché des eurodollars. Mais avec la crise qui secoue le monde développé, dès la fin de cette décennie, la recherche de détaxations deviendra cruciale. Mais Palan prend bien soin de montrer que ce mouvement était prévisible dès l’immédiat après-guerre : en effet le fordisme des pays développés avait accru les responsabilités économiques des États, donc aussi leur levée de recettes fiscales. Dans le même temps, les paradis fiscaux les plus en vue à l’époque, tous européens du reste (Suisse, Luxembourg, Liechtenstein, Monaco, Andorre, Gibraltar et les îles anglo-normandes) avaient maintenu les leurs à un niveau faible, notamment parce que, sans industrie ou presque, ils n’avaient pas à suivre le même chemin. Le hiatus entre les deux types de systèmes fiscaux devenait inévitable. Pour les pavillons de complaisance, l’histoire est aussi celle d’une faille ouverte fortuitement dans la législation. Devant recycler des bateaux capturés ou récupérés après la Première Guerre mondiale, les États-Unis décideront de les vendre à des Américains mais, pour ne pas qu’ils soient des concurrents nationaux des navires marchands états-uniens, ils furent obligés de s’enregistrer au Panama. Une fois ceci réalisé, d’autres armateurs comprirent vite les possibilités ouvertes par la législation correspondante. En ce qui concerne les zones franches d’exportation, c’est pareillement Puerto-Rico qui constituera un précédent à la fin des années 1940. Dans tous ces cas, Palan parle d’innovation apparemment accidentelle de ces véhicules de l’économie offshore, tout en soulignant le caractère incontournable de ces derniers, dans le cadre d’un capitalisme de plus en plus soumis, de fait, à des taxations et surtout régulations, de la part des États développés.

Nous n’avons pas la place de développer ici les remarquables ajouts de l’auteur sur la période des quarante dernières années, de même que ses réflexions plus théoriques. Mais au final il apparaît bien que le « monde de l’offshore », pour clandestin et « extérieur » qu’il soit, est profondément intégré au monde économique officiel, largement fonctionnel avec ce dernier. Tout ceci pour dire que le projet de sa disparition reste peut-être un vœu pieux, malgré la multiplicité des déclarations politiques récentes en ce sens. Néanmoins on ne peut s’empêcher de penser que l’état de détresse des finances publiques états-uniennes et européennes aujourd’hui milite quand même en faveur d’un allégement de ses abusives prérogatives. L’avenir est aussi fait d’inédit et on a toujours le droit de rêver…

Un poème peut-il changer le monde ?

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À propos de

 

Quattrocento

1417. Un grand humaniste florentin découvre un manuscrit perdu qui changera le cours de l’histoire

Stephen Greenblatt

Trad. fr. Cécile Arnaud, Flammarion, 2013.

Titre original : The Swerve, 2011.

 

Ce livre tient de l’hybride entre Le Nom de la Rose d’Umberto Eco et un classique ouvrage d’histoire de la Renaissance européenne – c’est dire s’il est adapté à des vacances imminentes. Nous sommes en 1417. Un homme mystérieux, le Pogge – diminutif pour Poggio Bracciolini –, chemine vers une abbaye en décrépitude. Ex-secrétaire apostolique d’un pape tout juste déposé, calligraphe expert, humaniste et cynique, tenace chasseur de livres oubliés, en cela héritier intellectuel de Pétrarque, il est en quête d’ouvrages ayant conservé des bribes du savoir de la Rome antique. Là, plongeant dans l’enfer de la silencieuse bibliothèque monastique, il va exhumer de la poussière des siècles, outre un traité du grand architecte Vitruve, le De rerum natura de Lucrèce. Ce faisant, il aurait imprimé au destin de l’humanité un virage décisif. Car il est question, dans ce long poème commis par un lointain partisan d’Épicure, d’atomes, d’un univers dénué de lien avec le divin, d’une philosophie du bonheur radicalement opposée au dolorisme catholique qui règne alors en maître sur l’Europe.

Ce court synopsis fait écho au Nom de la Rose, dominé par la figure d’un Guillaume de Baskerville confronté à la puissance subversive et empoisonnée du second tome de La Poétique d’Aristote – que la comédie rejaillisse, et l’Église tremblera. Ajoutons, pour renforcer l’aspect romanesque, que Stephen Greenblatt meuble les trous de son enquête par de nombreux passages semi-fictionnels. Ceux-ci lui permettent de présenter ses hypothèses, tout en évitant de recourir au conditionnel plus que le minimum. « Imaginons… » que la découverte ait eu lieu, ce qui est possible, dans l’abbaye de Fulda. Et hop, dix pages sur l’histoire de ladite abbaye, censée être le cadre de la découverte. Malheur au lecteur inattentif qui aura négligé la nuance introduite par cet « imaginons… ». Plus loin, on apprend qu’Euclide a posé ses théorèmes dans la bibliothèque d’Alexandrie – encore faudrait-il être positivement certain que ce mathématicien ait existé, avant de mentionner au conditionnel, « imaginons… » qu’il ait affûté sa géométrie dans ce cadre prestigieux.

 

Quelque chose s’est passé…

Cette critique étant posée, allons au-delà. Ce que postule ce livre, c’est une exceptionnalité européenne, nourrie dans la Rome antique, étouffée par le christianisme médiéval, revitalisée à la Renaissance. Un miracle européen appuyé, non sur l’économie, la démographie ou l’innovation technologique, mais sur les idées. L’argument sera séduisant pour certains, irritant pour d’autres, au premier rang desquels figurent les artisans d’une histoire qui se veut globale et s’emploie souvent à réfuter les multiples thèses défendant une exceptionnalité européenne. Ceci dit, je vais me faire ici l’avocat du Diable : l’auteur sait nuancer. A contrario des artifices étalés sur la couverture du livre – The Swerve, « Le Virage », titre original de l’ouvrage ; un manuscrit perdu qui changera le cours de l’histoire pour le sous-titre en français –, Greenblatt reconnaît être parfaitement conscient de ce qu’un livre ne change pas à lui seul le monde. Au mieux, et il défend que ce fut le cas de celui-ci, il contribue à induire une mutation. « Quelque chose s’est passé au cours de la Renaissance qui a libéré les entraves séculaires à la curiosité, au désir, à l’individualisme, et qui a permis de s’intéresser au monde matériel et aux exigences du corps. »

Rétrospectivement, l’apport des humanistes, clamant que l’homme est la mesure de toute chose et élaborant leurs réflexions perchés sur les épaules des géants qu’étaient les penseurs antiques, fut en effet décisif pour l’Europe occidentale. Art, architecture, idées…, jaillissaient de cette manne, pour partie exhumée des bibliothèques monastiques, pour partie glanée dans les ouvrages arabes – ce dont l’auteur ne souffle mot. Mais Quattrocento brasse large. Il faut le prendre pour ce qu’il est : une promenade amoureuse dans l’histoire de cette connexion entre une Antiquité dont ne subsiste plus que des bribes, et un moment d’exaltation, ensanglanté par les guerres de Religion, qui rima avec le début des Temps modernes. Le lecteur novice y apprendra beaucoup, sur la culture gréco-romaine, la destruction des œuvres antiques, le labeur des innombrables moines copistes de temps dits « obscurs » ou le quotidien de Florence ou du Vatican à la Renaissance.

 

L’annihilation des livres antiques

Greenblatt nous plonge ainsi dans l’univers des riches Romains, férus de philosophie, collectionneurs de parchemins, organisant des soirées où se confrontaient dans une bienveillance réciproque les visions du monde défendues par les stoïciens, aristotéliciens, épicuriens ou platoniciens… Il évoque les bibliothèques publiques romaines, dont celle d’Alexandrie, morte selon lui d’une longue agonie et non d’un incendie, alors que les païens éclairés cédaient la place aux talibans de l’époque, qui sous la houlette de saint Cyrille lapidèrent la « sorcière » Hypatie, philosophe païenne de renom. Il nous rappelle que ne subsistent aujourd’hui que d’infimes fragments des livres antiques : sept pièces de Sophocle, qui en écrivit plus de cent vingt ; quelques lignes du travail encyclopédique du savant Didyme d’Alexandrie, crédité de la rédaction de 3 500 textes ; rien du tout, si ce n’est quelques fragments épistolaires, de l’œuvre d’Épicure pourtant féconde de plusieurs centaines d’ouvrages. Il nous emmène visiter ces bibliothèques abbatiales où régnait la discipline du silence absolu, où les moines copistes recouraient à une langue des signes pour commander les ouvrages dont ils avaient besoin, recopiant inlassablement des textes dont ils avaient, pour certains, irrémédiablement perdu les clés. Il nous fait rencontrer nombre de personnages, dont l’hérétique Jean Hus, ou Niccolò Niccoli, proche ami du Pogge, riche excentrique qui dissipa la fortune familiale dans l’achat de morceaux de statues antiques que les laboureurs exhumaient accidentellement de la glèbe, une nouveauté quasi absolue dans la Florence des années 1400, et dans l’instauration nostalgique d’une bibliothèque publique – chose oubliée depuis la chute de Rome…

Le Florentin le Pogge, soupçonne Greenblatt, aurait peut-être réfléchit à deux fois s’il avait appréhendé à quel point sa découverte allait bouleverser l’univers qu’il connaissait. Avec le long poème de Lucrèce ressuscitait l’authentique pensée épicurienne, qui faisait du plaisir un devoir moral et non un impératif sybarite subordonnant l’esprit à la dépravation, comme l’avaient affirmé ses détracteurs chrétiens menés par un saint Jérôme un temps acquis aux idées de Cicéron avant de s’en faire le Torquemada. Resurgissait l’idée grecque d’un monde constitué d’atomes, indifférent à l’égard des dieux, accessible à l’entendement humain – en bref, une pensée susceptible de libérer l’esprit des terreurs surnaturelles et donc de l’emprise d’institutions régnant par l’imposition de croyances superstitieuses. L’âme redevenait mortelle, et l’Église, comme l’avait pressenti le vindicatif théologien Tertullien qui considérait l’épicurisme comme la pire des menaces planant sur le christianisme, vacillait sur ses bases.

 

De la Nature, une révolution dans la pensée

Une partie du livre est consacrée à la carrière du Pogge dans la curie romaine – foyer d’hypocrisie que son contemporain Lapo Da Castiglionchio qualifie déjà de lieu où « le crime, l’amoralité, l’imposture et la tromperie se parent du nom de vertu et sont tenus en haute estime », avant de s’interroger : « Qu’y a-t-il de plus étranger à la religion que la curie ? » et d’appeler le pape à trier le bon grain de l’ivraie. Toute ressemblance avec l’actualité ne serait que fortuite, devine-t-on. En tout cas, le Pogge brille dans ce milieu dépravé, usant avec un art consommé de la calomnie mortelle autant, sinon plus, que de sa magistrale maîtrise du latin, consignant son quotidien dans une compilation de notes, les Facetiæ, allant jusqu’à se poser en moralisateur dans un Contre les hypocrites. Parti de rien, le Pogge était un carriériste exceptionnel devenu à 30 ans secrétaire apostolique du roi de l’intrigue qu’était le pape Jean XXIII – non, pas celui du concile Vatican II ; le premier Jean XXIII se fera tant d’ennemis qu’il sera le seul pape de l’histoire à être destitué et rayé des listes pontificales, ce qui « libérera » le nom de Jean XXIII pour un nouvel usager, qui attendra six siècles histoire de faire oublier ce sulfureux prédécesseur. Son maître mis hors jeu en 1416, le Pogge vécut dès lors sa passion dévorante de la bibliophilie comme une vocation salvatrice. Alors que son univers s’effondrait, il s’employa à ramener à la vie « le corps démembré et mutilé de l’Antiquité », dénichant et recopiant à tour de bras des manuscrits oubliés depuis un millénaire, voire plus.

De la Nature a été rédigé au premier siècle avant notre ère. Ce long poème se compose de 7 400 hexamètres non rimés, en six livres dépourvus de titres, alternant « des passages d’une impressionnante beauté lyrique avec des méditations philosophiques sur la religion, le plaisir et la mort, des réflexions complexes sur le monde physique, l’évolution des sociétés humaines, les dangers et les joies du sexe, la nature de la maladie ». Y est développée l’idée que le monde est fait de particules élémentaires invisibles, éternelles et insécables, et si le terme atome n’y est pas employé, on les reconnaît sans peine dans ces « corps premiers » ou « semences des choses ». Le temps y est décrit comme infini, l’espace sans borne, le vide comme la réalité de toute chose, l’univers sans créateur, l’existence gouvernée par le seul hasard, le libre arbitre comme la nature des êtres vivants, eux-mêmes présentés comme le fruit d’une évolution aléatoire – l’humanité est par nature transitoire, elle disparaîtra un jour, et les premiers hommes ne connaissaient ni le feu, ni l’agriculture. À l’instar des animaux, ils utilisaient des cris inarticulés et des gestes avant de réussir à partager des sons structurés en langage et d’inventer la musique. Et l’âme meurt, car elle est composée des mêmes matériaux que le corps – il ne peut y avoir de vie après la mort, plus de plaisir ni de douleur, plus de désir ni de peur. Toutes les religions sont des illusions, qui rendent les hommes esclaves de leurs propres rêves. La vie doit être mise au service de la poursuite du bonheur. Quant à la matière, si elle est éternelle, ses formes ne sont que transitoires : « Les composants qui les constituent se recomposeront tôt ou tard. » Cette pensée, à l’époque du Pogge, n’était qu’un tissu d’abominations et de démence. Elle nous est aujourd’hui familière. Au point d’être vue par le philosophe George Santayana comme la plus haute jamais développée par l’humanité. Une pensée explosive, qui allait pour Greenblatt faire office de détonateur de la modernité. Des dizaines de copies furent rapidement couchées, et l’ouvrage miraculé connut une seconde vie.

Mort alors qu’il approchait des 80 ans, le Pogge fut secrétaire apostolique de huit papes, et chancelier de Florence cinq années. Il eut le temps de voir son monde changer. Pas celui d’adopter la pensée qu’il avait exhumée. Une pensée qui, ceci dit, n’est pas sur certains points sans évoquer la philosophie indienne, notamment dans sa version Vaisheshika, première doctrine à avoir énoncé la théorie atomiste il y a environ deux mille cinq ans, ou dans le Lokāyata, système philosophique élaboré à la même époque. Car celui-ci posait déjà que le monde est juste un assemblage de matière, privé de divinité, et que la vie doit être consacrée à la recherche du plaisir.

 

L’histoire globale, une science sociale pluriséculaire et transdisciplinaire

L’histoire globale est une question bien trop épineuse pour être laissée entre les seules mains des historiens. C’est peut-être la raison pour laquelle les contributions des autres sciences sociales à l’histoire globale ont déjà plus d’un siècle, si l’on se rappelle par exemple l’influence déterminante que la lecture d’Ancient Society a pu exercer sur Karl Marx pour réviser son concept de mode de production asiatique à l’aune des régimes fonciers russes et allemands [1]. Une telle entrée en matière pose d’emblée, à rebours de la doxa encore parfois tenace selon laquelle l’histoire globale n’est qu’un courant historiographique récemment importé des États-Unis dans le sillage de la World History à la faveur de la « mondialisation » et du triomphe concomitant de l’idéologie néolibérale [2], le problème de savoir si l’on peut d’un même tenant définir et identifier ce qu’est l’histoire globale, et quelle est la nature des contributions des différences sciences sociales à son projet.

Un tel questionnement suppose de distinguer, comme l’a proposé Olivier Pétré-Grenouilleau dans sa généalogie de la « galaxie histoire-monde » [3], ce qui relève de l’usage institutionnel du terme histoire globale/mondiale (dans les maisons d’éditions, les colloques, les départements universitaires, les associations et les revues), et ce qui relève d’une pratique savante d’investigation et de théorisation existant bien avant l’apparition de ce terme et de ce contexte institutionnel. Hérodote ne proposait-il pas déjà dans ses Histoires une synchronisation des événements sur le long terme, à l’échelle de trois continents, reconstituée à partir des vestiges archéologiques et des sources ethnographiques et historiques disponibles sur le monde gréco-romain, l’Égypte, l’Inde, la Babylonie, l’Arabie et la Perse [4] ?

Un tel questionnement implique surtout de concevoir l’histoire globale autrement que ne l’ont fait jusqu’à présent certains historiens. Il est en effet significatif que lors du 3e congrès européen d’histoire globale tenu à la London School of Economics en avril 2011, la table ronde consacrée aux types de comparaison, de causalité et d’échelle ait été monopolisée par des historiens, à la pointe de ces débats dans leur propre discipline, mais à l’exclusion de tout autre représentant des sciences sociales [5].

Un article récemment publié en France expose clairement les deux présupposés inhérents à une telle surreprésentation des historiens [6] : l’histoire globale serait un jeune mouvement historiographique relativement « flou » et « fourre-tout », au sein duquel se rencontrent et se confrontent la microstoria, l’histoire « transnationale », « impériale », « mondiale », « connectée », « comparée » ou « universelle » ; ce mouvement se constituerait à la confluence de traditions académiques et nationales aiguillées par des contextes géopolitiques spécifiques (Guerre froide, montée des nationalismes coréen, russe et japonais, consensus de Washington, choc du 11 septembre, etc.), sans que l’on puisse discerner encore avec certitude si la « globalisation » est et restera son objet d’étude, la coopération universitaire internationale son horizon pratique, et la collaboration avec d’autres disciplines inhérente à son projet.

Ce qui sous-tend cet angle d’approche semble aller de soi : l’histoire globale est d’abord le fait des historiens, et son histoire institutionnelle contemporaine est à même de nous éclairer sur ce que ce nouveau label recouvre. Qu’en est-il cependant si l’on choisit un angle d’approche quelque peu différent et point par point opposé aux deux présupposés précédents ? Autrement dit, si le débat est réorienté sur l’importance de la transdisciplinarité en histoire globale et la généalogie conceptuelle de ses modèles théoriques ? Cette perspective revient de fait à envisager celle-ci comme une méta-discipline, et non plus comme un simple courant historiographique ; elle revient aussi à la saisir par son « histoire interne » et non plus seulement « externe » [7]. C’est ce qu’avec Philippe Beaujard et Philippe Norel nous avons récemment tenté de faire [8], et cela nous a conduits à considérer l’histoire globale comme le nom contemporain de ce qu’Immanuel Wallerstein appelle « la science sociale historique » [9], dont les fondations remontent bien au-delà des années 1980, contrairement à ce que certains historiens à l’image de Bruce Mazlish aimeraient faire croire.

Depuis la parution des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, le développement des sciences sociales s’est en effet caractérisé par un mouvement de balancier entre deux orientations opposées et complémentaires. D’un côté, la spécialisation disciplinaire des corpus académiques a été assurée par des techniques d’enquête singulières produisant et mobilisant un certain type de données empiriques à l’appui des démonstrations inférées (traitement d’archives, observation participante, cartographie, fouilles, entretiens directifs et semi-directifs, bases de données économétriques…). Cette clôture disciplinaire s’est ancrée dans l’histoire des traditions nationales et universitaires. D’un autre côté, cependant, le décloisonnement et le dialogue entre disciplines ont été encouragés par une triple réalité épistémologique incontournable.

Tout d’abord, les sciences sociales partagent le même objet d’étude empirique. Elles ambitionnent toutes en effet de décrire, comprendre et expliquer les « activités sociales », c’est-à-dire les actions humaines coordonnées ; elles s’intéressent ainsi à leurs conditions pratiques et matérielles, aux agents qui les mènent, aux relations qui s’y nouent, aux raisons et motivations qui les guident, aux lieux et temporalités dans lesquels elles se déploient, aux effets et conséquences qu’elles induisent, aux facteurs qui conditionnent leur existence ici et là, à telle et telle époque. Les sciences sociales disposent, en outre, pour analyser ces pratiques des mêmes options épistémiques : l’opposition entre atomisme, constructivisme et holisme méthodologique bien sûr, mais aussi le choix entre une explication en termes de mécanismes causaux ou fonctionnels, une compréhension en termes de représentations intentionnelles, ou une intelligibilité en termes de processus séquentiels. Enfin, les sciences sociales entretiennent les unes avec les autres, mais aussi avec les autres savoirs modernes, tels que les sciences mathématiques et physiques, les sciences biologiques, les sciences économiques, les sciences cognitives, et les sciences de la littérature et du langage, des rapports institutionnels et didactiques favorisant régulièrement les emprunts méthodologiques, les transferts conceptuels et la diffusion de données empiriques et d’hypothèses théoriques, qui promeuvent de fait la transdisciplinarité [10].

L’exemple le plus célèbre, associé à la naissance institutionnelle de l’histoire globale, est l’essor en France de l’École des Annales durant l’entre-deux-guerres, pour une large part indissociable des échanges intellectuels tissés entre les historiens Lucien Febvre et Marc Bloch, les psychologues Pierre Janet, Henri Wallon et Jean Piaget, le sociologue François Simiand, le philosophe Lucien Lévy-Bruhl, l’écrivain Paul Valéry et l’ethnologue Marcel Mauss, lors des semaines du Centre international de synthèse créé par Henri Berr [11]. C’est par ailleurs dans un tel cadre transdisciplinaire que le projet de publication d’une histoire globale universelle se met en place après la Seconde Guerre mondiale au sein de l’Unesco, pour appréhender le développement scientifique et culturel de l’humanité au travers des migrations, des échanges de connaissances et des transferts technologiques transcontinentaux. Parmi les nombreux savants qui collaborent à ce projet dans les années 1950, se trouvent ainsi le biologiste Julian Huxley, le biochimiste Joseph Needham, l’archéologue Vere Gordon Childe, les ethnologues Paul Rivet et Claude Lévi-Strauss, ainsi que les historiens Arnold Toynbee et Lucien Febvre [12]. Si cette transdisciplinarité est alors organisée et facilitée sur le plan institutionnel, elle n’en est pas moins perceptible dans la façon même de poser les problèmes et de chercher à les résoudre. Il existe de fait une problématique transversale aux Annales et à l’Unesco, mais aussi aux travaux précurseurs d’Adam Smith, de Karl Marx et de Max Weber, que l’on retrouve tout autant dans les débats au 20e siècle entre les ethnologues évolutionnistes et diffusionnistes, que parmi les historiens modernistes (Eduard Meyer et Mikhaïl Rostovtseff) et primitivistes (Karl Bücher et Moses Finley). Cette problématique touche aux rythmes et aux modalités des changements sociaux propres à la croissance et aux transferts à grande échelle des richesses, des savoirs, et des populations humaines, animales et végétales. Cette problématique parcourt d’ailleurs un grand nombre de textes en sciences sociales, même si leurs auteurs ne peuvent être soupçonnés d’avoir voulu développer expressément l’histoire globale. Émile Durkheim est à cet égard emblématique : ce qu’il nomme la « loi de gravitation du monde social » n’est autre que le lien de causalité directe existant selon lui entre l’augmentation du « volume et de la densité matérielle et morale des sociétés » et le passage structurel d’une forme de solidarité mécanique à une solidarité organique dans la division sociale du travail. Autrement dit, la spécialisation des groupes humains dans des activités productives complémentaires, et l’autonomisation, l’interdépendance et l’individualisation de leurs membres qui en résultent, sont pour lui le résultat conjugué d’une croissance et d’une densité démographique accrue, du développement des infrastructures de transport et de communication, et d’une intensification des échanges et des rencontres entre ces individus et ces groupes.

Ce qui peut alors paraître constitutif de l’histoire globale, c’est bien ce fait de s’interroger sur l’expansion géographique de ces interconnexions entre sphères d’activités sociales, et sur l’accroissement en vitesse et en volume de ces flux de capitaux, d’idées, d’images, de populations et de biens et services véhiculés par les technologies de transport et de communication entre localités, provinces, régions et continents. Le premier problème auquel s’attelle l’histoire globale (quelle est la nature de ces processus de globalisation ?) est donc d’identifier où, comment, et par qui se mettent en mouvement ces flux, s’établissent et s’organisent ces interconnexions, s’aménagent ces échelles spatio-temporelles au sein desquelles cette circulation et cette articulation sont rendues possibles. Seulement, la seule caractérisation, même aussi fine que possible, de ces « projets globalistes » [13], quels que soient par ailleurs les agents sociaux et les organisations humaines qui les portent (aujourd’hui, les diasporas, les mafias, les travailleurs migrants, les gouvernements d’État, les institutions multilatérales – FMI, Banque mondiale, BIT, Unicef –, les entreprises multinationales, les industries médiatiques et culturelles, les banques d’investissement et les fonds de pension, les mouvements altermondialistes, religieux, terroristes ou indigènes, les organisations non gouvernementales, les autorités de régulation indépendantes – OMC –, etc.) ne peut rendre compte du changement social qu’entraînent ces différentes formes de globalisation, et des transformations structurelles qui modifient les conditions d’exercice des activités sociales reliées par ces flux. Le second problème (quelle est la nature de ces processus de « mondialisation » ?) est donc de repérer et d’analyser ces types de changement social corrélés aux processus de globalisation, à savoir pourquoi, où, et comment émergent et disparaissent des principes de coordination et de régulation des différentes sphères d’activité ainsi interconnectées. Ceci est un problème beaucoup plus analytique que le premier, au sens où l’institutionnalisation de ces principes (par exemple sous forme marchande, redistributive, etc.) est indissociable de l’existence et de la recomposition de formations politiques souveraines, organisées, et territorialisées.

Dans cette optique, l’histoire globale apparaît par conséquent comme un programme de recherche transdisciplinaire qui a pour ambition de décrire et d’analyser comparativement les formes de changement social liées aux différents types de globalisation. Ces dernières concernent tout aussi bien les réseaux matrimoniaux et migratoires, les chaînes de marchandises, les sphères de circulation des capitaux et des objets précieux, les transferts de technologies, les conflits armés, que les aires de diffusion des langues, des connaissances scientifiques, des traditions religieuses, des imaginaires politiques et des styles artistiques. La question porte ainsi sur leur synergie avec la genèse, le développement et le déclin de types de formation politique, d’industrie, d’écriture, de marché, de finance, d’urbanisme, de progrès scientifique et technique, et pour tout dire de culture.

Le « tournant global » [14] en sciences sociales s’avère donc une orientation problématique possible pour chaque discipline ; certes, c’est en histoire que l’on trouve les plus nombreuses références, aussi bien anciennes que contemporaines, à l’image des travaux d’Henri Pirenne (Mahomet et Charlemagne, 1937), de Frederick Teggart (Rome and China, 1939), de Karl Polanyi (La Grande Transformation, 1944), de Marshall Hodgson (The Venture of Islam, 1974), de Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1979), de Kirti Chaudhuri (Trade and Civilization in the Indian Ocean, 1985), de Denys Lombard (Le Carrefour javanais, 1990), ou bien encore de Kenneth Pomeranz (The Great Divergence, 2000). Mais cette importance des travaux historiens ne doit pas masquer le rôle déterminant des contributions propres aux sciences politiques, à la géographie, l’archéologie, la sociologie, l’économie, et l’ethnologie (alias social/cultural anthropology) [15].

Prise sous cet angle, l’histoire globale s’élabore sur la base et à la croisée des différentes sciences sociales, dont les apports spécifiques se retrouvent intégrés à partir d’une littérature secondaire commune [16]. Toutes ces disciplines sont ainsi susceptibles d’alimenter au confluent de leurs recherches le grand fleuve de l’histoire globale. Pour filer la métaphore fluviale, les différentes sciences sociales, en amont, nourrissent en données et en concepts les problématiques propres à l’histoire globale, tandis qu’en aval, les ouvrages de seconde main induisent un espace de confrontation des faits et des théories constitutif de ses analyses et de son dépassement du compartimentage des sciences sociales en domaines thématiques, en aires culturelles, en corpus académiques et en méthodologies d’enquête étrangers les uns aux autres. Cette transdisciplinarité s’incarne donc en priorité dans une problématique transversale et des transferts de données et de concepts. Ce n’est ainsi pas un hasard si l’espace des controverses théoriques et des options méthodologiques disponible est homologue dans toutes les sciences sociales concourant à l’histoire globale : pour ne prendre qu’un seul exemple, l’opposition des démarches et des analyses propres à l’histoire comparée de Victor Lieberman, basée sur des études de cas disjointes les unes des autres, et l’histoire connectée de Sanjay Subrahmanyam centrée sur la mise en abîme d’archives référencées à des langues et des univers différents, se retrouve en ethnologie dans le clivage entre la multi-case ethnography défendue par Michael Burawoy, et la multi-sited ethnography revendiquée par George Marcus.

Ce que l’on peut donc retenir d’un tel survol rapide des fondements problématiques et pluri-/trans-disciplinaires de l’histoire globale, c’est au fond trois idées simples. La première est le contresens total que signifie du point de vue de l’histoire et de l’épistémologie des sciences sociales l’idée de restreindre l’histoire globale à un courant disciplinaire ou à un cadre théorique exclusifs, voire de considérer ses représentants contemporains comme la réincarnation succédanée des Armchair Scholars du 19e siècle au service du néolibéralisme triomphant. La deuxième est le rôle fondamental et complémentaire endossé par chaque discipline, et plus particulièrement les différents types d’enquêtes empiriques existant en sciences sociales, dans la reconstitution des chaînes de médiations pratiques entre les différentes échelles des macro-ensembles pris à chaque fois en considération. Comme le souligne Marshall Sahlins dans son analyse de l’incorporation au 19e siècle de la vallée d’Anahulu au capitalisme mondial, si mécanismes de nature systémique il y a, ces derniers ne peuvent s’appliquer et se reconfigurer localement qu’au travers de stratégies multiples d’acteurs sociaux de taille et de puissance variable, qui s’adossent de leur côté à des catégories culturelles conditionnant leur propre représentation du champ des possibles. Il ne suffit pas, en effet, de repérer une corrélation entre des changements sociaux majeurs et une phase historique de globalisation (dans le cas d’Hawaï, l’étatisation, l’unification et la centralisation de ces îles à la suite de l’introduction des armes à feu occidentales ; l’avènement d’une oligarchie des grands chefs grâce à la monopolisation du commerce de bois de santal exporté en Chine ; leur colonisation politique et religieuse à l’arrivée des grandes flottes de baleiniers américaines, etc.). Il faut pouvoir en expliquer à chaque fois l’articulation située et les synergies précisément en jeu, sous des formes processuelles à découvrir et théoriser. La troisième idée renvoie à cette nécessaire intégration à un niveau logique supérieur des études empiriques spécifiques ainsi conduites avec les outils techniques de chaque discipline. L’existence d’ouvrages de synthèse de seconde main s’avère en effet déterminante pour confronter les faits et les modèles théoriques. Il faut ici remarquer que c’est l’ethnologie, et non l’histoire, qui se trouve là bien positionnée, de par son passé colonial, pour fournir à l’histoire globale une exigence de comparatisme et de montée en généralisation sachant conjurer les spectres de l’eurocentrisme et de l’ethnocentrisme. À ce titre, l’œuvre de l’ethnologue africaniste Jack Goody en est la meilleure illustration, par l’analyse des trajectoires historiques singulières des différentes sociétés afro-eurasiennes qu’elle autorise, sur la base des multiples échanges ayant orienté leur développement parallèle pluriséculaire depuis la révolution urbaine de l’âge du bronze. Si les travaux de celui-ci ont été depuis bien longtemps considérés en ethnologie comme inclassables, c’est peut-être justement parce que Goody est l’un des principaux fondateurs de, et contributeurs à, l’histoire globale contemporaine.

 

Ce texte est paru initialement, sous une forme légèrement différente et en tant que partie d’un article plus vaste : BERGER L., « La place de l’ethnologie en histoire globale », Monde(s), 2013, n° 3, p.193-212, reproduit avec l’autorisation des éditions Armand Colin.

 


[1] La dernière esquisse de ce concept sera formulée en 1881 dans ses trois lettres à Vera Zassoulitch. Voir Maurice Godelier, « Le mode de production asiatique : un concept stimulant, mais qui reste d’une portée analytique limitée », Actuel Marx, n° 10, 1991.

[2] Cf. Chloé Maurel, « La World/Global History. Questions et débats », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 104, 2009, p. 153-166.

[3] Cf. Olivier Pétré-Grenouilleau, « La galaxie histoire-monde », Le Débat, n° 154, 2009, p. 41-52.

[4] Cf. Patrick O’Brien, “Historiographical Traditions and Modern Imperatives for the Restoration of Global History”, Journal of Global History, vol. 1 (2006/1), p. 3-39.

[5] “Reciprocal Comparison: Roundtable”, Venue: NAB 204, LSEBuilding, Saturday, April 16. Convenor: Alessandro Stanziani (Paris); Panelists: Gareth Austin (Geneva), William Clarence-Smith (London), Frederick Cooper (New York/Berlin), Matthias Middell (Leipzig), Patrick O’Brien (London), Kapil Raj (Paris), Peer Vries (Amsterdam).

[6] Cf. Pierre Grosser, « L’histoire mondiale/globale, une jeunesse exubérante mais difficile », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 110, 2011, p. 3-18.

[7] Sur la hiérarchie complémentaire entre la reconstruction rationnelle des arguments et des problèmes scientifiques (l’histoire normative-interne) et la reconstitution historique des contextes institutionnels de la pratique scientifique (l’histoire empirique-externe), voir Imre Lakatos, “History of Science and its Rational Reconstructions”, Proceedings of the Biennial Meeting of the Philosophy of Science Association, vol. 1970 (1970), p. 91-136.

[8] Cf. Philippe Beaujard, Laurent Berger, Philippe Norel (dir.), Histoire globale, mondialisations et capitalisme, Paris, La Découverte, 2009.

[9] Cf. Immanuel Wallerstein, Impenser la science sociale. Pour sortir du XIXe siècle, Paris, PUF, 1991.

[10] Cf. Jean-Michel Berthelot (dir.), Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF, 2001 ; Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.

[11] Cf. André Burguière, L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006.

[12] Ce dernier sera mandaté pour éditer dès 1953 les Cahiers d’histoire mondiale, où publieront notamment l’ethnologue américain Clyde Kluckhohn et le sociologue polonais Florian Znaniecki. La publication de cette histoire globale universelle sera maintes fois repoussée jusqu’aux années 1970, en raison de la participation des Soviétiques et des enjeux idéologiques de la Guerre froide. Voir Poul Duedahl, “Selling Mankind: Unesco and the Invention of Global History, 1945–1976”, Journal of World History, vol. 22 (2011/1), p. 101-133.

[13] Pour reprendre l’expression d’Anna Tsing (“The Global Situation”, Cultural Anthropology, vol. 15 (2000/3), p. 327-360).

[14] Une expression des sociologues Roland Robertson et Michael Burawoy, qui a été utilisée en France dans un sens proche du caractère transdisciplinaire attribué ici à l’histoire globale, par Alain Caillé et Stéphane Dufoix (dir.), Le Tournant global des sciences sociales, Paris, La Découverte, 2013.

[15] On peut citer à l’appui, parmi d’autres, les publications contemporaines de Jean-François Bayart, Romain Bertrand et Jack Goldstone pour les sciences politiques, celles de Christian Grataloup, David Harvey et Laurent Carroué pour la géographie, celles de Guillermo Algaze, Andrew Sherratt et Patrick Kirch pour l’archéologie, celles de Saskia Sassen, Giovanni Arrighi et Michael Mann pour la sociologie, celles de Ronald Findlay, Kevin O’Rourke et Philippe Norel pour l’économie, et enfin celles de Jonathan Friedman, Arjun Appadurai ou Jean et John Comaroff pour l’ethnologie.

[16] Pour une très belle illustration, adossée conjointement à l’économie, à la géographie et aux sciences politiques, voir François Gipouloux, La Méditerranée asiatique. Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, Japon et en Asie du Sud-Est, XVIe-XXIe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2009.