Philippe Norel

Philippe NorelC’est avec consternation et une profonde tristesse que tous les amis de Philippe Norel ont appris son décès brutal, intervenu dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 juin, à l’âge de 60 ans. Philippe Norel était économiste à l’université de Poitiers [1], où il était membre du Centre de Recherche sur l’Intégration Économique et Financière (CRIEF), et professeur à Sciences Po-Paris. Son enseignement portait notamment sur l’économie du développement, l’économie monétaire internationale, l’histoire économique globale, l’histoire et la théorie de la mondialisation, et l’histoire de la pensée économique. Avec Laurent Testot et Vincent Capdepuy, Philippe Norel a animé le blog histoire globale.com, qui a vu le jour à son initiative.

Philippe Norel a développé une recherche novatrice dans l’analyse économique des processus de globalisation et l’« histoire économique globale », titre de son ouvrage paru en 2009 – qui poursuit une réflexion entamée avec L’Invention du marché. Une histoire économique de la mondialisation (2004).

Ce livre va en fait bien au-delà de l’économie et d’une analyse historique comparative ; il constitue un ouvrage d’histoire globale majeur, discipline dont Philippe Norel a été l’un des initiateurs en France pour la période récente [2]. Si cet ouvrage a connu un réel succès – il a été réédité en 2013 –, on doit pourtant regretter que l’œuvre de Philippe n’ait pas eu l’aura qu’elle méritait. Elle ne pouvait, il est vrai, que déplaire à l’école économiste orthodoxe et à des historiens trop eurocentrés pour accepter que le capitalisme européen ait des racines en Asie ou en Afrique, même si Philippe Norel soulignait en même temps son originalité. Reconnaissant l’existence de phénomènes anciens de globalisation, P. Norel écrivait dans un hommage à un autre enseignant-chercheur brutalement disparu, Jerry H. Bentley, « La mondialisation prémoderne, faite d’échanges commerciaux, biologiques et culturels, [représente] une étape cruciale du développement de ce qui allait devenir le monde moderne ». Revisitant Adam Smith, il montre comment l’essor des échanges transrégionaux induit une division du travail croissante qui encourage les innovations ainsi que des changements structurels [3], ouvrant à des processus de globalisations successives. Philippe Norel note que « la dynamique smithienne s’avère cruciale dans la création des institutions même du Marché» (2009a : 201), très dépendante cependant des rapports qui s’instituent entre l’État et les marchands (Norel parle ici de « l’indispensable médiation du politique » [2009a : 219sq.]). Qu’il y ait instrumentalisation de ces derniers par l’État ou symbiose des deux secteurs étatique et privé, les relations entre les marchands et l’État ont été essentiels pour la mise en place de conditions institutionnelles favorables au développement des marchés – jusqu’à la création de systèmes de marchés – et à celui du capitalisme. Le travail de Philippe Norel nous est désormais indispensable pour saisir la genèse du capitalisme européen et son évolution.

Philippe Norel alliait acuité et rigueur dans l’analyse à de vastes connaissances dans des domaines qui ne concernaient pas seulement économie et histoire – les nombreux articles publiés sur le blog histoireglobale.com le démontrent clairement [4]. Ceux qui l’ont connu se rappelleront aussi sa modestie, alliée à une grande humanité.

Il nous laisse un travail considérable, dont témoigne la bibliographie ci-après. Depuis presque dix ans, les échanges que j’ai pu entretenir avec lui ont alimenté ma réflexion sur l’histoire globale et ses défis : s’éloigner d’une recherche eurocentrée, saisir dans la longue durée la nature des changements sociaux, mais aussi comprendre le monde aujourd’hui et les enjeux pour le monde futur.

Bibliographie


[1]  Il avait soutenu en 1994 à Poitiers une thèse en sciences économiques intitulée « Crises économiques et conventions d’évaluation – un développement des intuitions keynésiennes », sous la direction de Jacques Léonard.

[2]  Cf. aussi Histoire globale, mondialisations et capitalisme, publié avec Laurent Berger et moi-même (2009).

[3]  Philippe Norel élargit la notion de croissance smithienne « requalifiée en “dynamique smithienne de changement structurel” » (2009b : 376).

[4]  Philippe Norel a aussi été un collaborateur de Sciences Humaines à travers divers articles de vulgarisation, et la direction d’un ouvrage sur l’histoire globale (2012).

Les réseaux marchands juifs en Asie au début du deuxième millénaire

Ce blog a déjà parlé des réseaux commerçants de l’océan Indien et de la route de la Soie, des diasporas en général, des réseaux sogdiens ou kârimî en particulier. Il a aussi présenté en détails la carrière d’un marchand juif de l’océan Indien, Abraham Ben Yiju, durant le 12e siècle. Il va s’agir aujourd’hui d’introduire plus généralement à l’histoire des réseaux marchands juifs qui ont tenu une place très importante dans le commerce afro-eurasien, mais pas toujours la première, comme on va le voir. L’enjeu pour l’histoire globale consiste d’abord à décrypter les logiques marchandes de ces réseaux anciens, élément à l’évidence crucial pour l’histoire des marchés. Il est aussi de comprendre comment la diaspora juive a pu fonctionner en bonne entente avec les pouvoirs musulmans et les commerçants d’autres origines. Cette histoire concerne l’océan Indien d’avant les Portugais, une époque caractérisée par des relations entre populations qui peuvent nous étonner aujourd’hui…

La présence juive est ancienne dans l’océan Indien occidental. Des juifs émigrent vers la côte Ouest de l’Inde sans doute dès la période de l’empire babylonien : les juifs de la région de Cochin ont conservé jusqu’à nos jours un type de jeu connu en Babylonie du temps de Nabuchodonosor II. Au début de l’ère chrétienne, des marchands juifs sont partie prenante dans le développement du commerce romain à partir de l’Égypte ; des juifs s’installent aussi en Perse et en Inde aux 1er et 2e siècles pour fuir le joug romain. Les persécutions des juifs dans l’État perse sassanide aux 5e et 6e siècles amènent à de nouvelles migrations vers l’Inde. La religion juive est par ailleurs bien implantée au Yémen avant l’islam.

Le développement du commerce au loin lors de la deuxième phase du système-monde afro-eurasien (6e-10e siècle) permet un déploiement des réseaux juifs. Selon le géographe persan Ibn Khordâdbeh, des juifs radhanites « contrôlent les routes de la soie » [1865, p. 513, et M. Lombard, 1971] (leur nom vient de la région de Radhan, à l’est du Tigre, non loin de Bagdad). L’aristocratie de l’Empire khazar du sud de la Russie se convertit au judaïsme vers 740, sans doute sous l’influence de ces juifs radhanites. Des juifs chassés de Byzance arrivent en grand nombre en Khazarie aux 7e et 8e siècles. L’irruption des armées musulmanes au Khwarezm entraîne également un départ des juifs de cette région vers la Khazarie. L’historien Abû Zayd, de Sîrâf, mentionne des juifs parmi les étrangers massacrés à Canton par les troupes du chef rebelle Huang Chao en 879. À côté des musulmans, les juifs sont également présents sur les routes maritimes de l’océan Indien. Le livre d’al-Sîrâfî que l’on appelait Livre des Merveilles de l’Inde (10e siècle) évoque ainsi la figure du grand marchand juif Ishâq, qui commerce entre l’Oman et la Chine [cf. D. Lombard, 1990, t. II, p. 28]. Au 8e siècle, l’exemple d’un certain Issupu Irappan (Joseph Raban) révèle l’intégration des marchands juifs dans le Sud de l’Inde et le respect qu’on leur accordait. À la tête de la guilde des Anjuvannam, Raban obtint des privilèges princiaux, l’exemption de toute taxe et un quart du revenu des commerçants du port de Cranganore sur la côte de Malabar. En « échange », Raban plaçait ses navires à la disposition du roi chera. La Relation de la Chine et de l’Inde indique aussi la présence de juifs à Ceylan.

Dans l’espace carolingien, des marchands juifs animent le commerce à longue distance, à côté de marchands lombards et frisons. Les négociants de ces réseaux juifs ont évidemment contribué à des transferts de savoirs et de techniques – ainsi dans l’industrie textile, vers l’Italie, mais aussi dans le domaine des techniques bancaires. À côté de chrétiens nestoriens, des juifs jouent un rôle important dans la transmission du savoir grec ancien dans le monde musulman.

            Pour le troisième cycle du système-monde, les réseaux juifs nous sont mieux connus, pour leur importance dans la sphère économique, mais aussi parfois politique. Aux 10e et 11e siècles, en Irak et en Égypte, des représentants de familles marchandes juives sont établis comme banquiers officiels et collecteurs de taxes ; ainsi les banquiers Joseph b. Phineas et Aaron b. ’Amran, qui se sont associés pour fonder une firme au 10e siècle, prêtent de l’argent au calife et à ses vizirs. Ibn ’Allan al-Yahûdî (mort en 1079), collecteur de taxes à Basra, servit les califes pendant plus de vingt ans et prêta de l’argent au célèbre ministre des Seljukides Nizâm al-Mulk. D’autres marchands devinrent les fournisseurs du palais en marchandises précieuses.

            En Égypte, le juif espagnol Benjamin de Tudela compte 30 000 juifs, dont 7000 au Caire. Dans l’Égypte fatimide, la gestion de l’État est parfois confiée à des fonctionnaires d’origine juive [Bianquis, 1999, p. 14]. Certains marchands accèdent à des fonctions importantes et même au vizirat. Un exemple célèbre est celui des frères Tustârî, d’Ahwâz, « banquiers juifs et négociants en objets précieux de l’océan Indien et de la Chine », qui gouvernèrent l’Égypte fatimide de 1036 à 1048 [M. Lombard, 1971, p. 169]. Au Caire, nous dit Benjamin de Tudela, réside « Rabbi Nathanael, le prince des princes et le chef de l’académie et de tous les juifs d’Égypte […]. Il est aussi ministre du grand roi qui demeure au palais de Tsoane el-Medinah » [Harboun, 1986, p. 131]. Les juifs dominent l’industrie et le commerce de la soie, une industrie déjà ancienne en Palestine et en Syrie.

Dans l’océan Indien occidental, aux 11e et 12e siècles, les marchands juifs semblent avoir la haute main sur le commerce en mer Rouge et entre l’Inde et le Yémen [Goitein 1954, Goitein et Friedman 2007]. Les lettres trouvées dans la Geniza de la synagogue du Caire (documents qui concernent surtout les 11e et 12e siècles, et pour les rapports avec l’Inde, la période 1080-1160) témoignent des contacts des marchands d’Égypte et du Yémen (juifs et arabes) avec ceux de l’Inde du Sud, juifs, arabes et indiens. Ces documents illustrent le rôle d’Aden et la dimension des réseaux de l’océan Indien. D’une famille d’origine persane, Madmûn ben Hasan, représentant des marchands et superintendant du port d’Aden, également propriétaire de navires, joue ainsi le rôle d’intermédiaire entre les juifs de Méditerranée et ceux installés en Inde. Il porte le titre de « leader de la communauté juive de l’océan Indien », dont jouiront également ses descendants. Son père, Hasan-Japhet ben Bundar, jouait déjà avant lui un rôle de représentant des marchands, de banquier, et de « leader des congrégations juives » [Goitein et Friedman, 2007, pp. 37sq.], et il était en charge de la douane d’Aden. La suprématie navale des chrétiens en Méditerranée au 12e siècle a peut-être incité certains marchands juifs à développer leur négoce avec l’océan Indien. Les marchands juifs exportent vers l’Inde des textiles (soie, drap de Russie…), du cuivre, du plomb, des récipients et ornements d’argent, de bronze, de verre, du storax, de l’huile d’olive, du corail et du papier. Les importations concernent des textiles, des épices, des aromates, des remèdes, des teintures, des bois, des perles et des pierres précieuses, des objets en fer ou en acier, des récipients de cuivre et de bronze. Les biens transportés ne concernent donc pas seulement des produits de luxe, mais toute une gamme de marchandises. Les importations indiennes étaient pour une part réglées avec des métaux précieux, argent et or, notamment à partir du 12e siècle, lorsque l’or de l’Afrique de l’Ouest et celui de la côte de Sofala trouvent leur chemin vers l’Égypte. Il est à noter que, contrairement aux juifs d’Asie occidentale et d’Asie centrale (radhanites, juifs du Khorassan…), les marchands juifs d’Aden et d’Égypte ne semblent pas impliqués dans la traite d’esclaves. Dans les années 1120, deux marchands juifs illustrent l’étendue des réseaux et des routes parcourues. Halfon, un fils de Madmûn, commerce entre Égypte, Inde, Afrique de l’Est, Syrie, Maroc et Espagne. Le juif Marocain ‘Abû Zikrî as-Sijilmassî, représentant des marchands du Caire, se déplace entre Égypte, Aden, Europe du Sud et Inde.

Au-delà de l’étendue des réseaux (pour l’Inde occidentale, douze ports au moins sont mentionnés), les documents étudiés montrent leur complexité. « Toutes les transactions s’effectuaient par l’intermédiaire d’associés, chacun des associés agissant dans une localité différente et pratiquant un commerce d’importation et d’exportation d’un pays à l’autre » [Gil, 2003, p. 273]. Les réseaux marchands recoupaient souvent des liens familiaux. Le caractère interconfessionnel de certains réseaux ou entreprises est par ailleurs remarquable. Les associations commerciales ne se faisaient pas seulement entre marchands juifs, mais pouvaient inclure juifs, musulmans, hindous et chrétiens nestoriens. Madmûn fait ainsi parvenir un message à des marchands indiens, les informant des prix du poivre et du fer à Aden. Il leur conseille d’envoyer un navire de Mangalore à Diu, avec poivre, fer, cubèbe, gingembre, coir, et bois d’aloès, « car toutes ces marchandises se vendent bien » [Goitein et Friedman, 2007, p. 59].

La coupure, remarque Goitein, « se fait moins entre les religions et les nationalités qu’entre les soldatesques dirigeantes et les commerçants entrepreneurs » [1954 : 197]. Toutefois, les entreprises commerciales mêlaient parfois marchands et élites politiques. Ainsi, Madmûn et le Yémenite Bilâl ben Jarîr, commandant des forces d’un sultan d’Aden, développent un partenariat dans le commerce avec l’Égypte [Margariti, 2007, p. 155], et possèdent conjointement un bateau qui voyage entre Aden et Ceylan.

          Bagdad demeure le centre d’un rayonnement juif : l’exilarque (chef de la diaspora) y résidait, et « plusieurs des ministres du calife sont juifs » au 12e s. [Harboun, 1986, p. 63]. Parlant de l’île de Qays, en 1176, Benjamin de Tudela évoque la présence de 500 juifs installés là. Les juifs sont également bien présents dans l’Asie intérieure. À Samarcande, « où se rassemblent, nous dit Benjamin de Tudela (12e siècle), [des marchands] de tous les endroits du monde », demeurent « 50 000 juifs » (le nombre ici donné est cependant peu crédible, Benjamin de Tudela ne s’est pas rendu en Asie centrale). Ghaznî abrite également une forte communauté juive.

       Les juifs transmettent des biens, mais ils sont aussi les vecteurs de savoirs techniques et culturels. Les juifs d’Italie et d’Espagne vont jouer un rôle important dans la transmission des savoirs grec et musulman dans le monde chrétien. Frédéric II, dirigeant du Saint-Empire romain germanique et roi de Sicile, attire à sa cour des savants juifs et musulmans. En dehors du commerce, M. Lombard note que « dans les corporations orientales, Juifs, Chrétiens et Musulmans sont admis à égalité; dans certaines, même, les non-Musulmans sont majoritaires, notamment chez les orfèvres, les négociants en métaux précieux et les banquiers, où les juifs tiennent un rôle considérable. La plupart des médecins sont chrétiens ou juifs » ([1980, pp. 175-176]. Le philosophe juif andalou Maïmonide (1135-1204), installé en Égypte, exerce comme médecin à la cour de Saladin.

Avec l’installation en Égypte du pouvoir ayyûbide en 1174 puis des mamlûks Bahriyya en 1250, et dans le Yémen rasûlide sunnite, l’importance des juifs dans le commerce au loin et la sphère politique va toutefois sensiblement décroître. Les liens des réseaux juifs du Yémen et d’Égypte avec l’Inde semblent se défaire. Les marchands musulmans, kârimî et autres, en relation avec le Yémen, le Gujarat et Cambay, deviennent prééminents dans le commerce de l’océan Indien.L’Ouest de l’Inde voit une implication croissante des musulmans dans le commerce, notamment au Gujarat et sur la côte du Malabar, où les marchands sont bien accueillis par les pouvoirs hindous. Une présence juive se maintient toutefois, comme en témoigne Marco Polo pour la ville de Kulam [1980, t. 2, p. 462]. Juifs et musulmans sont associés en 1282 dans l’envoi d’une mission commerciale à la cour de Kûbilai. En Perse, les Ilkhâns placent des juifs et des chrétiens dans leur administration. À partir du 13e siècle, cependant, avec l’expansion et le raidissement idéologique de l’islam, les juifs ne retrouveront jamais la place qui fut la leur au début du 2e millénaire dans les réseaux commerciaux de l’océan Indien.


Bibliographie

BEAUJARD, P., 2012, Les Mondes de l’océan Indien, t. 1 et 2, Paris, Armand Colin.

BIANQUIS, T., 1999, « Le monde musulman du IXe/IIIe siècle au XVe/Xe siècle », in J. C. Garcin et al. (éds.), États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, vol. 2, Paris, PUF.

GIL, M., 2003, « The Jewish merchants in the light of eleventh-century Geniza documents », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 46 (3), p. 273-319.

GOITEIN, S. D., 1954, « From the Mediterranean to India. Documents on the trade to India, South Arabia, and East Africa from the eleventh and twelfth centuries », Speculum. A Journal of Mediaeval Studies, XXIX, 2 (1), p. 181-197.

GOITEIN, S. D., 1980, « From Aden to India : Specimens of the correspondence of India traders of the twelfth century », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 23, p. 43-66.

GOITEIN, S. D., et FRIEDMAN, M. A., 2007, India Traders of the Middle Ages : Documents from the Cairo Geniza.« India Book », Part One, Leiden, Brill.

HARBOUN, H., 1986, Les Voyageurs Juifs du XIIe siècle (Benjamin de Tudèle ; Pétahia de Ratisbonne ; Nathanel Hacohen), Aix-en Provence, Éditions Massoreth.

IBN KHURDADBEH, 1865, Le Livre des Routes et des Provinces, éd. C. Barbier de Meynard, Journal Asiatique, mars-avril et mai-juin 1885, p. 227-296 et 446-532.

LOMBARD, D., 1990, Le Carrefour javanais. Essai d’histoire globale. t. I : Les Limites de l’occidentalisation. t. II : Les Réseaux asiatiques. t. III : L’Héritage des royaumes concentriques, Paris, EHESS.

LOMBARD, M., 1971, L’Islam dans sa première grandeur VIIIe-XIe siècle, Paris, Flammarion.

MARGARITI, R. E., 2007, Aden and the Indian Ocean Trade. 150 Years of the Life of a Medieval Arabian Port, Chapel Hill, The University of North Carolina Press.

POLO, M., 1980, Le Devisement du monde. Le livre des merveilles, 2 tomes, texte intégral établi par A.-C. Moule et P. Pelliot, version française de L. Hambis, introduction et notes de S. Yerasimos, Paris, Maspéro.

Relation de la Chine et de l’Inde, ‘Akbâr as-sîn wa l-hind, anonyme, SAUVAGET, J. (éd.), 1948, Paris, Les Belles Lettres.

Pouvoirs politiques et grand commerce : l’ascension et la chute des marchands kârimî de la mer Rouge (XIIe-XVe siècle)

Entre océan Indien et Méditerranée, les deux espaces maritimes parallèles qui encadrent l’Arabie, le golfe Persique et la mer Rouge apparaissent à la fois complémentaires et concurrents. Si l’activité commerciale du golfe Persique semble supérieure dans le deuxième cycle du système-monde (7e-10e siècle), à partir du 10e siècle, la mer Rouge redevient prééminente par rapport au golfe Persique, les Fatimides chi’ites qui gouvernent en Égypte tirant parti d’accords de commerce passés avec les Byzantins pour approvisionner le marché méditerranéen en produits de l’océan Indien.

Les Ayyubides, qui succèdent aux Fatimides en 1176, s’efforcent à leur tour de développer les échanges par la mer Rouge, source de revenus par les taxes auxquelles le commerce est soumis. Si les marchands juifs jouent un rôle important aux 11e et 12e siècles en mer Rouge et entre Yémen et Inde (rôle bien connu grâce aux documents trouvés dans la Geniza du Caire, cf. Goitein, 1954 ; Goitein et Friedman, 2007), les Ayyubides, sunnites, maîtres du Yémen, vont favoriser l’essor des marchands musulmans dits kârimî [1]. Leur nom est mieux traduit par « marchands du kârim », un vocable qui désigne au 12e siècle un convoi maritime entre Égypte et Yémen. Al-Qalqashandî rapporte alors une présence navale fatimide – en fait assez modeste – pour protéger ces convois de marchands en mer Rouge contre les pirates. L’étymologie de kârim remonte probablement à la Mésopotamie : Apellaniz [2009, p. 55] propose un lien avec le vieux terme sémitique kar, « quai, port ». L’origine familiale des marchands du kârim apparaît très diverse : Égypte et Syrie, mais aussi Irak, Anatolie, Perse… Par ailleurs, « dans les almanachs rasûlides [Yémen], le terme de kârim est associé à une saison de commerce à Aden, et surtout à une saison de navigation » [Vallet, 2009, p. 479].

À partir du 11e siècle, on signale des funduq kârimî au Caire, à Alexandrie, à Qûs, en Égypte, à Aden, Ta’iz, Zabîd, Ghalâfiqa et Bi’r ar-Rubâhiyya, au Yémen, à La Mecque, Médine et Jeddah, au Hijâz. Au-delà de l’appui apporté par les Ayyubides, la place grandissante des marchands kârimî en mer Rouge s’inscrit plus largement dans une phase de seconde expansion de l’islam, manifeste en Inde, en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Est avec l’essor des cités swahili. Si les réseaux changent au 12e siècle, change aussi une partie des produits transportés : ainsi, à partir du Yémen, partent désormais la garance et des chevaux, jamais mentionnés auparavant par les lettres de la Geniza.

À partir de 1229, les Rasûlides constituent le Yémen en un État indépendant, et en 1259 les mamelouks turcs prennent le pouvoir en Égypte. Les kârimî jouent alors un rôle prééminent dans le commerce de la mer Rouge, en s’appuyant sur le Yémen, où ils viennent acheter les produits de l’Orient, apportés par des marchands indiens, persans ou yéménites. Ils bénéficient clairement de la « protection » des mamelouks égyptiens : le sultan Qalâwûn émet ainsi ce « sauf-conduit » : « Quiconque importera des marchandises, telles que des épices ou autres denrées qu’importent habituellement les marchands du Kârim, n’aura rien à redouter à l’encontre de ses droits. Il ne sera astreint à aucune obligation désagréable, car il obtiendra toute la justice souhaitable et sera à l’abri de toute mesure attentatoire » [Vallet, 2010, p. 497]. À partir du Yémen, les marchandises de l’Inde se dirigent vers le Hijâz et la Syrie mais surtout – via le port de ‘Aydhab – vers Le Caire, Alexandrie et Damiette. Les taxes sont assez lourdes, puisqu’elles atteignent 19 % de la valeur des marchandises importées à Alexandrie. Les taxes à l’exportation sont parfois plus élevées encore [Margariti, 2007, p. 113]. Les marchands égyptiens commercent aussi au Soudan occidental, en Perse, et en Asie mineure : leurs activités, de fait, s’étendent du Maghreb à la Chine [ibid., p. 153], mais on ne devrait plus ici parler de « kârimî ». L’organisation des kârimî  demeure un sujet de débat, mais les documents n’indiquent pas l’existence d’une véritable corporation (Richard et Delumeau [1968, p. 826] parlent – doublement – à tort « d’association de marchands fréquentant l’océan Indien »). À l’époque ayyubide puis mamelouke, l’institution étatique du matjar achète et vend, parallèlement à ce secteur privé [Rabie, 1972, p. 93] [2].

L’invasion mongole de l’Iran puis de l’Irak (1219-1258) donne à la mer Rouge une importance accrue, qui se traduit par l’arrivée de marchands venus de Perse, d’Irak et de Syrie. À la fin du 13e siècle, les kârimî constituent un groupe de 200 personnes, « et le nombre de leurs esclaves qui voyageaient pour faire du commerce à leur profit […] était supérieur à cent » [Ibn Hajar, cité par Vallet, 2006, p. 434]. De grands marchands émergent, qui jouent parfois le rôle de banquiers auprès des sultans et des émirs égyptiens. Les kârimî prêtaient aussi de l’argent aux sultans du Yémen, et même « le roi du Mali, Mansa Mûsâ [représenté sur le célèbre Atlas catalan de la Bnf, ca. 1375] leur emprunta de l’argent avant de quitter la Mecque pour revenir dans son pays » [Labib, 1978, p. 667]. Les rapports qui se nouent avec le pouvoir d’État ne sont pas sans danger : l’illustre clairement l’histoire d’un copte converti, Karîm al-Dîn al-Kabîr. « Responsable des biens propres du sultan » d’Égypte, il mit « progressivement la main sur les finances de l’État en faisant nommer son neveu contrôleur des finances puis surintendant du Kârim : il supervisait ainsi les revenus fiscaux tirés du trafic entre Aden et ‘Adhab. […] La famille en retira de fort juteux profits. Lorsque les biens de Karîm al-Dîn al-Kabîr furent saisis en 1323, on trouva chez lui quarante et un coffres remplis d’encens, de bois d’aloès, d’ambre et de musc, autant d’aromates qui provenaient à n’en pas douter du Kârim » [Vallet, 2010, p. 502, d’après Ibn Hajar]. La fortune du « représentant des marchands » (wakil al-tujjar) al-Bâlisî (mort vers 1374) était si considérable (il laissait 10 millions de dinars) qu’« un seul marchand (hindou) de l’Inde, avec lequel il était d’ailleurs associé en affaires, pouvait lui être comparé » [Vallet, 2010, p. 477, d’après Ibn Tajribirdî]. S’ils ne font pas partie des rouages de l’État, les kârimî n’hésitent pas à intervenir dans les affaires politiques, si leurs positions sont menacées : en 1350, lorsque le sultan rasûlide al-Mujâhid ‘Alî fut fait prisonnier par les Égyptiens au Hijâz et emmené en Égypte, les kârimî, y compris en Égypte, intervinrent en versant une partie du tribut exigé pour sa libération [Vallet, 2010, p. 516]. Au Yémen, par ailleurs, des partenariats s’instituent entre l’administration et des marchands ; celui établi avec al-Takrîtî, Irakien arrivé d’Égypte via La Mecque en 1320 était exceptionnel par son ampleur, le sultan lui confiant de l’argent sur ses biens propres pour le faire fructifier.

Les échanges se dégradent à partir des années 1330 : une crise éclate entre l’Égypte et le Yémen, et des désordres affectent la région d’‘Aydhab, ceci dans un contexte de récession globale dans le système-monde [Beaujard, 2012, vol. 2, p. 155]. En 1347, l’Égypte est atteinte par l’épidémie de peste qui, venue de Chine, a balayé l’Eurasie. Les échanges ne reprennent une certaine vigueur que vers la fin du 14e siècle. L’Égypte connaît toutefois des difficultés financières au début du 15e siècle. Le sultan Faraj (1389-1412) est contraint d’emprunter à des kârimî, notamment à un membre de la puissante famille des al-Mahallî, à qui il confisquera plus de 100 000 dinars quelques mois plus tard [Apellaniz, 2009, p. 67]. Les épices de l’Asie transitent toujours par la mer Rouge, et les sultans égyptiens, pour pallier leurs déficits financiers, vont faire main basse sur cette manne [3]. En 1411, Faraj ordonne aux marchands catalans d’Alexandrie d’acquérir un stock d’épices pour une valeur de 30 000 dinars, politique que poursuivra son successeur, Al-Mu’uayyad Shaykh (1412-1421). Pour les sultans égyptiens, la « manipulation du commerce devient une nécessité » [ibid.], d’autant que l’envolée des prix du poivre entre 1412 et 1419 offre une belle opportunité d’enrichissement. À partir de 1414, le sultan fait procéder à des achats forcés d’épices par des marchands vénitiens, épices acquises par l’entremise de « marchands d’État connus sous le nom de Khawâjâ », choisis « dans un milieu élitaire du négoce international » [Apellaniz, 2009, p. 73]. L’apparition de marchands du sultan khawâjâ marque l’émergence d’une nouvelle élite financière liée au pouvoir politique. Dans la dernière partie du 14e siècle, on note également un essor du matjar sultanien d’Aden, qui devient prédominant par rapport à la douane, au moment précisément où le sultan égyptien s’implique directement dans le commerce. Malgré un contexte politique difficile, un commerce d’État à État se met en place entre Égypte et Yémen.

L’implication du pouvoir dans le commerce s’accroît sous le sultan Barsbây (1422-1438). Pour compenser la baisse des revenus agricoles et faire face à des dépenses croissantes, Barsbây impose un commerce d’État, en instrumentalisant de grands marchands, kârimî ou autres, qui jouent souvent en outre un rôle de diplomates. Plusieurs familles viennent d’Iran, témoignage des migrations de marchands de cette région à la suite des invasions timurides. Dans le même temps, les kârimî se trouvent confrontés à des épreuves nouvelles : les droits de douane levés par le sultan rasûlide du Yémen al-Nâsir (1400-1424) deviennent si élevés que des marchands fuient en Inde et à Jeddah. En 1422, un propriétaire de navire de Calicut passe le Yémen sans s’y arrêter et se rend directement à Jeddah. Il y revient en 1424 – de même que quatorze autres navires – et rencontre alors un émir mamelouk. Le nombre des navires de l’Inde et de Hormuz à Jeddah – passé sous le contrôle des mamelouks en 1425 – se monte à 40 en 1426 [Vallet, 2010, p. 656]. En 1429, Barsbây décida de contrôler à son profit le commerce des épices et de fixer les prix sur le marché. Il imposa en outre aux Indiens comme fret de retour du cuivre brut, du corail et d’autres marchandises européennes dont il avait le monopole. La politique de Barsbây « impliquait un strict contrôle de la mer Rouge et du Hijâz, par où durent transiter les épices » [Garcin, 1995, p. 348] : Jeddah fut imposée aux marchands comme port d’arrivée et de taxation des épices. Le sultan chercha en outre à décourager les marchands syriens et égyptiens de s’approvisionner au Yémen, en doublant leurs taxes. Barsbây s’attaqua aux positions de grands marchands persans sur lesquels son prédécesseur s’était appuyé : en 1425/1426, les biens de Fakhr al-Dîn al-Tawrîzî et d’‘Alî al-Jîlânî furent ainsi confisqués, et ce dernier partit s’installer à Aden [Vallet, 2010, p. 662]. En 1432, le commerce kârimî se trouva soumis à une autorisation spéciale que devait accorder le sultan égyptien et frappé de nombreuses taxes. Les positions des kârimî devinrent si difficiles que certains fuirent vers Calicut et Cambay, tandis que d’autres entraient au service des sultans égyptiens, en profitant parfois du fait que les offices faisaient maintenant l’objet d’un « affermage ». Une élite de marchands sultaniens khawâja jouissant de chartes de privilège collabore ainsi avec l’État, marchands qui tissent des liens avec les milieux aussi bien politiques que religieux. Inclus dans des structures administratives, ils conservent cependant une activité privée. Les liens étroits de ces grands marchands avec le pouvoir d’État permettent un enrichissement rapide, mais il est aussi source de dangers, comme le montre le recours fréquent des sultans aux confiscations de fortunes de leurs khawâja. Au Yémen, la décomposition de l’État débouche finalement sur le renversement des Rasûlides et l’instauration de la nouvelle dynastie des Tahirides, sous laquelle Aden retrouve son opulence. Les sultans se trouvent impliqués directement dans le commerce [Porter, 2002], à côté d’un secteur privé. Les Indiens, du Gujarat ou du Malabar,  fréquentent le port.

Après Barsbây, le pouvoir égyptien continue à contrôler le commerce de la mer Rouge, sous Qâ’itbây (1468-1496) notamment. Il n’y a pas cependant de monopole, et un secteur privé demeure actif. Les transformations des réseaux et la nouvelle politique étatique amènent néanmoins la disparition des kârimî. Selon Labib [1978], les deux derniers kârimî d’Égypte connus meurent en 1491-1492, mais Ibn Mâjid parle encore de marchands d’Égypte qui se rendent en Inde à la fin du 15e siècle. Une nouvelle classe marchande internationale est néanmoins présente ; elle sera de plus en plus articulée aux réseaux méditerranéens, et d’abord vénitiens, en particulier par le Levant, les marchands d’Alep et de Damas étant prééminents dans le commerce « indien » [Apellaniz, 2009, p. 136].

L’essor puis la chute des kârimî apparaissent ainsi liés à la fois à des contextes locaux, régionaux et globaux. Instrumentalisés par le pouvoir au 15e siècle, les kârimî disparaissent finalement en tant que marchands indépendants, une disparition qui correspond aussi au temps où les navires de l’Inde entrent dans la mer Rouge et à la montée en puissance des Gujaratis et d’autres marchands de l’Inde. Les deux périodes du commerce kârimî correspondent aussi à deux stratégies différentes des pouvoirs politiques égyptien et yéménite,  la première consistant à laisser une liberté de manœuvre aux marchands privés en taxant leurs activités, la seconde voyant l’État s’arroger le rôle de marchand principal et limiter les possibilités du secteur privé – sans que les quantités d’épices transportées en soient cependant affectées.

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[1]  À l’opposé de S. Labib et d’autres auteurs, E. Ashtor [1956] défend cependant l’idée de la présence de coptes et de juifs, jusqu’au 14e siècle encore.

[2]  L’institution étatique du matjar, « office du commerce », apparaîtrait dans les années 1052-1053 [Serjeant, 1988]. Dès l’époque fatimide, le matjar assure le monopole de l’État sur certaines denrées (soie, natron…).

[3] L’intérêt croissant de l’État pour le commerce est une conséquence logique de la baisse des revenus agraires due à la dépopulation du pays et au déclin de l’agriculture.

La naissance de l’État et les premières globalisations : la singularité mésopotamienne

Les échanges connaissent une importante extension au 4e millénaire av. J.-C., en Asie occidentale puis en Égypte. Liée à l’innovation cruciale que représente le développement d’une métallurgie du cuivre puis du bronze, et au progrès d’un élevage de moutons pour la laine, base d’un artisanat textile, cette extension préside à la naissance de l’État. Ce phénomène constitue une rupture majeure dans l’évolution des sociétés humaines, après celle du Néolithique. L’absence de ressources de la Mésopotamie du Sud en métaux, en pierre ou en bois, ne pouvait qu’inciter les élites de cette région à assurer leur approvisionnement. Les causes de la naissance de l’État sont cependant plus complexes. La « Révolution urbaine » est aussi une révolution idéologique, à l’intérieur de la société et dans son rapport à l’environnement : elle est le temps du grand divorce de la culture et de la nature, et le motif du triomphe de l’homme sur une nature hostile est prééminent dans la mythologie mésopotamienne. C’est en fait un ensemble de facteurs inscrits dans l’économique, le politique, le religieux et l’environnement qui amènent les transformations observées [Testart, 2004]. Cette naissance de l’État conduit elle-même à un nouvel essor des échanges, échanges de biens mais aussi de savoirs, de croyances et de valeurs.

La construction de l’État s’accompagne en outre de l’apparition de techniques de pouvoir inédites, utilisant l’écriture (à partir de 3400 av. J.-C. au plus tard en Mésopotamie) et elle introduit une division du travail radicalement nouvelle, à l’intérieur des sociétés à État et entre régions. Elle développe de nouvelles formes de mobilisation du travail et d’accumulation du capital, impliquant le recours à un travail servile puis salarié, et la collecte de taxes et de tributs. L’écriture représente une révolution cognitive et une puissante technique de contrôle social [Glassner, 2000]. Combinée à une standardisation des poids et mesures, la mise au point de systèmes de comptabilité marque une innovation majeure qui va fournir à l’État les assises d’une organisation efficace et accentuer un mouvement de complexification sociale impulsé notamment par la croissance du commerce extérieur [Hudson et Wunsch, 2004]. Le secteur public nouvellement constitué apporte les cadres qui permettent la formation de centres entrepreneuriaux : une accumulation du capital avec recherche de profit s’est d’abord développée avec l’appareil d’État et les institutions des temples, puis des palais [1].

L’intensification des pratiques agricoles – avec la mise au point de l’araire et de la traction animale [Sherratt, 2006], l’essor de l’irrigation et celle de l’arboriculture – entraîne en Mésopotamie une augmentation de la production et une croissance démographique nouvelle. Celle-ci alimente un processus d’urbanisation et un phénomène expansionniste, qui s’appuie sur la construction étatique et la diffusion d’une idéologie nouvelle. À partir de 3600 av. J.-C. env., un système de cités-États se met en place, où la ville d’Uruk apparaît prééminente : on parle ainsi d’« expansion urukienne » pour ce qui est en fait une extension des réseaux d’échange à partir de toute la Mésopotamie du Sud. Même si ces innovations sont antérieures, la diffusion de races de moutons à laine et la production de boissons fermentées (bière, vin de dattes) constituent d’autres faits marquants de la Révolution urbaine : celle-ci s’accompagne clairement d’une transformation dans l’habillement et dans la consommation alimentaire [Sherratt, 2004] qui sont partie intégrante de cette « civilisation urukienne » qui va se diffuser dans les régions voisines, et influencer jusqu’à l’Égypte [Wilkinson, 2004].

Le Sud mésopotamien exporte sans doute des textiles et d’autres objets manufacturés, et importe des matériaux bruts, des esclaves, et peut-être aussi des objets métalliques. L’« expansion urukienne » induit un phénomène de « globalisation » (à la fois extension des échanges de longue distance et interdépendance des régions connectées à travers l’instauration d’une division transrégionale du travail) au sein d’un espace que l’on peut considérer comme un premier système-monde [Algaze, 2001 ; Beaujard, 2011, 2012]. Vers le nord, à la recherche de métaux, le système s’étend jusqu’au Caucase (culture de Maykop) et entre en contact avec le monde des steppes de l’Asie centrale (ville de Sarazm). Vers l’ouest, on peut clairement observer des interconnections entre l’Anatolie, les Balkans et les steppes lors du développement de l’Âge du Bronze ancien [Sherratt, 1997].

Les Mésopotamiens du Sud forment des comptoirs et créent des « colonies » dans des régions plus au nord. L’extension des réseaux urukiens est sans doute favorisée – dans un premier temps – par l’émergence d’entités politiques au nord de la Mésopotamie avant même le milieu du 4e millénaire. Si les diasporas mésopotamiennes devaient traiter avec les puissances locales, les colonies, elles, ont peut-être eu parfois recours à la force. La métallurgie du bronze permettait la fabrication d’outils pour l’agriculture, mais aussi d’armes qui augmentaient la puissance militaire : la constitution d’armées a joué un rôle dans l’essor des États.

L’idéologie et certaines innovations de la Mésopotamie vont influencer d’autres régions. S’il n’y a pas eu emprunt de l’écriture sumérienne, il y a eu diffusion de l’idée de l’écriture et mise au point de systèmes particuliers, en Égypte, en Iran, et plus tard dans l’Indus et en Crète. En Afrique du Nord-Est, dans le courant du 4e millénaire, l’aridification de la Libye et du désert oriental encourage une intensification des pratiques agricoles dans la vallée du Nil, qui ici encore se combine à une extension des échanges pour aboutir à la formation d’États. Les terres fertilisées par le Nil constituent une aire relativement enclavée ; cette situation pourrait avoir favorisé un mode d’organisation politique centralisé et avoir assuré une meilleure stabilité au système égyptien que les surfaces irriguées de la Mésopotamie du Sud. La nature de l’État en Égypte tient aussi à des traits politico-religieux des sociétés où émerge cet État [Wengrow, 2006]. Les fondements idéologiques du pouvoir différaient entre Mésopotamie et Égypte, où le personnage du roi-dieu pharaon était le garant de l’ordre cosmique et social, les « rois » mésopotamiens représentant d’abord des administrateurs et des seigneurs de guerre. L’ordre en Mésopotamie résulte de négociations et de compétitions dans les cités, entre les cités, et entre urbains et nomades. En Égypte, qui s’urbanise à partir de 3500 av. J.-C. et développe l’écriture vers 3400, divers proto-États dominent des sections le long du fleuve et les régions avoisinantes. Leur affrontement aboutit à la formation d’un royaume unifié vers 3100 av. J.-C. L’Égypte bénéficie de liens indirects avec la Mésopotamie par le Levant, mais se développe en centre d’un système-monde distinct de celui de l’Asie occidentale.

En Asie du Sud, les conditions politiques et religieuses qui président à la formation de l’État au 3e millénaire dans la civilisation de l’Indus restent difficiles à cerner, mais l’essor de l’agriculture et des échanges et l’idéologie jouent ici encore un rôle crucial [Possehl, 2002 ; Ratnagar, 2004]. L’espace indusien formera avec l’Asie occidentale un système-monde unique à partir de 2600 av. J.-C.

La formation de l’État en Chine s’appuie également sur un double progrès de l’agriculture d’une part, des échanges d’autre part. L’arrivée des techniques d’une métallurgie du bronze par les routes de l’Asie centrale vers la fin du 3e millénaire a influé sur cette évolution au 2e millénaire av. J.-C. L’État dirigé par la cité d’Erlitou surgit dans le contexte d’espaces en compétition, partageant une culture commune. La présence de centres secondaires sans doute initiés par une colonisation venant d’Erlitou montre une volonté de contrôle des routes menant à des ressources naturelles (sel, cuivre, étain…), dans un processus comparable à ce que l’on observe lors de l’expansion urukienne en Mésopotamie [Liu et Chen, 2003]. Ce n’est toutefois qu’à la période suivante, dans la culture d’Erligang, que des indices de contacts au loin bien développés sont mis en lumière. Un système d’écriture, d’abord rencontré sur des omoplates d’animaux et des plastrons de tortues, puis sur des bronzes, apparaît vers 1500 av. J.-C.

Chang [2000] a toutefois défendu l’idée que le bronze et l’écriture n’ont pas joué de rôle économique majeur dans l’Âge du Bronze chinois, mais plutôt un rôle idéologique de support du pouvoir politique (cf. l’usage de récipients en bronze dans les cultes dynastiques… Il est vrai que le bronze, dont la fabrication est monopolisée par l’élite à partir de la phase Erlitou, n’est pas utilisé pour des outils agricoles). Malgré son intérêt, cette thèse oublie l’importance qu’a dû représenter la fabrication d’armes en bronze, et la possibilité d’un usage plus large de l’écriture, sur des matériaux périssables qui n’auraient pas laissé de traces.

Il est vrai cependant que l’État se construit en Chine sur des bases qui diffèrent en partie de ce que l’on observe en Mésopotamie, et que les innovations mésopotamiennes ont joué un rôle crucial dans l’évolution de l’ensemble du monde. L’idéologie de la civilisation urukienne a en fait marqué l’évolution de l’Occident, jusqu’à la Révolution industrielle et la période actuelle. Pour Chang [2000], la Mésopotamie est la seule des grandes civilisations à s’être lancée, dès la Révolution urbaine, dans une construction étatique fondée sur le contrôle de techniques de production nouvelles, un usage largement économique de l’écrit et « l’établissement de sociétés territoriales prévalant pour le règlement du comportement interpersonnel sur les clans primitifs et les lignages ». D’où l’idée d’une « bifurcation » occidentale originelle. Les développements mésopotamiens, souligne Chang, furent considérés comme « archétypiques du commencement des civilisations », alors qu’ils ont constitué un phénomène pour une part singulier.

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[1] Un processus de privatisation de la terre naît ensuite au sommet de la pyramide sociale, en même temps que la royauté, dans la première partie du 3e millénaire (Hudson 1996). La pratique de prêts à intérêt apparaît à la même époque, et le salariat est attesté. Dès le 3e millénaire, on observe la floraison d’un secteur privé et l’existence de marchés avec des fluctuations de prix. Dans le même temps, les archives de Fara montrent l’existence d’un système de taxation vers 2500 av. J.-C.

Sur les navigations indiennes avant le 16e siècle

Divers auteurs ont développé l’idée selon laquelle « les hindous se sont peu aventurés loin de leurs rivages » (Rosenberger, 1999 : 271). « Le manque d’intérêt de l’Inde pour le pouvoir maritime dans la période prémoderne reste une énigme », estime Chaudhuri (1985 : 15). Wink (1990 : 65) écrit également : « Il est peu fait mention de marchands indiens dans le commerce à longue distance de l’océan Indien » (la prohibition des brahmanes concernant les voyages maritimes aurait contribué à limiter les initiatives hindoues sur les côtes de l’Inde). Ces auteurs sous-estiment curieusement le rôle joué par les Indiens dans les échanges, rôle pourtant bien attesté avant même l’ère chrétienne : l’« indianisation » de l’Asie du Sud-Est a commencé à la fin du premier millénaire av. J.-C. Du poivre était alors commercé au Viêtnam, un terme pour le désigner, *amrec, étant reconstructible en proto-chamique, langue alors parlée sur la côte viêtnamienne.

La naissance d’un système-monde reliant Asie, Europe et Afrique éclaire au début de l’ère chrétienne les mouvements des marchands méditerranéens vers l’Asie du Sud, l’« indianisation » de l’Asie du Sud-Est, l’émergence en Afrique de l’Est d’une culture pré-swahilie, et les voyages des Austronésiens vers la Chine ou l’Ouest de l’océan Indien (Beaujard 2009). Les Indiens jouent eux-mêmes un rôle actif sur les routes maritimes. Ils sont souvent bouddhistes (Ray 1996), mais des hindous sont également présents.

Si nous sommes mieux renseignés sur l’Ouest de l’océan Indien, grâce aux textes grecs et romains notamment, l’Est de cet océan était déjà le théâtre d’un commerce notable. On sait par le Périple de la Mer Érythrée (ca. 30 ap. J.-C.) (Casson, 1989) que de gros navires traversaient la baie du Bengale vers Chryse (péninsule malaise-Sumatra). En sens inverse, la trouvaille sur les côtes de la mer Rouge d’ostraka (tessons de poterie réutilisés comme supports d’écriture) en tamoul et écriture brâhmî, datés du 1er-2e s. ap. J.-C., montre que des Indiens fréquentaient cette région. Des États et des marchands privés devaient être impliqués dans les échanges. Des pièces shâtavâhana des 2e et 3e siècles figurent des navires à un ou deux mâts (Andhra Pradesh). Au Bengale occidental, diverses impressions de sceaux datés du 3e s. provenant de Chandraketugarh représentent des navires pourvus d’un mât à base tripode, qui sont d’un type différent des navires représentés sur les monnaies shâtavâhana. Le Sud et le Sud-Est de l’Inde jouent aussi un rôle important, à partir de ports comme Muziris (Kerala), Arikamedu et Kâverippûmpattinam (Coromandel). Un graffito sur un tesson de poterie trouvé au Tamil Nadu pourrait être la représentation d’un navire à trois mâts décrit par les textes gréco-romains.

Au 4e et au début du 5e siècle, le système-monde est en repli, mais les échanges demeurent actifs entre l’Inde orientale et l’Asie du Sud-Est, sous la dynastie des Pallava qui dominent alors le Coromandel. Le revers de l’un des types de pièces pallava trouvé dans la capitale Kâñchîpuram porte un navire. Une pièce de ce type a été mise à jour à Khuan Lukpad (Thaïlande péninsulaire). Les fresques indiennes d’Ajanta (première moitié du 6e s.) offrent différentes représentations de navires, certains à trois mâts, qui évoquent des navires de l’Asie du Sud-Est (Manguin 1985). Au 6e siècle, le Grec Cosmas souligne en outre l’importance de Ceylan, qui reçoit des biens de l’Orient et de l’Occident, et envoie ses propres navires outremer.

Le 7e siècle voit l’interconnexion de l’Empire chinois des Tang et de l’Empire musulman, qui favorise une nouvelle phase d’intégration du système-monde. En position centrale, de grands royaumes indiens jouent un rôle important dans l’expansion des réseaux : Râshtrakûta du Deccan, Pâla du Bengale et Pallava du Coromandel. Cette période voit l’émergence de grandes guildes en Inde du Sud et le renforcement des influences culturelles indiennes à Ceylan et au-delà de la baie du Bengale. Entre Inde et Asie du Sud-Est, une culture commune se crée, forgée par les marchands et les hommes de religion. Les chroniques chinoises conservent la trace d’ambassades du « Sud de l’Inde » en  692, 710 et 720 (Wang Gungwu 1998). Une inscription trouvée à Takuapa, sur la péninsule malaise, évoque une intervention militaire indienne au 9e siècle (844-866), à laquelle se trouve associée la guilde de marchands Manigrâmam. Peut-être avons-nous ici l’indice d’une tentative indienne visant à détourner le commerce vers l’isthme de Kra, au détriment de Palembang (Srîwijaya).

Les Cinghalais allaient eux-mêmes jusqu’en Chine. Un texte chinois du 9e s., parlant des navires qui arrivent chaque année au Nord-Viêtnam et à Huangzhou, précise : « Parmi ceux-ci, les navires du Royaume du Lion [Ceylan] sont les plus grands. »

Des navires indiens se rendaient aussi dans le golfe Persique. Le roi Châlukya Pulakeshin II (609-642), qui contrôlait la côte du Konkan, envoya des missions diplomatiques auprès du Sassanide Khosrau I. Une lettre du commandant ‘Utba ibn Ghazwân au calife ‘Umar parle de la visite de navires indiens au port d’Ubullah. Les Châlukya envoient en outre des navires vers Ceylan et l’Asie du Sud-Est.

Le système-monde est en repli au 9e et au 10e siècle, mais à la fin de ce siècle, une période de réchauffement que l’Europe a appelé l’Optimum Climatique Médiéval favorise un nouvel essor de ce système, impulsé notamment par la Chine Song. En Inde, la puissance politique majeure se trouve alors à l’est, avec la thalassocratie chola du Coromandel, mais les communautés marchandes du Gujarat et de la côte du Malabar sont également actives sur l’ensemble des réseaux. Si elles sont souvent musulmanes, des hindous et des jaïns sont également présents. Abû Zayd mentionne ainsi des marchands hindous à Sîrâf au 10e siècle. Mas‘ûdî signale par ailleurs des pirates indiens à Socotora au 10e s., « qui donnent la chasse aux navires arabes à destination de la l’Inde et de la Chine ».

Outre les données de l’archéologie et des textes arabo-persans, nous disposons pour la période des 11e-12e siècles des documents de la Geniza du Caire et des chroniques chinoises. Diverses lettres de marchands juifs font référence à des navires indiens, envoyés au port d’Aden avec du poivre et du fer (Goitein et Friedman 2007). Les Chola entreprennent la conquête d’une partie de Sri Lanka et des Maldives (10e-11e siècles), puis lancent des expéditions sur Sriwijaya et la péninsule malaise. Les sources chinoises montrent qu’une grande partie du commerce d’exportation à partir de la Chine se fait avec des navires indiens du Coromandel et de Ceylan.

Des documents indiens reflètent aussi l’importance de la navigation. Le manuscrit sanskrit Yuktikalpataru, du 11e siècle, ne mentionne pas moins de quinze sortes de bateaux aptes à une navigation en mer, certains de grande taille (Mookerji, 1999). Diverses inscriptions datées entre 10e et 13e s. parlent de maîtres de navires indiens sur la côte du Konkan ; elles donnent le mot vahitra pour des navires utilisés pour des voyages en haute mer, également en usage dans la baie du Bengale. Les nefs indiennes de cette période utilisent probablement des voiles auriques permettant de naviguer cap au vent. On connaît diverses représentations de navires pour cette période des 11e-12e s., navires ici à un seul mât (Deloche 1996). Une pierre conservée au musée de Goa montre en outre un navire avec un poste de gouvernail à la poupe, situé apparemment dans un chantier naval. Le gouvernail d’étambot observé n’est peut-être pas une innovation indienne, car la Chine connaît ce type de gouvernail depuis le 1er siècle. L’histoire a retenu les noms de certains traitants particulièrement riches, ainsi le prince-marchand Jagadu (Gujarat) – un jaïn –, qui commerce avec la Perse avec l’aide d’un agent indien basé à Hormuz.

Au 13e siècle, l’émergence de la semi-périphérie mongole comme puissance politique majeure provoque une brutale restructuration de l’espace continental asiatique et des réseaux d’échange, avec la création d’États mongols en Chine, en Perse et en Europe orientale, et la formation en Inde du sultanat de Delhi, en contrepoint à l’expansion mongole. Les musulmans dominent désormais les réseaux, mais des marchands hindous demeurent actifs, en particulier sur la côte sud-est de l’Inde. Au 13e siècle, des Indiens du Sud continuent à faire le voyage vers la Chine. Dédiée à Vishnu, une inscription bilingue chinois/tamoul datée de 1281 a été trouvée à Quanzhou, qui a livré par ailleurs un certain nombre de statues et bas-reliefs indiens. Une importante population tamoule semble avoir vécu à Quanzhou au 13e siècle. À la fin du 13e siècle, les Pândya envoient toute une série d’ambassades en Chine, via Java (il n’est pas sûr cependant que les marchands et ambassadeurs tamouls aient toujours voyagé à bord de navires indiens).

Des influences indiennes sont clairement apparentes en Afrique de l’Est pour cette période, influences arrivées sans doute, pour une part, avec des musulmans installés en Inde, mais des Indiens banians (hindous) sont aussi partie prenante dans les échanges : on sait que des banians étaient installés dans la région du golfe et à Aden. Les chroniques yéménites évoquent ainsi pour 1384 un quartier banian (hindou) de commerçants en tissus dans cette ville.

Les rois de Ceylan, par ailleurs, mènent une politique commerciale active. Ibn Battûta en témoigne pour le souverain du royaume tamoul du Nord de l’île, qui était en rapport avec le Coromandel et commerçait avec le Yémen.

Après le déclin global du 14e siècle entre les années 1320 et 1380, le système-monde connaît une nouvelle croissance au 15e siècle. La désintégration du sultanat de Delhi a donné naissance à des sultanats ouverts sur la mer, au Gujarat et au Bengale. Le sultanat bahmanide (Deccan) est également impliqué dans les échanges maritimes, de même que l’empire de Vijayanâgara (Sud de l’Inde) et des cités-États comme Calicut. Les marchands musulmans du Gujarat, de la côte du Malabar, et du Bengale jouent un rôle prééminent sur les réseaux de l’océan Indien. Des musulmans sont également présents sur la côte du Coromandel. L. de Varthema affirme au début du 16e s. : « Les païens hindous ne naviguent guère ; ce sont les Maures qui transportent les marchandises. » Pourtant, des « banians » « marchands de mer » sont en nombre dans les ports de Thatta, Goa, Calicut, Hormuz, Aden et Malacca. À Surat, dans le sultanat bahmanide, le plus grand marchand au début du 16e siècle était un brahmane, Malik Gopi, possesseur de trente navires (Subrahmanyam, 1995). Le Portugais Barros signale la présence de banians gujaratis à Malindi (Kénya) en 1498. Entre le Coromandel et le port de Malacca, ce sont des marchands chettis hindous qui ont la haute main sur le commerce. Selon le Portugais T. Pires, les « Keling », du Coromandel, généralement hindouistes, appartenant à l’Empire de Vijayanâgara, comptaient à Malacca le même nombre de marchands que les Gujaratis.

Ce relevé non exhaustif des activités maritimes indiennes au fil des siècles montre la vitalité des communautés marchandes dans les échanges à longue distance de l’Asie du Sud. Si les musulmans y jouent un rôle croissant à compter du 8e siècle, des hindous et des jaïns y sont bien présents, et prendront une part active dans les échanges à l’époque moderne.

BEAUJARD, P., 2009, « Un seul système-monde avant le 16e siècle ? L’océan Indien au cœur de l’intégration de l’hémisphère afro-eurasien », Histoire globale, mondialisations et capitalisme, P. Beaujard, L. Berger et P. Norel (éds.), Paris, Éditions La Découverte, pp. 82-148.

CASSON, L. (éd.), 1989, Periplus Maris Erythraei, Princeton, Princeton University Press, 344 p.

CHAUDHURI, K. N., 1985, Trade and Civilization in the Indian Ocean: An Economic History from the Rise of islam to 1750, Cambridge, Cambridge University Press, 288 p.

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