C’est avec consternation et une profonde tristesse que tous les amis de Philippe Norel ont appris son décès brutal, intervenu dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 juin, à l’âge de 60 ans. Philippe Norel était économiste à l’université de Poitiers [1], où il était membre du Centre de Recherche sur l’Intégration Économique et Financière (CRIEF), et professeur à Sciences Po-Paris. Son enseignement portait notamment sur l’économie du développement, l’économie monétaire internationale, l’histoire économique globale, l’histoire et la théorie de la mondialisation, et l’histoire de la pensée économique. Avec Laurent Testot et Vincent Capdepuy, Philippe Norel a animé le blog histoire globale.com, qui a vu le jour à son initiative.
Philippe Norel a développé une recherche novatrice dans l’analyse économique des processus de globalisation et l’« histoire économique globale », titre de son ouvrage paru en 2009 – qui poursuit une réflexion entamée avec L’Invention du marché. Une histoire économique de la mondialisation (2004).
Ce livre va en fait bien au-delà de l’économie et d’une analyse historique comparative ; il constitue un ouvrage d’histoire globale majeur, discipline dont Philippe Norel a été l’un des initiateurs en France pour la période récente [2]. Si cet ouvrage a connu un réel succès – il a été réédité en 2013 –, on doit pourtant regretter que l’œuvre de Philippe n’ait pas eu l’aura qu’elle méritait. Elle ne pouvait, il est vrai, que déplaire à l’école économiste orthodoxe et à des historiens trop eurocentrés pour accepter que le capitalisme européen ait des racines en Asie ou en Afrique, même si Philippe Norel soulignait en même temps son originalité. Reconnaissant l’existence de phénomènes anciens de globalisation, P. Norel écrivait dans un hommage à un autre enseignant-chercheur brutalement disparu, Jerry H. Bentley, « La mondialisation prémoderne, faite d’échanges commerciaux, biologiques et culturels, [représente] une étape cruciale du développement de ce qui allait devenir le monde moderne ». Revisitant Adam Smith, il montre comment l’essor des échanges transrégionaux induit une division du travail croissante qui encourage les innovations ainsi que des changements structurels [3], ouvrant à des processus de globalisations successives. Philippe Norel note que « la dynamique smithienne s’avère cruciale dans la création des institutions même du Marché» (2009a : 201), très dépendante cependant des rapports qui s’instituent entre l’État et les marchands (Norel parle ici de « l’indispensable médiation du politique » [2009a : 219sq.]). Qu’il y ait instrumentalisation de ces derniers par l’État ou symbiose des deux secteurs étatique et privé, les relations entre les marchands et l’État ont été essentiels pour la mise en place de conditions institutionnelles favorables au développement des marchés – jusqu’à la création de systèmes de marchés – et à celui du capitalisme. Le travail de Philippe Norel nous est désormais indispensable pour saisir la genèse du capitalisme européen et son évolution.
Philippe Norel alliait acuité et rigueur dans l’analyse à de vastes connaissances dans des domaines qui ne concernaient pas seulement économie et histoire – les nombreux articles publiés sur le blog histoireglobale.com le démontrent clairement [4]. Ceux qui l’ont connu se rappelleront aussi sa modestie, alliée à une grande humanité.
Il nous laisse un travail considérable, dont témoigne la bibliographie ci-après. Depuis presque dix ans, les échanges que j’ai pu entretenir avec lui ont alimenté ma réflexion sur l’histoire globale et ses défis : s’éloigner d’une recherche eurocentrée, saisir dans la longue durée la nature des changements sociaux, mais aussi comprendre le monde aujourd’hui et les enjeux pour le monde futur.
[1] Il avait soutenu en 1994 à Poitiers une thèse en sciences économiques intitulée « Crises économiques et conventions d’évaluation – un développement des intuitions keynésiennes », sous la direction de Jacques Léonard.
[2] Cf. aussi Histoire globale, mondialisations et capitalisme, publié avec Laurent Berger et moi-même (2009).
[3] Philippe Norel élargit la notion de croissance smithienne « requalifiée en “dynamique smithienne de changement structurel” » (2009b : 376).
[4] Philippe Norel a aussi été un collaborateur de Sciences Humaines à travers divers articles de vulgarisation, et la direction d’un ouvrage sur l’histoire globale (2012).
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Reposez en paix Philippe Norel , votre plume m’a grand ouvert les yeux , et la lecture de votre livre » histoire economique globale » a litteralement revolutionnee ma vision des choses economiques…
je salue ici la mémoire de Philippe Norel qui, dès les années 1980 avait su lier les questions de développement à celle de l’histoire de la mondialisation
Le temps qui passe n’efface ni les travaux de Philippe Norel ni le souvenir que j’ai de sa personnalité aimable et généreuse.