Marshall Hodgson : le livre des fondations

Marshall Hodgson est certainement, avec William McNeill, l’un des deux piliers de la “world history”, donc aussi par extension de l’histoire globale. Nous proposons ici de relire (ou lire) l’ouvrage principal qu’il nous a légué, malheureusement incomplètement traduit en français et intitulé Rethinking World History – Essays on Europe, Islam and World History.

Hodgson

Cet ouvrage, publié en 1993 aux Cambridge University Press, est en fait un recueil de quelques-uns des principaux textes de l’auteur prématurément disparu en 1968, à l’âge de 46 ans. Il s’agit d’un texte fort, parfois difficile, qui marie remarquablement la compétence de l’auteur en tant qu’historien de l’Islam et un vrai souci méthodologique. À ce titre, et plus encore que dans les ouvrages de McNeill (auquel Hodgson s’est souvent opposé), on trouvera ici les réflexions les plus fondatrices sur le projet d’une histoire « interrégionale », ou « à grande échelle » comme l’auteur la qualifiait le plus souvent. Si le texte du livre est parfois répétitif dans la mesure où les écrits d’origine n’ont pas été retouchés dans la perspective de former un ouvrage finalisé, il reste une source incontournable pour tout « historien global » aujourd’hui. Nous ne pourrons en traiter que partiellement ici, en choisissant quelques chapitres seulement, éventuellement les plus significatifs.

La première partie du livre s’intitule « L’Europe dans un contexte global » et constitue, sans doute encore aujourd’hui, une des plus brillantes analyses de l’eurocentrisme.

Hodgson entame le débat dès son chapitre 1, avec cette constatation géographique que l’Inde, pourtant plus peuplée et aussi diverse que l’Europe, à peu près d’égale étendue, est une (petite) partie du continent asiatique quand l’Europe est un continent à elle seule… S’il en est ainsi, c’est d’abord parce que nos ancêtres l’ont voulu. En instituant l’Europe comme un « continent » à part entière, ils l’ont séparée du reste du Monde, créant l’illusion du « nous » et du « eux » et justifiant au passage de l’étudier de façon plus détaillée que les autres régions comparables. C’est aussi parce qu’ils ont privilégié la projection Mercator (dont on sait qu’elle surestime les proportions des terres de l’hémisphère Nord) pour dessiner le planisphère, au prétexte qu’elle respecte les contours maritimes et les angles des terres immergées. Pourtant, ajoute Hodgson, « si on n’utilise pas la carte pour naviguer mais pour situer et comparer d’un coup d’œil les différentes parties du monde, alors les formes et les surfaces sont plus importantes que les angles ». Ceci n’est pas neutre et induit une conséquence délétère cruciale : en dilatant la surface relative de l’Europe, la projection de Mercator nous permet de situer beaucoup plus de détails, villes, rivières et montages, en Europe, que partout ailleurs.

A côté du tableau tiré de la géographie, l’image historique n’est pas en reste. Ainsi le cours de l’histoire s’intéresse au Proche-Orient jusqu’aux Grecs (mais plus après), aux Grecs jusqu’à la chute de l’Empire romain (mais plus après – les Byzantins ne font pas partie du « flux » principal), ensuite à l’Europe occidentale de l’âge des ténèbres (alors que monde musulman, Chine et Inde étaient plus « civilisés » à l’époque). Le mainstream historique ainsi établi identifie l’Occident. Et définit le reste par opposition. Avec au passage quelques curiosités : la Grèce classique fait partie de l’Ouest alors que le monde byzantin est clairement situé dans l’Orient…Dans l’opération, nous établissons notre Occident comme équivalent conceptuel de toutes les autres régions civilisées prises ensemble. Et comme nous avons moins d’informations sur « elles », que leur dynamique historique ne s’impose pas à nous, que le mainstream de l’histoire est censé passer à travers l’Europe, leur histoire est donc statique. Dès lors l’Occident, qui était déjà une moitié de l’humanité, devient spontanément la plus significative…

Si on rentre dans le détail, une tendance assez générale chez les historiens a distingué quatre grandes régions, l’Occident, le Proche-Orient (Turco-Arabo-Persan), l’Inde et la Chine, en les supposant compréhensibles en elles-mêmes, sans prendre en compte leurs relations mutuelles. Ces dernières sont cependant tout sauf anecdotiques, « reflètent des séquences d’événements et des modèles culturels qui s’imbriquent les uns dans les autres à tous les niveaux ». Si bien que ces quatre grandes régions (et d’autres avec elles) constituent toutes ensemble un grand complexe historique de développements culturels. Et qu’il n’est pas plus facile de les distinguer que de séparer des nations à l’intérieur d’un même bloc régional. Et ce d’autant moins qu’elles sont issues d’un même substrat, à savoir la révolution néolithique débouchant sur un processus conjoint d’urbanisation. Si l’on cherche à dépasser ces identités régionales pour repérer des « sociétés supranationales », à la Toynbee, on est vite confrontés à l’impossibilité de fixer ce qui caractérise les « champs intelligibles » recherchés. Même les religions qui semblent fournir les marqueurs les plus pertinents apparaissent vite comme transcendant les lignes de frontière (y compris l’islam). Il en va de même des langues ou des littératures que beaucoup d’historiens ont absolutisées à l’excès comme marqueurs de « mondes historiques ». Au total, c’est bien une histoire commune à l’espace de civilisation afro-eurasiatique qui s’impose, rendant illusoire toute division stable de cette zone. Les pages consacrées par Hodgson à structurer cette histoire commune (pp. 17-28) sont peut-être ses plus percutantes. Sans les reprendre ici dans toute leur précision, disons qu’elles marquent déjà une certaine pensée systémique, l’auteur montrant abondamment comment un changement au sein de la configuration interrégionale en entraînait d’autres. À commencer par la métallurgie qui, imposant la recherche de minerais, déterminera une expansion progressive des modèles de civilisation à tout l’hémisphère oriental du monde, pour donner une configuration globale au premier millénaire avant notre ère. C’est cette configuration qu’exprimera la tentative d’Alexandre, cet homme « pressé de descendre le Gange et préoccupé de saisir par l’esprit ce monde afro-eurasiatique comme un tout géographiquement réalisable ». C’est elle aussi que caractérisera la période axiale, chère à Jaspers, laquelle différenciera les cultures mais déterminera parallèlement un progrès irréversible des échanges entre régions et débouchera sur « des standards intellectuels permettant les influences réciproques entre cultures au niveau de la pensée abstraite ». Et dans cette configuration, Hodgson montre clairement que l’Europe ne fut d’abord qu’une périphérie, à peu près jusqu’aux croisades, une zone de développement frontalier, peut-être comme le Soudan ou la Malaisie à la même époque… En témoignerait notamment le faible intérêt des lettrés, dans l’Islam des trois premiers siècles, pour l’Occident, comparé à leur connaissance de l’Inde, de la Chine et de Byzance, voire même de l’Afrique de l’est ou du Tibet.

Nous laisserons de côté ici les chapitres 2 et 3 de cette première partie, tout comme les chapitres 5 et 6, assez courts et partiellement redondants avec le premier, pour nous consacrer au chapitre 4, le plus fondamental, consacré à la « grande transmutation occidentale ». Dans ce texte, Hodgson considère cette transmutation comme ayant eu deux conséquences majeures, la révolution industrielle britannique et la Révolution française, elles-mêmes liées à l’hégémonie nouvelle de l’Europe sur le monde depuis environ 1600. C’est donc dire que cette transformation ne se réduit pas à ces deux ou trois événements, qui lui sont postérieurs. Elle serait comparable à la mutation qui est survenue après le Néolithique quand l’urbanisation, l’usage de l’écriture et l’apparition d’organisations politiques complexes ont, suivant la tradition, fait passer de la préhistoire à l’histoire, créant ainsi une situation irréversible. La mutation de la modernité, pour sa part, survient d’abord en Occident mais n’aurait pas pu avoir lieu sans l’accumulation d’inventions et de découvertes bien antérieures au sein de l’espace afro-eurasiatique. Par ailleurs, elle n’aurait pas été possible sans l’existence de « vastes aires de populations urbaines relativement denses et reliées entre elles par un grand réseau commercial interrégional, formant ce vaste marché propre à l’hémisphère oriental du monde et sur lequel les Européens allaient pouvoir faire leur fortune et exercer leur imagination ». Cette mutation moderne, qui apparaît en Europe, n’en est donc pas moins un phénomène d’essence globale, préparé progressivement au sein de l’hémisphère oriental du monde.

En Europe même, cette mutation intervient précisément aux 17e et 18e siècles. En ce sens, la Renaissance n’en constitue qu’une phase préparatoire, les Occidentaux restant alors au mieux à parité avec le monde musulman et du reste toujours sous la menace des Ottomans. Durant la période entre 1600 et 1800, c’est sans doute une forme de rationalisation des décisions qui vient se substituer à la tradition, rationalité désormais fondée sur le « calcul pratique de l’avantage immédiat ». Mais Hodgson nous précise d’emblée que des dynamiques de rationalisation similaires sont apparues de façon récurrente dans l’histoire afro-eurasiatique, notamment chaque fois qu’une nouvelle religion s’implantait (on le reverra dans la deuxième partie du livre dans le cas de l’islam). Ce qui caractérise spécifiquement la transmutation moderne, c’est l’apparition d’une « rationalité techniciste » qui permet de « changer les modèles d’investissement du temps et de l’argent ». Et cette forme de rationalisation, loin de s’éteindre après quelques années sous l’effet de la tradition, va progressivement s’institutionnaliser et, ce faisant, devenir irréversible. Elle va en conséquence permettre l’exploitation d’opportunités crédibles et durables, pour des individus investissant de façon innovante ou simplement exerçant leur créativité culturelle, de quelque ordre qu’elle soit. Dans ces conditions nouvelles, « le capital allait être systématiquement réinvesti et multiplié sur la base d’une innovation technique continue et d’une expansion anticipée des marchés ». Au cœur de ce processus se trouve donc une technicisation, définie comme une « possibilité de spécialisation technique liée à un calcul rationnel, au sein de laquelle les différentes spécialisations sont interdépendantes sur une échelle assez grande pour déterminer des modèles d’anticipation dans les secteurs clés de la société ». Autrement dit, la technicisation ne se réduit pas à la possibilité d’utiliser des techniques nouvelles ; elle signifie plutôt une condition pour que les anticipations des acteurs convergent, se confirment mutuellement, déterminant ainsi la poursuite d’un processus dynamique. Dans le champ économique, on pourrait interpréter le phénomène ainsi : la spécialisation technique assurant l’efficacité, donc la baisse des coûts et sans doute des prix de vente, déterminera un élargissement du marché, donc une possibilité de débouché qui justifie en retour l’investissement technique initial. Mais le même processus concernerait l’administration et, à la fin du 18e siècle, l’efficacité bureaucratique européenne aurait déjà dépassé le niveau atteint dans la Chine des 11e-13e siècles. Du reste, Hodgson n’hésite pas à suggérer qu’au final « l’Occident semble avoir été l’héritier inconscient de la révolution industrielle avortée de la Chine des Song » tant par les nombreux emprunts technologiques qui seront déterminants dans notre révolution industrielle que par l’imitation du système chinois de recrutement des fonctionnaires…

La deuxième partie de l’ouvrage traite du rôle de l’Islam dans l’histoire globale, notamment de ses relations à la modernité.

Pour Hodgson, non seulement le monde musulman occupait une position centrale sur le continent afro-eurasien mais encore « s’exprimaient en lui certaines pressions culturelles cosmopolites et égalitaristes (en tout cas non traditionnelles) qui avaient pris naissance dans les régions les plus anciennes et centrales de la société musulmane ». Il devait par ailleurs déployer, jusqu’au 18e siècle, une puissance politique et militaire, liée à une culture vivante et sophistiquée (notamment dans les arts et les sciences), qui interdit de parler de décadence (sauf peut-être dans le domaine économique), à partir du 11e siècle, comme on le fait encore trop souvent. Et si l’Islam a connu une telle influence durant plus d’un millénaire, il le doit aussi et surtout au succès de la religion musulmane.

Les raisons de la réussite de la conquête islamique et de la solidité des institutions qui l’ont suivie sont évidemment multiples et font l’objet du chapitre 7. Et ces raisons ne seraient pas d’abord à trouver dans les logiques des sociétés arabes. Hodgson développe l’idée que l’islam est venu renforcer les bases d’une influence, alors déjà grandissante entre 5e et 7e siècles, de la classe mercantile sur les sociétés irano-sémitiques (surtout donc en Perse, en Syrie et en Asie centrale, le long de la route de la Soie). Ce renforcement a pris plusieurs visages. Il invoque d’abord le rôle de la charia : en tant qu’elle supposait l’égalité et la mobilité sociale, refusait les statuts inégaux acquis, cette dernière se révélait largement « contractualiste » et donc venait en quelque sorte légitimer le droit mercantile. Dans le même esprit, la charia excluait toute autre légitimité qu’elle-même, ruinant ainsi les prétentions à dominer de l’aristocratie agraire traditionnelle. Enfin l’islam, en tant que religion monothéiste potentiellement universelle, convenait très bien aux marchands dont elle pouvait servir les intérêts : elle permettait aux communautés monothéistes antéislamiques séparées de se retrouver sur un socle commun, donc de communiquer et de partager des références morales qui seraient par ailleurs nécessairement utiles aux marchands. Au total donc l’islam est venu renforcer la classe mercantile, urbaine et cosmopolite, dans des régions de vieille civilisation où l’influence grecque avait d’ailleurs été profonde. La religion musulmane a ainsi permis une synergie entre le monde arabe et ses voisins, notamment autour de la valeur accordée aux activités marchandes, elle-même plus forte dans le monde iranien élargi à l’Asie centrale, mais on le sait très présente aussi chez Mahomet et ses compagnons. Au total « l’islam, dans ses idéaux religieux puis dans son influence sur les modèles sociaux, a précisément renforcé les traits de l’héritage irano-sémitique qui encourageaient le contrat entre égaux et la mobilité sociale. Et ceci n’a pu avoir lieu qu’en raison de l’autonomie de la communauté religieuse en tant que société morale dépassant les clivages territoriaux. » Revers de la médaille, cette prépondérance des valeurs propres à la communauté religieuse et de la charia a pu limiter la légitimité des gouvernements successifs, rendant ces derniers imprévisibles et par ricochet, pénalisant l’investissement productif qui suppose une certaine stabilité en matière de politique publique.

Mais c’est surtout dans son apport à la modernité que l’islam est particulièrement étudié par Hodgson, dans le chapitre 10 de cette deuxième partie. Définissant cette modernité comme une accélération de l’histoire, l’auteur nous montre d’abord qu’elle ne constitue pas un phénomène purement européen mais résulte d’une configuration beaucoup plus large, propre à l’espace afro-eurasiatique dans son entier. La croissance économique européenne de la fin du Moyen Âge serait d’abord un « effet de frontière », un phénomène de développement rapide imputable au retard préalable de cette région. De même l’essor culturel du continent serait, pour partie le résultat d’une communication accrue avec le monde islamique, pour partie le résultat d’emprunts beaucoup plus lointains (chinois notamment). L’expansion océanique ibérique du 16e siècle elle-même ne serait pas plus étonnante que la stupéfiante conquête musulmane des 7e et 8e siècles. Replacé dans un contexte global, l’avènement de la « grande transformation moderne » ne relèverait plus de qualités propres au seul Occident. Dans son développement ultérieur, cette modernité s’analyse alors dans ses deux dimensions, évolutionniste d’une part, interactive d’autre part. Côté évolutionniste, c’est l’émergence du primat du calcul et de l’institutionnalisation de la technique qui apparaît comme créant de l’irréversibilité et de l’universel, avec l’idée que ces calculs techniques conduiront à un changement continu, en tout cas à des améliorations techniques, comme nous l’avons vu en première partie. Côté « interactions » Hodgson insiste sur le « haut degré de pouvoir social » désormais possédé par les Européens (et qui s’illustre, encore timidement, dans la conquête portugaise de l’océan Indien) corrélé avec « l’exploitation de possibilités techniques toujours renouvelées qui rend les Européens rapidement dépendants de conditions diverses dispersées aux quatre coins de la planète ». Dans ces conditions, la modernité, c’est aussi et surtout le fait que les Européens ont désormais un « intérêt vital dans toutes les affaires de la planète ». S’imposant partout au nom des possibilités offertes par la technique, la modernité obligera désormais les autres sociétés à adopter cette transformation, voire à la réaliser de façon accélérée si le gouffre avec l’Europe doit être comblé. En ce double sens, évolutionniste et interactif, la modernité n’est pas simplement une étape du changement social, mais d’abord un « événement » touchant simultanément toutes les régions du monde. Si elle constitue bien « une rupture avec les modèles du processus historique afro-eurasiatique dont l’Europe médiévale n’était qu’une partie, l’ancienne tradition occidentale ne saurait détenir la totalité, ni même la majorité, des réponses aux problèmes posés ».

La troisième partie de l’ouvrage traite de la « World History » en tant que discipline.

En moins de 60 pages, Hodgson y pose des questions de méthode tout à fait cruciales et n’hésite pas à affirmer d’emblée que « la world history, interprétée comme l’histoire des relations interrégionales, doit constituer le cœur de l’organisation intellectuelle de la profession historienne ». Ce qui pourrait passer pour une provocation est alors très progressivement étayé. Connaissance du singulier en tant que tel (et non en tant qu’exemple d’une généralité plus large), l’histoire doit cependant soulever des problèmes dont la pertinence soit universelle. C’est donc par le type de questions qu’il pose que l’historien sera fidèle à son projet. Ainsi, contrairement à ce que la profession admet souvent, ce n’est pas sa méthode de travail (notamment la recherche et l’interprétation d’archives) qui fait son identité. À la différence du sociologue, l’historien ne s’intéressera pas aux généralités en tant que telles, mais dans la mesure où elles peuvent éclairer tel événement. En conséquence, opposer histoire et sciences sociales serait inopportun car bloquant la compréhension.

L’historien se définit aussi et surtout par les relations entre les différentes questions qu’il aborde. Plus précisément, s’il est vrai que l’histoire humaine est reliée, interconnectée, depuis fort longtemps, au point que l’action humaine prend une grande partie de son sens à travers ses conséquences lointaines (dans le temps comme dans l’espace), alors l’historien « est incapable de répondre de façon adéquate à une question précise sans donner une réponse à toutes les autres ». Au-delà du paradoxe, l’intuition est bien que la compréhension d’un fait localisé requiert une envergure d’analyse peu usuelle, implique de mobiliser la connaissance de « complexes historiques » à dimension interrégionale, voire planétaire. La conceptualisation à grande échelle devient alors cruciale pour toute étude historique.

Sur ces bases, Hodgson pose la difficile question de l’objectivité propre à la définition et à l’utilisation de ces complexes historiques. La recherche rencontre ici deux limites, celle inhérente au fait de ne considérer qu’une petite partie des faits déterminants d’une part, celle d’évacuer toute signification inhérente à l’histoire de communautés particulières d’autre part. Mais ces imperfections étant connues, la démarche de l’historien ainsi conçue n’en reste pas moins indispensable pour discipliner et rectifier les perspectives historiques des « personnes ordinaires ». Et cet objectif suppose de rompre avec la pratique trop souvent répandue chez les historiens de « laisser les perspectives plus larges aux philosophes de l’histoire », au prétexte qu’aucune objectivité n’y serait plus possible. Or, sur ces questions plus larges, la méthode pour affirmer un jugement, une hypothèse, l’importance d’une relation, reste la même, procède par l’accumulation de faits, de coïncidences jusqu’à ce qu’une seule conclusion demeure possible pour quelque observateur que ce soit. Et s’il est vrai que l’historien sélectionne ses « faits pertinents », cela fait partie de son questionnement, structure ce dernier. Ce qui est le cas du reste dans toute discipline : on n’obtient jamais que les réponses permises par les questions posées. Ce qui suppose aussi de considérer chaque recherche comme une approche particulière, ne délivrant pas un savoir définitif, analyse destinée à être complétée par des approches adoptant d’autres points de vue, d’autres questionnements.

L’auteur conclut alors son chapitre 11 en montrant que l’étude des processus historiques à grande échelle doit porter sur trois niveaux de changements. Ce sont en premier lieu les événements « extra-historiques », souvent négligés, qui importent : changements climatiques, mutations biologiques ou épidémiologiques. À un second niveau, « semi-historique », on trouvera les « résultats imprévus de l’action humaine », portant sur les ressources, les maladies, la démographie, qu’ils aient pour origine la consommation de drogues, les usages alimentaires, les modalités éducatives. Enfin, au troisième niveau, « plus strictement historique », on abordera les effets conscients de l’action humaine (pas toujours prévus du reste) propres aux comportements politiques, économiques et sociaux. Le plus important reste que « ces types de développements sont en partie aveugles, beaucoup d’entre eux étant largement inconscients » ce qui amène Hodgson à insister sur l’importance de ce « tout inconscient » dans toute analyse d’histoire globale.

Au final, ce livre de Marshall Hodgson excède largement la place dévolue, sur un blog, à une recension d’ouvrage. Critique subtile de l’eurocentrisme, analyse fine des liens entre Islam et modernité, fondation méthodologique de l’histoire à grande échelle, il apporte un éclairage stimulant que certains de nos historiens contemporains, parfois bloqués dans le fétichisme de l’archive et des singularités, pourraient méditer avec profit.

Références bibliographiques

M. Hodgson, [1999], L’Islam dans l’histoire mondiale, Paris, Actes Sud, constitue pour l’essentiel une traduction de la deuxième partie de l’ouvrage.

 

 

1963, Pacem in Terris

Le 11 avril 1963, le pape Jean XXIII (Angelo Giuseppe Roncalli) publiait une encyclique sur la paix dans le Monde. Le texte n’avait en soi rien de surprenant. D’une part, la paix est une valeur fondamentale, au moins théorique, du christianisme ; d’autre part, le catholicisme est par essence universel (katholicos) : le Monde ne pouvait qu’être son horizon. De fait, le premier paragraphe inscrit l’encyclique dans la longue tradition d’un droit naturel d’origine divine :

« La paix sur la terre, objet du profond désir de l’humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s’affermir que dans le respect absolu de l’ordre établi par Dieu. » (§1)

Ce que les hommes, trop souvent, tendraient à oublier :

« Mais la pensée humaine commet fréquemment l’erreur de croire que les relations des individus avec leur communauté politique peuvent se régler selon les lois auxquelles obéissent les forces et les éléments irrationnels de l’univers. Alors que les normes de la conduite des hommes sont d’une autre essence : il faut les chercher là où Dieu les a inscrites, à savoir dans la nature humaine. » (§6)

Ce sont ces lois qui doivent, devraient guider les hommes :

« Ce sont elles qui indiquent clairement leur conduite aux hommes, qu’il s’agisse des rapports des individus les uns envers les autres dans la vie sociale ; des rapports entre citoyens et autorités publiques au sein de chaque communauté politique ; des rapports entre les diverses communautés politiques ; enfin des rapports entre ces dernières et la communauté mondiale, dont la création est aujourd’hui si impérieusement réclamée par les exigences du bien commun universel. » (§7)

Et voici, pour un historien du global, la raison pour laquelle un tel texte peut être considéré comme une source de l’histoire de la mondialisation, ou du moins de sa métahistoire. Avec l’encyclique Pacem in Terris, le monde, ensemble absolu des êtres humains, est clairement devenu le Monde, ensemble des hommes pris dans leurs interrelations à l’échelle du globe. Or cette unité de l’humanité globale, si elle est d’origine divine, n’en résulte pas moins d’une histoire très humaine :

« Les récents progrès de la science et de la technique ont exercé une profonde influence sur les hommes et ont déterminé chez eux, sur toute la surface de la terre, un mouvement tendant à intensifier leur collaboration et à renforcer leur union. De nos jours, les échanges de biens et d’idées, ainsi que les mouvements de populations se sont beaucoup développés. On voit se multiplier les rapports entre les citoyens, les familles et les corps intermédiaires des divers pays, ainsi que les contacts entre les gouvernants des divers États. De même la situation économique d’un pays se trouve de plus en plus dépendante de celle des autres pays. Les économies nationales se trouvent peu à peu tellement liées ensemble qu’elles finissent par constituer chacune une partie intégrante d’une unique économie mondiale. Enfin, le progrès social, l’ordre, la sécurité et la tranquillité de chaque communauté politique sont nécessairement solidaires de ceux des autres. » (§130)

C’est donc bien cette mondialisation contemporaine qui nécessite, aux yeux de Jean XXIII, d’actualiser le droit naturel d’obédience chrétienne en une nouvelle cosmopolitique des hommes. En rappelant l’impératif de veiller au « bien commun universel » (communis omnium utilitas), le pape évoque la nécessité de créer une « communauté mondiale » (universarum gentium societas), seule apte à gérer ce bien commun. La mondialisation pourrait ici s’entendre dans un sens qui rappellerait ses premiers emplois, comme un processus de socialisation à l’échelle du Monde en vue d’une gouvernance mondiale dont le but serait le bien-être de chacun.

« Êtres essentiellement sociables, les hommes ont à vivre les uns avec les autres et à promouvoir le bien les uns des autres. Aussi, l’harmonie d’un groupe réclame-t-elle la reconnaissance et l’accomplissement des droits et des devoirs. Mais en outre chacun est appelé à concourir généreusement à l’avènement d’un ordre collectif qui satisfasse toujours plus largement aux droits et aux obligations. » (§31)

Parmi l’ensemble de ces droits et devoirs, signalons au passage le droit au travail, qui est aussi une prise de position contre le communisme :

« 18. Tout homme a droit au travail et à l’initiative dans le domaine économique. […]

21. De la nature de l’homme dérive également le droit à la propriété privée des biens, y compris les moyens de production. »

Et le droit à émigrer/immigrer, fondé sur la fraternité humaine :

« Tout homme a droit à la liberté de mouvement et de séjour à l’intérieur de la communauté politique dont il est citoyen ; il a aussi le droit, moyennant des motifs valables, de se rendre à l’étranger et de s’y fixer. Jamais, l’appartenance à telle ou telle communauté politique ne saurait empêcher qui que ce soit d’être membre de la famille humaine, citoyen de cette communauté universelle où tous les hommes sont rassemblés par des liens communs. » (§25)

Comment assurer cette gouvernance mondiale ? Jean XXIII apporte deux réponses. La première est une invitation à calquer les relations internationales sur les relations interpersonnelles, le changement d’échelle n’impliquant pas de changement des principes moraux.

« Nous affirmons à nouveau l’enseignement maintes fois donné par Nos prédécesseurs : les communautés politiques ont, entre elles, des droits et des devoirs réciproques : elles doivent donc harmoniser leurs relations selon la vérité et la justice, en esprit d’active solidarité et dans la liberté. La même loi morale qui régit la vie des hommes doit régler aussi les rapports entre les États. » (§80)

Toutefois, Jean XXIII conclut à l’échec de la coopération internationale :

« 133. Autrefois, les gouvernements passaient pour être suffisamment à même d’assurer le bien commun universel. Ils s’efforçaient d’y pourvoir par la voie des relations diplomatiques normales ou par des rencontres à un niveau plus élevé, à l’aide des instruments juridiques que sont les conventions et les traités : procédés et moyens que fournissent le droit naturel, le droit des gens et le droit international.

134. De nos jours, de profonds changements sont intervenus dans les rapports entre les États. D’une part, le bien commun universel soulève des problèmes extrêmement graves, difficiles, et qui exigent une solution rapide, surtout quand il s’agit de la défense de la sécurité et de la paix mondiales. D’autre part, au regard du droit, les pouvoirs publics des diverses communautés politiques se trouvent sur un pied d’égalité les uns à l’égard des autres ; ils ont beau multiplier les Congrès et les recherches en vue d’établir de meilleurs instruments juridiques, ils ne parviennent plus à affronter et à résoudre efficacement ces problèmes. Non pas qu’eux-mêmes manquent de bonne volonté et d’initiative, mais c’est l’autorité dont ils sont investis qui est insuffisante.

135. Dans les conditions actuelles de la communauté humaine, l’organisation et le fonctionnement des États aussi bien que l’autorité conférée à tous les gouvernements ne permettent pas, il faut l’avouer, de promouvoir comme il faut le bien commun universel. »

La deuxième réponse est donc un appel à un dépassement des États :

« 137. De nos jours, le bien commun universel pose des problèmes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens d’action prennent eux aussi des dimensions mondiales et qui puisse exercer son action sur toute l’étendue de la terre. C’est donc l’ordre moral lui-même qui exige la constitution d’une autorité publique de compétence universelle. »

Par ailleurs, Jean XXIII attire l’attention sur les limites du découpage étatique et de la mondialisation du modèle de l’État-nation :

« 94. Depuis le XIXe siècle, s’est accentuée et répandue un peu partout la tendance des communautés politiques à coïncider avec les communautés nationales. Pour divers motifs ; il n’est pas toujours possible de faire coïncider les frontières géographiques et ethniques : d’où le phénomène des minorités et les problèmes si difficiles qu’elles soulèvent.

95. À ce propos, Nous devons déclarer de la façon la plus explicite que toute politique tendant à contrarier la vitalité et l’expansion des minorités constitue une faute grave contre la justice, plus grave encore quand ces manœuvres visent à les faire disparaître.

96. Par contre, rien de plus conforme à la justice que l’action menée par les pouvoirs publics pour améliorer les conditions de vie des minorités ethniques, notamment en ce qui concerne leur langue, leur culture, leurs coutumes, leurs ressources et leurs entreprises économiques. »

Malgré bien des passages marqués par le conservatisme moral de Jean XXIII, l’encyclique de 1963 peut ainsi être lue comme une forme d’altermondialisme. Jean XXIII, dans l’avènement du Monde, voit l’œuvre de Dieu et ne peut qu’encourager cette mondialisation, mais il en déplore aussi la violence et les inégalités. Ses prises de position sont très politiques en s’inscrivant dans les débats de l’époque, notamment dans les chapitres intitulés « Signes des temps », expression clé du concile Vatican II. Ainsi, selon Jean XXIII, trois caractérisent l’époque : la « promotion économique et sociale des classes laborieuses » (§ 40), « l’entrée de la femme dans la vie publique » (§ 41) et la fin de la colonisation.

« 42. Enfin l’humanité, par rapport à un passé récent, présente une organisation sociale et politique profondément transformée. Plus de peuples dominateurs et de peuples dominés : toutes les nations ont constitué ou constituent des communautés politiques indépendantes.

43. Les hommes de tout pays et continent sont aujourd’hui citoyens d’un État autonome et indépendant, ou ils sont sur le point de l’être. Personne ne veut être soumis à des pouvoirs politiques étrangers à sa communauté ou à son groupe ethnique. On assiste, chez beaucoup, à la disparition du complexe d’infériorité qui a régné pendant des siècles et des millénaires ; chez d’autres, s’atténue et tend à disparaître, au contraire, le complexe de supériorité, issu de privilèges économiques et sociaux, du sexe ou de la situation politique.

44.- Maintenant, en effet, s’est propagée largement l’idée de l’égalité naturelle de tous les hommes. Aussi, du moins en théorie, ne trouve-t-on plus de justification aux discriminations raciales. Voilà qui représente une étape importante sur la route conduisant à une communauté humaine établie sur la base des principes que Nous avons rappelés. Maintenant, à mesure que l’homme devient conscient de ses droits, germe comme nécessairement en lui la conscience d’obligations correspondantes : ses propres droits, c’est avant tout comme autant d’expressions de sa dignité qu’il devra les faire valoir, et à tous les autres incombera l’obligation de reconnaître ces droits et de les respecter. »

Le pape appelle ainsi à un nouvel ordre mondial fondé sur la solidarité :

« Pour satisfaire à une autre exigence du bien commun universel, chaque communauté politique doit favoriser en son sein les échanges de toute sorte, soit entre les particuliers, soit entre les corps intermédiaires. En beaucoup de régions du monde coexistent des groupes plus ou moins différents sous le rapport ethnique ; il faut veiller à ce que les éléments qui caractérisent un groupe ne constituent pas une cloison étanche entravant les relations entre des hommes de groupes divers. Cela détonnerait brutalement à notre époque, où les distances d’un pays à l’autre ont à peu près disparu. On n’oubliera pas non plus que, si chaque famille ethnique possède des particularités qui forment sa richesse singulière, les hommes ont en commun des éléments essentiels et sont portés par nature à se rencontrer dans le monde des valeurs spirituelles, dont l’assimilation progressive leur permet un développement toujours plus poussé. Il faut donc leur reconnaître le droit et le devoir d’entrer en communauté les uns avec les autres. » (§ 100)

Et sur une meilleure répartition des richesses :

« 101. Personne n’ignore la disproportion qui règne en certaines zones entre les terrains cultivables et l’effectif de la population, ou bien entre les richesses du sol et l’équipement nécessaire à leur exploitation. Cet état de choses réclame, de la part des peuples, une collaboration qui facilite la circulation des biens, des capitaux et des personnes.

102. Nous estimons opportun que, dans toute la mesure du possible, le capital se déplace pour rejoindre la main-d’œuvre et non l’inverse. Ainsi, on permet à des foules de travailleurs d’améliorer leur condition sans avoir à s’expatrier, démarche qui entraîne toujours des déchirements et des périodes difficiles de réadaptation et d’assimilation au nouveau milieu. »

L’encyclique fut le testament spirituel de Jean XXIII, décédé quelques mois plus tard. On pourra la juger comme un vœu pieux, elle n’en demeure pas moins un texte important sur la mondialisation, la « planétisation », comme l’écrivait alors Pierre Teilhard de Chardin.

Bibliographie

Pacem in Terris, texte en latin.

Pacem in Terris, traduction française.

M.A. Glendon, R. Hittinger, M. Sánchez Sorondo (dir.), 2013, The Global Quest for Tranquillitas Ordinis Pacem in Terris, Fifty Years Later, Vatican, The Pontifical Academy of Social Sciences [en ligne].

Et si… la science-fiction rencontrait l’histoire globale ? 2/2

Suite et fin de la chronique de la semaine dernière. Ou comment un sujet que l’on pourrait croire surgi d’une nouvelle de science-fiction (SF), écrivant lui-même de la fiction, nous plonge dans le labyrinthe de son âme de génie torturé.

4) Comment entrer dans le cerveau d’un savant schizoïde ?

Norbert Wiener (1894-1964), pour avoir vraiment existé, semble un authentique personnage de SF. Son père, linguiste à l’université de Harvard, clamant qu’on pouvait faire de n’importe quel enfant un surdoué, avait très tôt pris son éducation en main : il aurait su lire à 1 an et demi ! (selon Wikipedia), et a décroché sa licence à 12 ans, son doctorat de logique mathématique à 18. Celui qui déclara un jour se percevoir comme une créature de Frankenstein, création de son géniteur, est entré dans l’histoire comme le créateur du terme de cybernétique – science des systèmes envisageant le monde comme des ensembles reliés par des interactions. Une discipline qui a eu dans les années 1950-1960 une fécondité dans des domaines aussi divers que l’économie, l’ingénierie, la philosophie ou encore la psychanalyse, en sus d’influencer de façon décisive la robotique et l’informatique.

Wiener a introduit le terme de feedback (rétroaction, à la base de la cybernétique) durant la Seconde Guerre mondiale, en travaillant sur des canons antiaériens qu’il souhaitait rendre capables d’anticiper la trajectoire de leurs cibles. À l’orée du livre Les Rêves cybernétiques de Norbert Wiener, de Pierre Cassou-Noguès [Seuil, 2014], notre héros est présenté comme taraudé par un problème de conscience : il a involontairement et très marginalement favorisé, par l’exploitation militaire d’une équation qu’il a autrefois résolue, l’avènement de la bombe A. Citons-le : « La fin de la guerre est proche. L’usage de la bombe atomique conduit les savants américains à un grand examen de conscience [a lot of soul searching]. Nous devons vivre maintenant avec une horrible responsabilité potentielle. »

« Depuis que la bombe atomique est tombée, je guéris peu à peu d’une attaque de conscience [… acute attack of conscience] d’autant plus sévère que je suis un savant qui a participé au travail de guerre, qui a vu son travail de guerre s’intégrer dans un ensemble plus large, utilisé d’une façon que je n’approuve pas et sur laquelle je n’ai absolument aucun contrôle. Je pense que l’on peut présager qu’il y aura une troisième guerre mondiale, je n’ai pas l’intention de laisser utiliser mes services dans un tel conflit. »

Ce contexte est essentiel pour comprendre la démarche de Cassou-Noguès, qui a exhumé une nouvelle de Wiener : Un savant réapparaît. Cette nouvelle, publiée en annexe à la fin du livre de Cassou-Noguès, est donc restée inédite jusqu’à aujourd’hui. Si elle avait été publiée, elle l’aurait été sous le transparent pseudonyme de W. Norbert, réminiscence du bon Dr Wiener, par ailleurs auteur d’essais scientifiques aux titres aussi évocateurs que L’Usage humain des êtres humains ou God and Golem. La nouvelle s’ouvre dans un bar, sur la réunion de cinq savants juifs, à l’occasion d’un congrès qui se tient en Israël. Hasard « incroyable » qu’autorise évidemment la fiction, sur l’envers de la nappe où nos savants se mettent à gribouiller, figure déjà une équation posée la veille par un mystérieux client. La formule permet de résoudre une aporie mathématique ouvrant la voie à la « micro-instrumentation » – la nouvelle, écrite vers 1955, anticipe ainsi les nanotechnologies de plusieurs décennies. Commence l’enquête : un savant étant identifiable par le style de ses équations, les cinq enquêteurs finissent par trouver, dans ce pays où tout le monde a changé de nom, le bon savant au nom indéterminé : Lilienblum/Posner. Il a fait retraite au fond d’un kibboutz plutôt que de contribuer à la création de nouvelles armes toujours plus destructrices – un sage qui tel Spinoza polit des lentilles. Et le mauvais savant va machiavéliquement l’assassiner pour s’approprier son travail. Mais qui est _______, ce mauvais savant ?

Commence alors une mise en abîme, amplifiée par les béances que l’auteur a négligé de combler dans son texte : pourquoi N. Wiener/W. Norbert écrit-il ça ? En quoi la fiction reflète-t-elle son combat intérieur ? Quels sont ses modèles de savants, ses références d’écrivains de fiction ? Pourquoi cet agnostique est-il torturé par sa judéité ? Serait-ce parce que celle-ci l’a fortement handicapé au début de sa carrière, car les universités américaines connaissaient dans les années 1920 un climat antisémite, et freinaient par quotas la carrière de savants juifs ? Si nombre de juifs participeront à la mise au point de la bombe, ce seront pour l’essentiel des réfugiés fuyant l’Europe.

Dévidant simultanément le fil de la fiction (celle de Wiener) et la trame historique de la vie du savant, tissant des allers et retours sur fond de grande histoire, Cassou-Noguès réalise une performance en associant science et fiction. On y voit la naissance d’une science militarisée, où le travail du scientifique se parcellise afin que peu soient capables d’en retracer la cohérence des étapes – le projet Manhattan reposait sur des équipes dispersées, chargées de résoudre des problèmes isolés. Wiener comme son rival John Von Neumann en sont conscients, ils parlent de l’ère de la science à 1 million de dollars – « Megabuck ou Kilogrand science ». Sont mis en scène sur fond de maccarthysme les tourments d’un savant torturé par sa conscience et par la peur – la nouvelle n’est pas la seule à mettre en scène l’idée d’un savant disparaissant du jour au lendemain, sans qu’on sache si l’acte est criminel ou volontaire.

La fiction et l’histoire concourent alors à restituer une ambiance, à dévoiler un imaginaire nourri d’Edgar Allan Poe (notamment pour Le Joueur d’échecs de Maelzel), de Samuel Butler (Erewhon), de Carel Capek (Rossum’s Universal Robots) ou d’Arthur Conan Doyle (les aventures de Sherlock Holmes). Et cet imaginaire importe autant que le parcours du personnage. Le bon savant Wiener devrait-il s’escamoter ? Ou doit-il se consacrer à promouvoir sa cybernétique comme la science du futur paisible de l’humanité – alors même qu’il entrevoit, dans son œuvre scientifique, la possibilité d’usines autoreproductrices fabriquant seules des machines qui aviliront l’homme ? Une usine qui s’autoduplique fera-t-elle le bonheur de l’homme libéré du travail, ou relèguera-t-elle l’ouvrier humain à l’état d’épave frappée d’obsolescence, bonne pour le rebut ? Inquiétude. « La machine cybernétique prend corps dans l’écho de la bombe », rapporte Cassou-Noguès. Les extraits de biographie deviennent alors la chronique de l’avènement d’une science qui n’est plus synonyme de progrès, puisqu’elle peut désormais, sinon détruire le monde, au moins l’altérer irrémédiablement. Sombre prophète de ces temps qu’il a contribué à faire advenir, Wiener évoque la façon dont « un mélange de religion, de pornographie et de pseudo-science » est susceptible de nous changer en des « dupes [fools] aussi prévisibles qu’un rat se démenant dans un labyrinthe ».

Démiurge de la cybernétique, auteur à part égale d’anticipation, Wiener est conscient de la porosité entre fiction et science. Cela explique-t-il que son œuvre contienne en germe les réflexions futures du post-humanisme et du cyborg ? L’« humanité augmentée » aux prothèses est-elle encore humaine ? Une « machine à faire la guerre », ordinateur optimisant la mise à feu atomique, est-elle le meilleur des stratèges, ou le pire ? Les militaires ont-ils pensé à programmer l’instruction « L’humanité doit survivre à la fin du jeu » ? Son rival Von Neumann, lui, est apparemment aussi dépourvu de sentiments qu’un robot. C’est un pur cerveau où germera l’étrange notion de l’homme comme « acteur rationnel » – probablement lui-même est-il un des êtres les plus proches d’incarner cette vision de l’homme dépourvu d’émotions et optimisant à tout moment ses intérêts. Il se montre pourtant capable d’entretenir un réseau de relations sociales avec un talent extraordinaire. Est-il en mesure d’imiter sans relâche la plus pure des sympathies ? Est-il humain ou mécanique ? Est-il le mauvais savant – ou le meilleur ?

En conclusion, que retenir de cet exposé de quelques-unes des façons d’exploiter une association entre science-fiction (au sens large du thème) et histoire ? D’abord, que la fiction n’est pas un additif aussi commode que ce que l’on pourrait croire à première vue. Un historien recourant à la fiction pour meubler des vides dans une biographie (cela arrive) se doit, bien sûr, d’avertir son lecteur, mais aussi de coller au réalisme et d’adopter une démarche prudente et cohérente. Ceci étant posé, on comprend que le recours à une forme autre d’écriture, pour l’historien produisant de la fiction comme pour le romancier s’essayant à l’histoire, peut être tentant.

Pourrait-on pour autant développer une narration en dehors des cadres normatifs du genre d’origine ? Je pense que la réponse semble négative. Ainsi l’uchronie (qui dans son origine est certes historique, mais dont les cadres de référence aujourd’hui ressortent de la SF) ne permettrait aux historiens que de poser des scénarios alternatifs, mais qui se doivent de rester dans le registre de la vraisemblance forte pour rester crédibles – donc de revenir à la trame du récit initial, un temps dévié par un accident. Et si… l’histoire se devait de rester imprévisible ?

Concluons sur une dernière citation de Wiener (traduite, comme les précédentes, par Cassou-Noguès) :

« Notre temps est un âge byzantin, un âge d’épigonie, qui partagent la haine et la peur byzantines de l’homme entier. Byzance choisissait ses fonctionnaires parmi les chambellans mutilés de la cour royale. Nous dirigeons notre couteau directement sur le cerveau. Une forme de lobotomie frontale, au moyen d’une épingle, est devenue une procédure courante chez les psychiatres, et ce manque de respect pour l’intégrité du cerveau chez ceux que la société considère comme inadaptés [misfits] n’est que l’extension grotesque d’une politique qui nourrit ses scientifiques d’un demi-savoir de façon à en faire les agents serviles de la politique formulée par nos véritables héros, les businessmen, et les menace de toutes les peines s’ils ont la présomption de réfléchir à la nature et aux conséquences des politiques destructrices qu’on leur demande de mettre en place. »

Et si… la science-fiction rencontrait l’histoire globale ? 1/2

Ces derniers mois ont été publiés Exquise planète, de Pierre Bordage, Jean-Paul Demoule, Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer (Paris, Odile Jacob, 2014) ; L’Effondrement de la civilisation occidentale d’Erik M. Conway et Naomi Oreskes (2013, trad. fr. Françoise et Paul Chemla, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014) ; et Les Rêves cybernétiques de Norbert Wiener de Pierre Cassou-Noguès (Paris, Seuil, 2014). Trois ouvrages, très différents dans leurs sujets et leurs angles, qui ont en commun d’exploiter des rapports entre histoire et science-fiction (SF). Après avoir rappelé ce qu’est l’histoire uchronique, revenant sur une parution antérieure, La Saint-Barthélémy n’aura pas lieu de Joël Schmidt (Albin Michel, 2011), nous allons explorer en quatre actes et deux billets les dangers et apports potentiels de ce type d’approche.

1) L’uchronie peut-elle faire l’histoire ?

L’uchronie est initialement un genre de la SF. Il se décline aussi en histoire contrefactuelle, virtuelle, ou alternative, mélangeant se faisant histoire et fiction. Une uchronie pose une question commençant par : « Que se serait-il passé si… ». Et de se prolonger par exemple d’un « … si les nazis avaient eu la bombe A avant les Américains ? », « … si l’assassinat de Kennedy avait échoué ? », « … si Napoléon avait remporté Waterloo ? », voire « … si les Amérindiens avaient été en mesure de briser l’invasion espagnole des 15e-16e siècles ? »

La dernière question sert de toile de fond à l’uchronie de SF historique La Rédemption de Christophe Colomb (Orson Scott Card, 1996, trad. fr. Arnaud Mousnier-Lompré, L’Atalante, 1998). Réchauffement climatique, hégémonie européenne, réflexions sur l’esclavage, plasticité de l’histoire…, nombre des notions chères à l’histoire globale y sont brassées avec un talent prémonitoire. D’ailleurs, tous les thèmes, toutes les interrogations évoquées dans le paragraphe précédent, et bien d’autres, ont été exploitées dans la SF uchronique. À cette aune se sont illustrés, outre Orson Scott Card, bien des géants de la SF, de H.G. Wells à Christopher Priest, en passant par Philip K. Dick, Michael Moorcock ou Robert Silverberg.

Si l’exercice est parfaitement codé dans les gènes de la SF, l’histoire semble éprouver plus de mal à le digérer. Niall Ferguson a dirigé par exemple un ouvrage de style, demandant à neuf historiens d’imaginer des scénarios de Virtual History. Alternatives and counterfactuals (London, Picador, 1997). Quelques auteurs s’y sont essayés en France. Ainsi Joël Schmidt, avec La Saint-Barthélémy n’aura pas lieu (Paris, Albin Michel, 2011). Son postulat ? À l’aurore de la première guerre de Religion française, la régente Catherine de Médicis serait parvenue à circonvenir les extrémistes des deux bords à l’issue du colloque de Poissy, en septembre 1561.

Dans la réalité, la rigidité du théologien protestant Théodore de Bèze s’est heurtée au dogmatisme du cardinal de Lorraine, Charles de Guise, autour d’une question cruciale : oui ou non, le Christ est-il présent en substance dans l’hostie ? Pour Schmidt, la bascule s’est jouée en une fraction de seconde : alors que Charles allait répondre péremptoirement aux assertions  maladroites de Théodore et ouvrir la voie à huit atroces guerres civiles, il aurait eu un bref rictus… « Et si… » Catherine lui avait alors cloué le bec de toute son autorité ? La France aurait été épargnée par les bains de sang, se serait progressivement et paisiblement convertie au protestantisme, et aurait connu une autre histoire. Le bon roi calviniste Louis XVI aurait accepté une monarchie constitutionnelle, par exemple, avant de mourir à Waterloo en combattant aux côtés de Wellington contre son ex-général devenu empereur. C’est dire si la face du monde en aurait été changée.

Sauf que ? Un micro-événement de cette nature, Catherine proférant la réplique adéquate au bon moment, est-il vraiment en mesure d’infléchir des tendances lourdes, un contexte entier ? Cela n’aurait rien changé aux armées fanatisées de part et d’autre, à la circulation des pamphlets incendiaires, à la violence larvée qui n’attendait qu’un prétexte pour se déchaîner – mieux vaut lire les ouvrages de Denis Crouzet pour s’imprégner de cette histoire-là. De même, si l’archiduc n’avait pas été assassiné à Sarajevo en 1914, qui peut être certain qu’il n’y aurait pas eu de Première Guerre mondiale ? À tout moment, en tout lieu, n’aurait-il pas suffi d’une autre étincelle pour que s’enflamme la poudrière qu’était l’Europe ? Ajoutons que la lecture d’une histoire contrefactuelle de cette facture est dangereuse pour celui qui n’a pas des références solidement assises : a-t-on vraiment besoin de livres flirtant avec l’historique pour enrichir la litanie des perles du bac – Louis XVI tué à Waterloo d’un boulet de canon ? D’ailleurs, quelle étonnante loi que celle-ci, qui s’emploie à faire bifurquer l’histoire au gré d’un événement précis, avant de la faire retomber aussitôt dans ses ornières ? Si Catherine avait converti la famille royale au calvinisme dès les années 1560, qui voudrait parier qu’il y aurait eu une révolution en 1789 ?

2) Pourrait-on tout reprendre à zéro ?

Exquise planète est un exercice ludique et ambitieux d’histoire alternative, à ranger au rayon de la big history contrefactuelle. Le principe est celui du surréaliste jeu du cadavre exquis : l’astrophysicien et grand spécialiste de la SF Roland Lehoucq imagine une planète soumise à des lois physiques se situant aux antipodes, si l’on peut dire, de celles qui régissent la Terre, et pourtant une planète favorable à la vie. Ce premier chapitre une fois rédigé, il sert de point de départ au paléontologue Jean-Sébastien Steyer pour imaginer l’évolution de différentes formes de vie sur cette planète, jusqu’à l’apparition d’organismes collectivement intelligents, les exogrades – des sortes de « nounours à huit pattes ». Rebondissant sur ce deuxième chapitre, l’archéologue (et contributeur ponctuel de ce blog) Jean-Paul Demoule postule que lesdits nounours sont en mesure d’explorer l’espace par une sorte de télépathie. Et que leur attention est attirée par une petite planète bleue, où s’agite une curieuse espèce qui, bien qu’ayant atteint l’intelligence, aurait aussi pu tutoyer, à divers moments, la sagesse, en refusant par exemple d’entreprendre la pénible Révolution néolithique, ou en acceptant au Moyen Âge les Lumières rayonnant d’Extrême-Orient. Le quatrième et dernier chapitre a été confié à un des géants français de la SF, Pierre Bordage, qui imagine un avenir où l’espèce humaine quitte sa planète bleue pour s’essayer à coloniser la planète des nounours arachnoïdes, se référant au Ray Bradbury des Chroniques martiennes.

Si l’initiative est intéressante, et si chacun des auteurs a par le passé produit des ouvrages mémorables, le résultat est dans sa première moitié difficilement lisible pour le profane en sciences dures. Il faut ainsi quelques notions d’astrophysique pour apprécier la cosmologie de Lehoucq, des connaissances en biologie pour savourer l’inventivité cladistique de Steyer. Quant à la partie purement d’histoire contrefactuelle, elle postule entre autres que les premiers agriculteurs finissent par renoncer à gagner leur vie à la sueur de leur front pour en revenir aux joies simples de la cueillette et de la chasse, ou que l’amiral chinois Zheng He vient au 15e siècle civiliser les Parisiens restés à l’écart de la grande Pax sinica. C’est amusant. L’idée de se jouer de codes effectivement classiques en histoire globale permet de montrer, certes, que l’histoire peut être rythmée par des choix. Cependant, le choix du Néolithique n’a pas été un processus simple et unique, qui aurait fait tâche d’huile. C’est un processus multiforme, complexe, qui a opéré plusieurs fois, en plusieurs lieux. Et nul en France n’a mieux que Demoule participé à la diffusion de ce concept (par exemple dans Demoule [dir.], La Révolution néolithique dans le monde, Paris, CNRS Éd., 2010).

Quant aux voyages de Zheng He, ils ont pris place dans un cadre mental et technologique précis. Dans la première moitié du 15e siècle, les jonques chinoises ont voyagé jusqu’en Afrique – la chose est déjà extraordinaire – en exploitant la Mousson. Elles n’avaient pas la possibilité technique de remonter au vent, et donc d’atteindre Paris – si tant est que les commanditaires de l’expédition l’aient souhaité, tant leur cadre mental devait être étranger à cet objectif. Le musulman Zheng He rêvait d’atteindre La Mecque, et la cour chinoise a financé ces coûteuses expéditions pour des raisons de prestige dans un espace, celui de l’océan Indien, auquel elle attachait de l’importance. Aucun Chinois n’aurait alors rêvé d’atteindre Paris. Une telle histoire contrefactuelle devrait être cohérente, faute de quoi elle s’expose à n’être vue que comme un simple divertissement plutôt que comme un outil révélant, justement, que les choix des sociétés influeraient réellement sur leur devenir.

Enfin, avec son extraordinaire trilogie des Prophéties, son cycle de Wang, sa Fable de Lhumpur… Bordage est de loin, parmi les Français, mon écrivain de SF préféré. Le quatrième chapitre, prometteur (une nouvelle de terraformation sur fond de contact avec des intelligences extraterrestres) se révèle un texte entaché d’une impression de déjà-lu, mélange de vieux classiques tels John Brunner (La Planète Folie) ou Harry Harrison (Le Monde de la Mort).

3) Quel avenir pour les marchands de peur ?

Peut-on savoir de quoi demain sera fait ? Oui, affirment Naomi Oreskes et Erik M. Conway : « et si… » tout continue comme c’est parti, business as usual, on peut imaginer qu’en 2093, deux historiens chinois produisent un livre consacré à expliquer ce paradoxe extraordinaire qu’a été le Grand Effondrement de la civilisation occidentale : ou comment une société qui savait parfaitement qu’elle fonçait dans le mur n’a rien fait pour lever le pied de l’accélérateur. Voici donc, livré du futur, le récit de l’Apocalypse qui nous guette : L’Effondrement de la civilisation occidentale.

Retour sur l’origine : on connaît Oreskes et Conway pour leur ouvrage Les Marchands de doute, doté d’un interminable sous-titre qui a le mérite d’en refléter le contenu : Ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique (2011, trad. fr. Jacques Treiner, Paris, Le Pommier, 2012). Le livre est à la fois salutaire et documenté, et quelque peu complotiste ; à longueur de pages surgissent les mêmes lobbies, auxquels sont prêtés de très solides et constantes capacités à influer le politique. Mais l’ensemble porte sur les États-Unis, un pays où il suffit d’un bon hoax (« ce gars a des armes de destruction massive ») pour partir en guerre ; alors…

Alors Oreskes et Conway s’appliquent. Ils décrivent, comme rétrospectivement, écrivant notre futur au passé, ce qui peut / ce qui va advenir alors que les négociations internationales continueront à piétiner et que certaines des prévisions des experts, pour partie médiatisées par les rapports du Giec, s’accompliront. L’Australie, pays pourtant pilote en matière d’écologie, sera totalement grillée et dépeuplée. Les réfugiés climatiques (sécheresse, montée des eaux, destruction du tissu social consécutive aux troubles environnementaux…) se multiplieront. Les troubles saperont les démocraties et les pousseront à la dictature verte pour essayer trop tard de sauver les derniers fragments de la civilisation libérale. Et la Chine, ironiquement, restée sous leadership autoritaire, pourra se permettre de déplacer des centaines de millions de personnes et de leur faire accepter des mesures de rationnement propres à lui épargner l’effondrement civilisationnel qui engloutira alors la planète – n’a-t-elle pas su imposer déjà une politique aussi violente que celle de l’enfant unique ? Et voilà pourquoi, en 2093, il n’y aurait plus que des historiens chinois pour parler de nous, à la manière d’un Jared Diamond dissertant sur les Mayas.

Les deux auteurs reconnaissent leur dette envers la SF, surtout vis-à-vis de Kim Stanley Robinson, prolifique auteur, célèbre tant pour ses uchronies (comme Chroniques des années noires, dans lequel la Peste noire éradique la totalité de la population européenne et débouche sur un monde où seuls rivaliseront l’Islam, l’Inde et la Chine) que pour son triptyque mettant en scène le réchauffement climatique comme une succession de cauchemars écologiques (Les Quarante Signes de la pluie ; Cinquante degrés au-dessous de zéro ; Soixante jours et après).

Qu’en retenir ? Oreskes et Conway entendent plaider leur cause en affolant leurs lecteurs (oui, cet avenir est possible), mais il est à craindre qu’ils fassent fausse route : face à ces marchands de peur, les marchands de doute, climatosceptiques ou assimilés, joueront des failles de leur récit. Car une fiction, quand elle se présente comme prospectiviste, sera forcément démentie par les faits. Il aurait été plus sage de faire exclusivement soit de la prospective classique, soit de la SF, que de mélanger les deux.

Conclusion provisoire : il serait possible de conjuguer histoire globale et SF, mais l’exercice semble difficile, voire périlleux. La semaine prochaine, nous explorerons une quatrième voie, celle d’une mise en abîme entre fiction et récit de vie, ouverte de façon convaincante par le philosophe Pierre Cassou-Noguès pour mieux pénétrer la personnalité de Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique. Génie torturé et aussi, on le découvrira, un auteur de polars…

1904, la mondialisation selon Pierre de Coubertin

La parution d’un hors-série d’Alternatives économiques sur « Mondialisation & démondialisation » a été l’occasion de réactualiser mes recherches sur l’apparition du mot en français.

1397050610_CV1_HS101_zoomDans un précédent article [Cybergéo, 2011], j’avais daté la première occurrence du terme « mondialisation » de 1916. Le mot apparaissait dans un texte du juriste belge Paul Otlet à propos de la nécessité de gérer collectivement les ressources mondiales dans le but d’éviter une nouvelle guerre.

« Un droit nouveau doit remplacer alors le droit ancien pour préparer et organiser une nouvelle répartition. La “question sociale” a posé le problème à l’intérieur ; “la question internationale” pose le même problème à l’extérieur entre peuples. Notre époque a poursuivi une certaine socialisation de biens. Le régime féodal est tombé en 1789, l’égalité de droit a été proclamée, la mainmorte prohibée, le morcellement de la propriété facilité, l’expropriation pour cause d’utilité publique instaurée; l’accumulation privée a été tempérée par les impôts sur le revenu, le capital et les successions, par la participation aux bénéfices, l’élévation de la part faite aux travailleurs, par les charges qu’impose le système d’assurance et de prévoyance sociale. La grande majorité reconnaît aujourd’hui la justice de ces mesures. Les socialistes et les collectivistes, eux, vont encore plus loin; ils demandent la socialisation des moyens de production et proposent des moyens d’expropriation des droits acquis moyennant compensation. La “question internationale” c’est tout cela, transporté dans la sphère des compétitions de pays en pays. Il s’agit, si l’on peut employer cette expression, de socialiser le droit international, comme on a socialisé le droit privé et de prendre à l’égard des richesses naturelles des mesures de “mondialisation”. » [1]

Les progrès de la numérisation permettent aujourd’hui de réviser les résultats de cette recherche et de proposer une nouvelle datation, qui reste évidemment elle aussi sujette à remise en question. En 1904, Pierre de Coubertin utilise le mot dans une tribune parue dans Le Figaro, au détour de la conclusion :

« L’essentiel est que la propagande nationale se mette au diapason des conditions nouvelles instaurées, si l’on peut user d’un pareil langage, par la “mondialisation” de toutes choses. » [2]

Sans surprise, on retrouve les marques des premières occurrences : les guillemets, qui révèlent le néologisme, et l’incise, qui marque une certaine réserve (« si l’on peut user d’un pareil langage »). Ceci survient dans un contexte linguistique précis caractérisé par la multiplication des mots sur la base du lexème « monde ». L’adjectif « mondial » apparaît de façon sporadique à partir du milieu du 19e siècle, souvent en traduction de l’italien, mais son usage ne commence véritablement à se remarquer qu’à partir de la fin des années 1870. L’adverbe « mondialement » est utilisé à partir de la décennie suivante. Quant au verbe « mondialiser », son emploi est attesté dès le début du 20e siècle. On citera notamment un article paru lui aussi dans Le Figaro, en 1902, et portant précisément sur « La France mondiale » :

« Parmi les mots nouveaux ou renouvelés, que le progrès de l’ambition humaine a mis à la mode, il en est un qui revient avec une fréquence significative sous la plume et sur les lèvres des écrivains et des orateurs, notamment dans les assemblées et dans les académies d’outre-Rhin. C’est celui-ci : mondial.

Les peuples qui se disputent actuellement la prééminence dans la hiérarchie des nations civilisées s’efforcent tous, plus ou moins, de mondialiser leur politique, leur industrie, leur commerce, leurs sciences, leurs arts. Aucune activité, à l’heure présente, ne peut être féconde si elle n’est cosmique. Les moyens de transport et de communication se sont multipliés, perfectionnés de façon à rapprocher tous les êtres intelligents qui sont disséminés sur notre planète ronde. » [3]

L’auteur, Gaston Deschamps, exprime clairement la conscience d’un état de fait, qui résulte de la multiplication des réseaux à l’échelle du globe, et que souligne un mot nouveau, « mondial ». Point de détail intéressant, il fait référence à l’usage encore plus fréquent en Allemagne du mot Welt (cf. mes remarques sur ce point in : Capdepuy, 2011). Se jouant des mots, Gaston Deschamps n’hésite pas à forger celui de « mondialiser » pour désigner l’action de donner une dimension mondiale à une chose. De fait, tout l’article est une tribune politique en faveur de la mondialisation de la politique de la France, ce qu’il appelle le « mondialisme » – autre mot qu’il crée et qui ne sera repris véritablement que durant l’entre-deux-guerres.

« Nos amis les Américains, dont la prodigieuse réussite est due principalement à une pratique constante des vertus de l’ancienne, Europe, possèdent au plus haut degré le sens du mondialisme. Toutes leurs entreprises s’étendent à la totalité du globe. Toujours ils ont en vue le monde entier : The world… » [4]

C’est donc dans ce contexte qu’en 1904, Pierre de Coubertin en vient à parler de « mondialisation » comme d’un phénomène général. Alertant les lecteurs du déclin de la puissance française dans le domaine des armes et dans celui de la fortune, il appelle à un sursaut national dans le domaine des idées :

« En effet, rien jusqu’ici ne remplace l’idée française. En littérature, en art, en science même, elle reste la plus foncièrement humaine, la mieux proportionnée, la plus claire, la plus séduisante, la plus sûre.

[…]

Voilà pourquoi si nous voulons, nous autres Français, maintenir la suprématie de notre génie national, nous sommes dans l’obligation d’allumer par le monde des foyers de lumière française qui brilleront au centre de carrefours bien choisis, le long de routes fréquentées, là où ne parvient plus que pâli et sans force le rayonnement de la métropole. » [5]

Mais de l’empire écroulé, il ne reste que quelques parcelles :

« Québec, la Nouvelle-Orléans, Hanoï, Pondichéry, Tananarive, Le Caire, Alger, – flambeau à sept branches par lequel la pensée française pourra continuer d’illuminer les horizons lointains, comme jadis elle le faisait de Paris. »

Cependant, ces foyers de la civilisation française doivent aussi, selon Pierre de Coubertin, devenir des creusets où il faudrait tenir compte des particularismes locaux :

« Les gazettes ou les magazines qui paraîtront à Québec ne conviendraient pas au Caire et l’université de Tananarive ne saurait ressembler à celles de Lille ou de Toulouse. A Pondichéry il faudra tenir compte des étudiants que pourrait fournir l’Inde anglaise, comme à la Nouvelle-Orléans on devra songer à ceux qu’enverrait la République mexicaine. Les méthodes qui attireront à Alger, pour les pétrir et les moderniser, les jeunes phalanges de l’Islam ne sont pas celles qui permettront de constituer à Hanoï un mandarinat sagement progressiste. »

Après guerre, en 1926, dans un entrefilet publié dans La Lanterne, le mot « mondialisation » revient sous la plume de Pierre de Coubertin :

« Je ne souhaiterais pas de recommencer ma vie avec l’aléa de la “manquer”, mais s’il m’était donné de la recommencer telle quelle, je me bornerais à lui apporter quelques retouches de détail. Je ne ferais rien plus vite, mais évidemment, je tâcherais de faire mieux. En tout cas, je ne lui voudrais pas un autre cadre. Celui qui, né sous le Second Empire a vécu les cinquante années pendant lesquelles s’est opérée la “mondialisation” de toutes choses (excusez le barbarisme) et qui assiste, en bonne santé, à l’aube des temps nouveaux, peut se vanter d’avoir bénéficié d’un des actes les plus variés et les plus intéressants de l’immense tragédie humaine. » [6]

Les guillemets et la réticence montrent à quel point plus de vingt ans plus tard le mot reste inusité, même si d’autres l’ont employé. Son constat semble s’être renforcé :

« Les découvertes opérées dans le passé de l’humanité, les progrès techniques qui ont rapproché les peuples et tendu à supprimer les distances, enfin les événements récents qui ont engendré une sorte d’unité mondiale, rendent désormais possible l’étude, l’enseignement de la grande Histoire par ses côtés fragmentaires. »

Le journaliste rend par ailleurs compte du projet de Pierre de Coubertin de fonder une « Société de l’Histoire Universelle » basée sur une doctrine nouvelle :

« À savoir que tout enseignement historique fragmentaire est rendu stérile – intellectuellement aussi bien que socialement – par l’absence d’une connaissance préalable de l’ensemble des annales humaines ; le principe des fausses proportions de temps et d’espace s’introduit ainsi dans l’esprit, égarant l’homme d’étude aussi bien que l’homme politique. »

La même année, cette société, sise à Aix-en-Provence, publie les quatre volumes de son Histoire universelle, qui, malheureusement, n’ont toujours pas été numérisés et me sont donc inaccessibles. L’analyse restera donc tronquée.

Que retenir cependant de la découverte de cette nouvelle occurrence ? Premièrement, elle conforte le fait que les contemporains, ou du moins une partie d’entre eux, au tournant du 19e et du 20e siècle, ont conscience qu’un monde global, le Monde, est en train d’émerger, résultat de l’interconnexion croissante et accélérée des différentes parties de l’humanité planétaire. Deuxièmement, elle montre que, selon Pierre de Coubertin, cet état de fait, la mondialité, pour reprendre un concept actuel, touche toute chose, autrement dit : la mondialisation n’est pas perçue comme uniquement économique ; elle est un fait total. Troisièmement, elle établit que dans un contexte de bouillonnement linguistique autour de l’idée de « monde », le terme de « mondialisation » est encore loin d’atteindre le statut de notion. Lié au verbe « mondialiser », assez rare, le mot désigne simplement une extension à l’échelle mondiale. Notons simplement que pour Pierre de Coubertin, la mondialisation semble plutôt désigner un processus, tandis que pour Paul Otlet, il s’agit davantage d’une action volontaire, sur le modèle de « nationalisation » – sens que le mot garde quelque temps après la Seconde Guerre mondiale avant de signifier un phénomène général. Enfin, sur le plan politique, l’opposition est nette. Si Paul Otlet inscrit la mondialisation dans le prolongement de l’internationalisme du 19e siècle, Pierre de Coubertin s’inscrit dans celui du colonialisme. Il s’agit d’enrailler le déclin national et pour que la civilisation française dure, elle doit se mondialiser.


Annexes

Pierre de Coubertin, 1904, « Le flambeau à sept branches », Le Figaro, 13 décembre 1904, p. 1.

 « Tous ceux que passionne l’avenir de l’action française dans le monde doivent, avant tout, se faire une juste idée des limites dans lesquelles aujourd’hui cette action demeure confinée. Ce n’est point le regret des splendeurs disparues, mais bien l’analyse des réalités présentes qui nous permettra de servir efficacement la grande cause de l’expansion nationale.

La domination d’une race peut s’exercer par les armes, par la fortune et par l’idée. La France a connu simultanément cette triple supériorité; mais depuis lors des circonstances ont surgi qui ont modifié les données de la question. La supériorité par les armes reste basée sur la vaillance, l’entraînement et le nombre ; toutefois la vaillance actuelle le cède au nombre et le degré d’entraînement dépend de la fortune. Or le nombre nous a échappé et ne saurait nous revenir. Même si le chiffre des naissances françaises remonte quelque peu et si, comme il est probable, celui des naissances étrangères baisse avant longtemps, notre infériorité numérique vis-à-vis des Anglo-Saxons, des Allemands ou des Russes demeurera telle que le temps ne la saurait annuler. – Riches, nous le sommes toujours ; notre avoir est le plus considérable qui soit ; notre crédit, le plus robuste… Combien de temps cela durera-t-il ? Les lois du mouvement productiviste ont une rigidité presque mathématique et, fissions-nous les plus grands efforts pour accroitre nos revenus – ce qui est loin d’être le cas, – nous ne saurions empêcher les ressources de nos rivaux de progresser à pas de géant. Le domaine de l’idée, enfin, tend à nous échapper ; sur ce point du moins il existe un remède aux disgrâces du sort.

En effet, rien jusqu’ici ne remplace l’idée française. En littérature, en art, en science même, elle reste la plus foncièrement humaine, la mieux proportionnée, la plus claire, la plus séduisante, la plus sûre. Les contacts germanique et anglo-saxon, loin de lui nuire, ont depuis cinquante ans comme redressé sa stature et affiné sa silhouette. Nul ne saurait désigner ses héritiers la souplesse slave est trop ondulante; la précision américaine, trop anguleuse. Non, en vérité, l’idée française n’a point encore de rivale et les hommes n’ont pas fini d’avoir besoin d’elle.

Seulement, il faut qu’ils sachent où la chercher, il faut qu’ils l’aient à portée. Ce point de vue échappe à nos concitoyens. Eh quoi répondraient-ils à quiconque leur en ferait la remarque, Paris, qui fut considéré en tout temps comme d’un accès aisé, a-t-il cessé de l’être parce que la rapidité des transports et la facilité des communications ont décuplé ? ne peut-on aujourd’hui mieux que jamais se maintenir, de tous les points du globe, en communion intellectuelle avec Paris ?

Oui, sans doute, on le peut ; mais on ne le fait pas. Si la foule devient à certains égards plus cosmopolite, l’élite par contre s’est faite plus régionale, parce qu’il s’est opéré une vaste décentralisation des choses de l’esprit et qu’ayant le choix des ressources d’art, de, presse, d’enseignement, chacun préfère celles qui se trouvent immédiates et voisines, quand même leur valeur serait moindre.

Voilà pourquoi si nous voulons, nous autres Français, maintenir la suprématie de notre génie national, nous sommes dans l’obligation d’allumer par le monde des foyers de lumière française qui brilleront au centre de carrefours bien choisis, le long de routes fréquentées, là où ne parvient plus que pâli et sans force le rayonnement de la métropole.

***

La tâche serait presque impossible s’il fallait tout créer, journaux, revues, chaires, institutions scientifiques, académies. Une civilisation, si puissante soit elle, ne s’implante pas ainsi, artificiellement, tout d’une pièce. Fort heureusement un passé glorieux nous a préparé les voies.

Les Anglais, dans leurs écoles, exposent volontiers un planisphère où s’inscrivent de façon visible et péremptoire les succès de leur race. D’énormes surfaces revêtues d’une teinte uniforme marquent la place prépondérante qu’elle occupe au sein de l’humanité. La jeunesse française devrait avoir sous les yeux un planisphère historique où les exploits de ses ancêtres lui seraient rappelés par un procédé analogue. Les empires écroulés s’y compareraient avec les empires récents. L’Amérique et l’Inde d’autrefois y feraient figure, à côté de l’Afrique et de l’Indo-Chine d’à présent. Alors s’imposeraient d’eux-mêmes les noms des cités où doivent s’allumer les clartés fécondes : Québec, la Nouvelle-Orléans, Hanoï, Pondichéry, Tananarive, Le Caire, Alger, – flambeau à sept branches par lequel la pensée française pourra continuer d’illuminer les horizons lointains, comme jadis elle le faisait de Paris.

Je sais très bien quelles objections doit susciter un tel plan et je les discuterai quand on voudra, car je sais aussi qu’elles ne sont point insolubles et qu’il n’existe pas d’autre moyen de parvenir au but désirable. Mais plus un projet est imprégné d’idéalisme, plus il convient d’apporter à sa réalisation une méthode précise et un esprit pratique. Connaître exactement le point de départ est indispensable pour atteindre sûrement au point d’arrivée. Une sérieuse enquête préliminaire s’imposera donc afin de fixer l’état exact des choses sur chacun des points que nous venons d’énumérer. Il y aura à déterminer ce qui est à créer, ce qui est à détruire, ce qui est à développer. Il y aura à se préoccuper des, dispositions de l’opinion et des exigences du particularisme local. Les gazettes ou les magazines qui paraîtront à Québec ne conviendraient pas au Caire et l’université de Tananarive ne saurait ressembler à celles de Lille ou de Toulouse. A Pondichéry il faudra tenir compte des étudiants que pourrait fournir l’Inde anglaise, comme à la Nouvelle-Orléans on devra songer à ceux qu’enverrait la République mexicaine. Les méthodes qui attireront à Alger, pour les pétrir et les moderniser, les jeunes phalanges de l’Islam ne sont pas celles qui permettront de constituer à Hanoï un mandarinat sagement progressiste.

Mais l’essentiel est qu’un effort énergique et direct soit tenté, un effort de puissante exportation inspiré par la conviction que l’œuvre à accomplir là-bas dépasse en importance toutes les autres, car son succès constituera pour la civilisation française un critérium de durée. L’essentiel est que la propagande nationale se mette au diapason des conditions nouvelles instaurées, si l’on peut user d’un pareil langage, par la “mondialisation” de toutes choses. L’essentiel est que, sans retard, aux lieux appropriés, une flamme vivante se substitue au reflet qui meurt. »


Notes
[1] Paul Otlet, 1916, Les Problèmes internationaux et la guerre, Genève/Paris, Librairie Kundig/Rousseau & Cie, p. 337.
[2] Pierre de Coubertin, 1904, « Le flambeau à sept branches », Le Figaro, 13 décembre 1904, p. 1.
[3] Gaston Deschamps, 1902 « La France mondiale », Le Figaro, N° 147, p. 1.
[4] Ibid.
[5] Coubertin, 1904, art. cit.
[6] La Lanterne, 10 juin 1926, p. 3.