Marshall Hodgson : le livre des fondations

Marshall Hodgson est certainement, avec William McNeill, l’un des deux piliers de la “world history”, donc aussi par extension de l’histoire globale. Nous proposons ici de relire (ou lire) l’ouvrage principal qu’il nous a légué, malheureusement incomplètement traduit en français et intitulé Rethinking World History – Essays on Europe, Islam and World History.

Hodgson

Cet ouvrage, publié en 1993 aux Cambridge University Press, est en fait un recueil de quelques-uns des principaux textes de l’auteur prématurément disparu en 1968, à l’âge de 46 ans. Il s’agit d’un texte fort, parfois difficile, qui marie remarquablement la compétence de l’auteur en tant qu’historien de l’Islam et un vrai souci méthodologique. À ce titre, et plus encore que dans les ouvrages de McNeill (auquel Hodgson s’est souvent opposé), on trouvera ici les réflexions les plus fondatrices sur le projet d’une histoire « interrégionale », ou « à grande échelle » comme l’auteur la qualifiait le plus souvent. Si le texte du livre est parfois répétitif dans la mesure où les écrits d’origine n’ont pas été retouchés dans la perspective de former un ouvrage finalisé, il reste une source incontournable pour tout « historien global » aujourd’hui. Nous ne pourrons en traiter que partiellement ici, en choisissant quelques chapitres seulement, éventuellement les plus significatifs.

La première partie du livre s’intitule « L’Europe dans un contexte global » et constitue, sans doute encore aujourd’hui, une des plus brillantes analyses de l’eurocentrisme.

Hodgson entame le débat dès son chapitre 1, avec cette constatation géographique que l’Inde, pourtant plus peuplée et aussi diverse que l’Europe, à peu près d’égale étendue, est une (petite) partie du continent asiatique quand l’Europe est un continent à elle seule… S’il en est ainsi, c’est d’abord parce que nos ancêtres l’ont voulu. En instituant l’Europe comme un « continent » à part entière, ils l’ont séparée du reste du Monde, créant l’illusion du « nous » et du « eux » et justifiant au passage de l’étudier de façon plus détaillée que les autres régions comparables. C’est aussi parce qu’ils ont privilégié la projection Mercator (dont on sait qu’elle surestime les proportions des terres de l’hémisphère Nord) pour dessiner le planisphère, au prétexte qu’elle respecte les contours maritimes et les angles des terres immergées. Pourtant, ajoute Hodgson, « si on n’utilise pas la carte pour naviguer mais pour situer et comparer d’un coup d’œil les différentes parties du monde, alors les formes et les surfaces sont plus importantes que les angles ». Ceci n’est pas neutre et induit une conséquence délétère cruciale : en dilatant la surface relative de l’Europe, la projection de Mercator nous permet de situer beaucoup plus de détails, villes, rivières et montages, en Europe, que partout ailleurs.

A côté du tableau tiré de la géographie, l’image historique n’est pas en reste. Ainsi le cours de l’histoire s’intéresse au Proche-Orient jusqu’aux Grecs (mais plus après), aux Grecs jusqu’à la chute de l’Empire romain (mais plus après – les Byzantins ne font pas partie du « flux » principal), ensuite à l’Europe occidentale de l’âge des ténèbres (alors que monde musulman, Chine et Inde étaient plus « civilisés » à l’époque). Le mainstream historique ainsi établi identifie l’Occident. Et définit le reste par opposition. Avec au passage quelques curiosités : la Grèce classique fait partie de l’Ouest alors que le monde byzantin est clairement situé dans l’Orient…Dans l’opération, nous établissons notre Occident comme équivalent conceptuel de toutes les autres régions civilisées prises ensemble. Et comme nous avons moins d’informations sur « elles », que leur dynamique historique ne s’impose pas à nous, que le mainstream de l’histoire est censé passer à travers l’Europe, leur histoire est donc statique. Dès lors l’Occident, qui était déjà une moitié de l’humanité, devient spontanément la plus significative…

Si on rentre dans le détail, une tendance assez générale chez les historiens a distingué quatre grandes régions, l’Occident, le Proche-Orient (Turco-Arabo-Persan), l’Inde et la Chine, en les supposant compréhensibles en elles-mêmes, sans prendre en compte leurs relations mutuelles. Ces dernières sont cependant tout sauf anecdotiques, « reflètent des séquences d’événements et des modèles culturels qui s’imbriquent les uns dans les autres à tous les niveaux ». Si bien que ces quatre grandes régions (et d’autres avec elles) constituent toutes ensemble un grand complexe historique de développements culturels. Et qu’il n’est pas plus facile de les distinguer que de séparer des nations à l’intérieur d’un même bloc régional. Et ce d’autant moins qu’elles sont issues d’un même substrat, à savoir la révolution néolithique débouchant sur un processus conjoint d’urbanisation. Si l’on cherche à dépasser ces identités régionales pour repérer des « sociétés supranationales », à la Toynbee, on est vite confrontés à l’impossibilité de fixer ce qui caractérise les « champs intelligibles » recherchés. Même les religions qui semblent fournir les marqueurs les plus pertinents apparaissent vite comme transcendant les lignes de frontière (y compris l’islam). Il en va de même des langues ou des littératures que beaucoup d’historiens ont absolutisées à l’excès comme marqueurs de « mondes historiques ». Au total, c’est bien une histoire commune à l’espace de civilisation afro-eurasiatique qui s’impose, rendant illusoire toute division stable de cette zone. Les pages consacrées par Hodgson à structurer cette histoire commune (pp. 17-28) sont peut-être ses plus percutantes. Sans les reprendre ici dans toute leur précision, disons qu’elles marquent déjà une certaine pensée systémique, l’auteur montrant abondamment comment un changement au sein de la configuration interrégionale en entraînait d’autres. À commencer par la métallurgie qui, imposant la recherche de minerais, déterminera une expansion progressive des modèles de civilisation à tout l’hémisphère oriental du monde, pour donner une configuration globale au premier millénaire avant notre ère. C’est cette configuration qu’exprimera la tentative d’Alexandre, cet homme « pressé de descendre le Gange et préoccupé de saisir par l’esprit ce monde afro-eurasiatique comme un tout géographiquement réalisable ». C’est elle aussi que caractérisera la période axiale, chère à Jaspers, laquelle différenciera les cultures mais déterminera parallèlement un progrès irréversible des échanges entre régions et débouchera sur « des standards intellectuels permettant les influences réciproques entre cultures au niveau de la pensée abstraite ». Et dans cette configuration, Hodgson montre clairement que l’Europe ne fut d’abord qu’une périphérie, à peu près jusqu’aux croisades, une zone de développement frontalier, peut-être comme le Soudan ou la Malaisie à la même époque… En témoignerait notamment le faible intérêt des lettrés, dans l’Islam des trois premiers siècles, pour l’Occident, comparé à leur connaissance de l’Inde, de la Chine et de Byzance, voire même de l’Afrique de l’est ou du Tibet.

Nous laisserons de côté ici les chapitres 2 et 3 de cette première partie, tout comme les chapitres 5 et 6, assez courts et partiellement redondants avec le premier, pour nous consacrer au chapitre 4, le plus fondamental, consacré à la « grande transmutation occidentale ». Dans ce texte, Hodgson considère cette transmutation comme ayant eu deux conséquences majeures, la révolution industrielle britannique et la Révolution française, elles-mêmes liées à l’hégémonie nouvelle de l’Europe sur le monde depuis environ 1600. C’est donc dire que cette transformation ne se réduit pas à ces deux ou trois événements, qui lui sont postérieurs. Elle serait comparable à la mutation qui est survenue après le Néolithique quand l’urbanisation, l’usage de l’écriture et l’apparition d’organisations politiques complexes ont, suivant la tradition, fait passer de la préhistoire à l’histoire, créant ainsi une situation irréversible. La mutation de la modernité, pour sa part, survient d’abord en Occident mais n’aurait pas pu avoir lieu sans l’accumulation d’inventions et de découvertes bien antérieures au sein de l’espace afro-eurasiatique. Par ailleurs, elle n’aurait pas été possible sans l’existence de « vastes aires de populations urbaines relativement denses et reliées entre elles par un grand réseau commercial interrégional, formant ce vaste marché propre à l’hémisphère oriental du monde et sur lequel les Européens allaient pouvoir faire leur fortune et exercer leur imagination ». Cette mutation moderne, qui apparaît en Europe, n’en est donc pas moins un phénomène d’essence globale, préparé progressivement au sein de l’hémisphère oriental du monde.

En Europe même, cette mutation intervient précisément aux 17e et 18e siècles. En ce sens, la Renaissance n’en constitue qu’une phase préparatoire, les Occidentaux restant alors au mieux à parité avec le monde musulman et du reste toujours sous la menace des Ottomans. Durant la période entre 1600 et 1800, c’est sans doute une forme de rationalisation des décisions qui vient se substituer à la tradition, rationalité désormais fondée sur le « calcul pratique de l’avantage immédiat ». Mais Hodgson nous précise d’emblée que des dynamiques de rationalisation similaires sont apparues de façon récurrente dans l’histoire afro-eurasiatique, notamment chaque fois qu’une nouvelle religion s’implantait (on le reverra dans la deuxième partie du livre dans le cas de l’islam). Ce qui caractérise spécifiquement la transmutation moderne, c’est l’apparition d’une « rationalité techniciste » qui permet de « changer les modèles d’investissement du temps et de l’argent ». Et cette forme de rationalisation, loin de s’éteindre après quelques années sous l’effet de la tradition, va progressivement s’institutionnaliser et, ce faisant, devenir irréversible. Elle va en conséquence permettre l’exploitation d’opportunités crédibles et durables, pour des individus investissant de façon innovante ou simplement exerçant leur créativité culturelle, de quelque ordre qu’elle soit. Dans ces conditions nouvelles, « le capital allait être systématiquement réinvesti et multiplié sur la base d’une innovation technique continue et d’une expansion anticipée des marchés ». Au cœur de ce processus se trouve donc une technicisation, définie comme une « possibilité de spécialisation technique liée à un calcul rationnel, au sein de laquelle les différentes spécialisations sont interdépendantes sur une échelle assez grande pour déterminer des modèles d’anticipation dans les secteurs clés de la société ». Autrement dit, la technicisation ne se réduit pas à la possibilité d’utiliser des techniques nouvelles ; elle signifie plutôt une condition pour que les anticipations des acteurs convergent, se confirment mutuellement, déterminant ainsi la poursuite d’un processus dynamique. Dans le champ économique, on pourrait interpréter le phénomène ainsi : la spécialisation technique assurant l’efficacité, donc la baisse des coûts et sans doute des prix de vente, déterminera un élargissement du marché, donc une possibilité de débouché qui justifie en retour l’investissement technique initial. Mais le même processus concernerait l’administration et, à la fin du 18e siècle, l’efficacité bureaucratique européenne aurait déjà dépassé le niveau atteint dans la Chine des 11e-13e siècles. Du reste, Hodgson n’hésite pas à suggérer qu’au final « l’Occident semble avoir été l’héritier inconscient de la révolution industrielle avortée de la Chine des Song » tant par les nombreux emprunts technologiques qui seront déterminants dans notre révolution industrielle que par l’imitation du système chinois de recrutement des fonctionnaires…

La deuxième partie de l’ouvrage traite du rôle de l’Islam dans l’histoire globale, notamment de ses relations à la modernité.

Pour Hodgson, non seulement le monde musulman occupait une position centrale sur le continent afro-eurasien mais encore « s’exprimaient en lui certaines pressions culturelles cosmopolites et égalitaristes (en tout cas non traditionnelles) qui avaient pris naissance dans les régions les plus anciennes et centrales de la société musulmane ». Il devait par ailleurs déployer, jusqu’au 18e siècle, une puissance politique et militaire, liée à une culture vivante et sophistiquée (notamment dans les arts et les sciences), qui interdit de parler de décadence (sauf peut-être dans le domaine économique), à partir du 11e siècle, comme on le fait encore trop souvent. Et si l’Islam a connu une telle influence durant plus d’un millénaire, il le doit aussi et surtout au succès de la religion musulmane.

Les raisons de la réussite de la conquête islamique et de la solidité des institutions qui l’ont suivie sont évidemment multiples et font l’objet du chapitre 7. Et ces raisons ne seraient pas d’abord à trouver dans les logiques des sociétés arabes. Hodgson développe l’idée que l’islam est venu renforcer les bases d’une influence, alors déjà grandissante entre 5e et 7e siècles, de la classe mercantile sur les sociétés irano-sémitiques (surtout donc en Perse, en Syrie et en Asie centrale, le long de la route de la Soie). Ce renforcement a pris plusieurs visages. Il invoque d’abord le rôle de la charia : en tant qu’elle supposait l’égalité et la mobilité sociale, refusait les statuts inégaux acquis, cette dernière se révélait largement « contractualiste » et donc venait en quelque sorte légitimer le droit mercantile. Dans le même esprit, la charia excluait toute autre légitimité qu’elle-même, ruinant ainsi les prétentions à dominer de l’aristocratie agraire traditionnelle. Enfin l’islam, en tant que religion monothéiste potentiellement universelle, convenait très bien aux marchands dont elle pouvait servir les intérêts : elle permettait aux communautés monothéistes antéislamiques séparées de se retrouver sur un socle commun, donc de communiquer et de partager des références morales qui seraient par ailleurs nécessairement utiles aux marchands. Au total donc l’islam est venu renforcer la classe mercantile, urbaine et cosmopolite, dans des régions de vieille civilisation où l’influence grecque avait d’ailleurs été profonde. La religion musulmane a ainsi permis une synergie entre le monde arabe et ses voisins, notamment autour de la valeur accordée aux activités marchandes, elle-même plus forte dans le monde iranien élargi à l’Asie centrale, mais on le sait très présente aussi chez Mahomet et ses compagnons. Au total « l’islam, dans ses idéaux religieux puis dans son influence sur les modèles sociaux, a précisément renforcé les traits de l’héritage irano-sémitique qui encourageaient le contrat entre égaux et la mobilité sociale. Et ceci n’a pu avoir lieu qu’en raison de l’autonomie de la communauté religieuse en tant que société morale dépassant les clivages territoriaux. » Revers de la médaille, cette prépondérance des valeurs propres à la communauté religieuse et de la charia a pu limiter la légitimité des gouvernements successifs, rendant ces derniers imprévisibles et par ricochet, pénalisant l’investissement productif qui suppose une certaine stabilité en matière de politique publique.

Mais c’est surtout dans son apport à la modernité que l’islam est particulièrement étudié par Hodgson, dans le chapitre 10 de cette deuxième partie. Définissant cette modernité comme une accélération de l’histoire, l’auteur nous montre d’abord qu’elle ne constitue pas un phénomène purement européen mais résulte d’une configuration beaucoup plus large, propre à l’espace afro-eurasiatique dans son entier. La croissance économique européenne de la fin du Moyen Âge serait d’abord un « effet de frontière », un phénomène de développement rapide imputable au retard préalable de cette région. De même l’essor culturel du continent serait, pour partie le résultat d’une communication accrue avec le monde islamique, pour partie le résultat d’emprunts beaucoup plus lointains (chinois notamment). L’expansion océanique ibérique du 16e siècle elle-même ne serait pas plus étonnante que la stupéfiante conquête musulmane des 7e et 8e siècles. Replacé dans un contexte global, l’avènement de la « grande transformation moderne » ne relèverait plus de qualités propres au seul Occident. Dans son développement ultérieur, cette modernité s’analyse alors dans ses deux dimensions, évolutionniste d’une part, interactive d’autre part. Côté évolutionniste, c’est l’émergence du primat du calcul et de l’institutionnalisation de la technique qui apparaît comme créant de l’irréversibilité et de l’universel, avec l’idée que ces calculs techniques conduiront à un changement continu, en tout cas à des améliorations techniques, comme nous l’avons vu en première partie. Côté « interactions » Hodgson insiste sur le « haut degré de pouvoir social » désormais possédé par les Européens (et qui s’illustre, encore timidement, dans la conquête portugaise de l’océan Indien) corrélé avec « l’exploitation de possibilités techniques toujours renouvelées qui rend les Européens rapidement dépendants de conditions diverses dispersées aux quatre coins de la planète ». Dans ces conditions, la modernité, c’est aussi et surtout le fait que les Européens ont désormais un « intérêt vital dans toutes les affaires de la planète ». S’imposant partout au nom des possibilités offertes par la technique, la modernité obligera désormais les autres sociétés à adopter cette transformation, voire à la réaliser de façon accélérée si le gouffre avec l’Europe doit être comblé. En ce double sens, évolutionniste et interactif, la modernité n’est pas simplement une étape du changement social, mais d’abord un « événement » touchant simultanément toutes les régions du monde. Si elle constitue bien « une rupture avec les modèles du processus historique afro-eurasiatique dont l’Europe médiévale n’était qu’une partie, l’ancienne tradition occidentale ne saurait détenir la totalité, ni même la majorité, des réponses aux problèmes posés ».

La troisième partie de l’ouvrage traite de la « World History » en tant que discipline.

En moins de 60 pages, Hodgson y pose des questions de méthode tout à fait cruciales et n’hésite pas à affirmer d’emblée que « la world history, interprétée comme l’histoire des relations interrégionales, doit constituer le cœur de l’organisation intellectuelle de la profession historienne ». Ce qui pourrait passer pour une provocation est alors très progressivement étayé. Connaissance du singulier en tant que tel (et non en tant qu’exemple d’une généralité plus large), l’histoire doit cependant soulever des problèmes dont la pertinence soit universelle. C’est donc par le type de questions qu’il pose que l’historien sera fidèle à son projet. Ainsi, contrairement à ce que la profession admet souvent, ce n’est pas sa méthode de travail (notamment la recherche et l’interprétation d’archives) qui fait son identité. À la différence du sociologue, l’historien ne s’intéressera pas aux généralités en tant que telles, mais dans la mesure où elles peuvent éclairer tel événement. En conséquence, opposer histoire et sciences sociales serait inopportun car bloquant la compréhension.

L’historien se définit aussi et surtout par les relations entre les différentes questions qu’il aborde. Plus précisément, s’il est vrai que l’histoire humaine est reliée, interconnectée, depuis fort longtemps, au point que l’action humaine prend une grande partie de son sens à travers ses conséquences lointaines (dans le temps comme dans l’espace), alors l’historien « est incapable de répondre de façon adéquate à une question précise sans donner une réponse à toutes les autres ». Au-delà du paradoxe, l’intuition est bien que la compréhension d’un fait localisé requiert une envergure d’analyse peu usuelle, implique de mobiliser la connaissance de « complexes historiques » à dimension interrégionale, voire planétaire. La conceptualisation à grande échelle devient alors cruciale pour toute étude historique.

Sur ces bases, Hodgson pose la difficile question de l’objectivité propre à la définition et à l’utilisation de ces complexes historiques. La recherche rencontre ici deux limites, celle inhérente au fait de ne considérer qu’une petite partie des faits déterminants d’une part, celle d’évacuer toute signification inhérente à l’histoire de communautés particulières d’autre part. Mais ces imperfections étant connues, la démarche de l’historien ainsi conçue n’en reste pas moins indispensable pour discipliner et rectifier les perspectives historiques des « personnes ordinaires ». Et cet objectif suppose de rompre avec la pratique trop souvent répandue chez les historiens de « laisser les perspectives plus larges aux philosophes de l’histoire », au prétexte qu’aucune objectivité n’y serait plus possible. Or, sur ces questions plus larges, la méthode pour affirmer un jugement, une hypothèse, l’importance d’une relation, reste la même, procède par l’accumulation de faits, de coïncidences jusqu’à ce qu’une seule conclusion demeure possible pour quelque observateur que ce soit. Et s’il est vrai que l’historien sélectionne ses « faits pertinents », cela fait partie de son questionnement, structure ce dernier. Ce qui est le cas du reste dans toute discipline : on n’obtient jamais que les réponses permises par les questions posées. Ce qui suppose aussi de considérer chaque recherche comme une approche particulière, ne délivrant pas un savoir définitif, analyse destinée à être complétée par des approches adoptant d’autres points de vue, d’autres questionnements.

L’auteur conclut alors son chapitre 11 en montrant que l’étude des processus historiques à grande échelle doit porter sur trois niveaux de changements. Ce sont en premier lieu les événements « extra-historiques », souvent négligés, qui importent : changements climatiques, mutations biologiques ou épidémiologiques. À un second niveau, « semi-historique », on trouvera les « résultats imprévus de l’action humaine », portant sur les ressources, les maladies, la démographie, qu’ils aient pour origine la consommation de drogues, les usages alimentaires, les modalités éducatives. Enfin, au troisième niveau, « plus strictement historique », on abordera les effets conscients de l’action humaine (pas toujours prévus du reste) propres aux comportements politiques, économiques et sociaux. Le plus important reste que « ces types de développements sont en partie aveugles, beaucoup d’entre eux étant largement inconscients » ce qui amène Hodgson à insister sur l’importance de ce « tout inconscient » dans toute analyse d’histoire globale.

Au final, ce livre de Marshall Hodgson excède largement la place dévolue, sur un blog, à une recension d’ouvrage. Critique subtile de l’eurocentrisme, analyse fine des liens entre Islam et modernité, fondation méthodologique de l’histoire à grande échelle, il apporte un éclairage stimulant que certains de nos historiens contemporains, parfois bloqués dans le fétichisme de l’archive et des singularités, pourraient méditer avec profit.

Références bibliographiques

M. Hodgson, [1999], L’Islam dans l’histoire mondiale, Paris, Actes Sud, constitue pour l’essentiel une traduction de la deuxième partie de l’ouvrage.

 

 

Et si… la science-fiction rencontrait l’histoire globale ? 2/2

Suite et fin de la chronique de la semaine dernière. Ou comment un sujet que l’on pourrait croire surgi d’une nouvelle de science-fiction (SF), écrivant lui-même de la fiction, nous plonge dans le labyrinthe de son âme de génie torturé.

4) Comment entrer dans le cerveau d’un savant schizoïde ?

Norbert Wiener (1894-1964), pour avoir vraiment existé, semble un authentique personnage de SF. Son père, linguiste à l’université de Harvard, clamant qu’on pouvait faire de n’importe quel enfant un surdoué, avait très tôt pris son éducation en main : il aurait su lire à 1 an et demi ! (selon Wikipedia), et a décroché sa licence à 12 ans, son doctorat de logique mathématique à 18. Celui qui déclara un jour se percevoir comme une créature de Frankenstein, création de son géniteur, est entré dans l’histoire comme le créateur du terme de cybernétique – science des systèmes envisageant le monde comme des ensembles reliés par des interactions. Une discipline qui a eu dans les années 1950-1960 une fécondité dans des domaines aussi divers que l’économie, l’ingénierie, la philosophie ou encore la psychanalyse, en sus d’influencer de façon décisive la robotique et l’informatique.

Wiener a introduit le terme de feedback (rétroaction, à la base de la cybernétique) durant la Seconde Guerre mondiale, en travaillant sur des canons antiaériens qu’il souhaitait rendre capables d’anticiper la trajectoire de leurs cibles. À l’orée du livre Les Rêves cybernétiques de Norbert Wiener, de Pierre Cassou-Noguès [Seuil, 2014], notre héros est présenté comme taraudé par un problème de conscience : il a involontairement et très marginalement favorisé, par l’exploitation militaire d’une équation qu’il a autrefois résolue, l’avènement de la bombe A. Citons-le : « La fin de la guerre est proche. L’usage de la bombe atomique conduit les savants américains à un grand examen de conscience [a lot of soul searching]. Nous devons vivre maintenant avec une horrible responsabilité potentielle. »

« Depuis que la bombe atomique est tombée, je guéris peu à peu d’une attaque de conscience [… acute attack of conscience] d’autant plus sévère que je suis un savant qui a participé au travail de guerre, qui a vu son travail de guerre s’intégrer dans un ensemble plus large, utilisé d’une façon que je n’approuve pas et sur laquelle je n’ai absolument aucun contrôle. Je pense que l’on peut présager qu’il y aura une troisième guerre mondiale, je n’ai pas l’intention de laisser utiliser mes services dans un tel conflit. »

Ce contexte est essentiel pour comprendre la démarche de Cassou-Noguès, qui a exhumé une nouvelle de Wiener : Un savant réapparaît. Cette nouvelle, publiée en annexe à la fin du livre de Cassou-Noguès, est donc restée inédite jusqu’à aujourd’hui. Si elle avait été publiée, elle l’aurait été sous le transparent pseudonyme de W. Norbert, réminiscence du bon Dr Wiener, par ailleurs auteur d’essais scientifiques aux titres aussi évocateurs que L’Usage humain des êtres humains ou God and Golem. La nouvelle s’ouvre dans un bar, sur la réunion de cinq savants juifs, à l’occasion d’un congrès qui se tient en Israël. Hasard « incroyable » qu’autorise évidemment la fiction, sur l’envers de la nappe où nos savants se mettent à gribouiller, figure déjà une équation posée la veille par un mystérieux client. La formule permet de résoudre une aporie mathématique ouvrant la voie à la « micro-instrumentation » – la nouvelle, écrite vers 1955, anticipe ainsi les nanotechnologies de plusieurs décennies. Commence l’enquête : un savant étant identifiable par le style de ses équations, les cinq enquêteurs finissent par trouver, dans ce pays où tout le monde a changé de nom, le bon savant au nom indéterminé : Lilienblum/Posner. Il a fait retraite au fond d’un kibboutz plutôt que de contribuer à la création de nouvelles armes toujours plus destructrices – un sage qui tel Spinoza polit des lentilles. Et le mauvais savant va machiavéliquement l’assassiner pour s’approprier son travail. Mais qui est _______, ce mauvais savant ?

Commence alors une mise en abîme, amplifiée par les béances que l’auteur a négligé de combler dans son texte : pourquoi N. Wiener/W. Norbert écrit-il ça ? En quoi la fiction reflète-t-elle son combat intérieur ? Quels sont ses modèles de savants, ses références d’écrivains de fiction ? Pourquoi cet agnostique est-il torturé par sa judéité ? Serait-ce parce que celle-ci l’a fortement handicapé au début de sa carrière, car les universités américaines connaissaient dans les années 1920 un climat antisémite, et freinaient par quotas la carrière de savants juifs ? Si nombre de juifs participeront à la mise au point de la bombe, ce seront pour l’essentiel des réfugiés fuyant l’Europe.

Dévidant simultanément le fil de la fiction (celle de Wiener) et la trame historique de la vie du savant, tissant des allers et retours sur fond de grande histoire, Cassou-Noguès réalise une performance en associant science et fiction. On y voit la naissance d’une science militarisée, où le travail du scientifique se parcellise afin que peu soient capables d’en retracer la cohérence des étapes – le projet Manhattan reposait sur des équipes dispersées, chargées de résoudre des problèmes isolés. Wiener comme son rival John Von Neumann en sont conscients, ils parlent de l’ère de la science à 1 million de dollars – « Megabuck ou Kilogrand science ». Sont mis en scène sur fond de maccarthysme les tourments d’un savant torturé par sa conscience et par la peur – la nouvelle n’est pas la seule à mettre en scène l’idée d’un savant disparaissant du jour au lendemain, sans qu’on sache si l’acte est criminel ou volontaire.

La fiction et l’histoire concourent alors à restituer une ambiance, à dévoiler un imaginaire nourri d’Edgar Allan Poe (notamment pour Le Joueur d’échecs de Maelzel), de Samuel Butler (Erewhon), de Carel Capek (Rossum’s Universal Robots) ou d’Arthur Conan Doyle (les aventures de Sherlock Holmes). Et cet imaginaire importe autant que le parcours du personnage. Le bon savant Wiener devrait-il s’escamoter ? Ou doit-il se consacrer à promouvoir sa cybernétique comme la science du futur paisible de l’humanité – alors même qu’il entrevoit, dans son œuvre scientifique, la possibilité d’usines autoreproductrices fabriquant seules des machines qui aviliront l’homme ? Une usine qui s’autoduplique fera-t-elle le bonheur de l’homme libéré du travail, ou relèguera-t-elle l’ouvrier humain à l’état d’épave frappée d’obsolescence, bonne pour le rebut ? Inquiétude. « La machine cybernétique prend corps dans l’écho de la bombe », rapporte Cassou-Noguès. Les extraits de biographie deviennent alors la chronique de l’avènement d’une science qui n’est plus synonyme de progrès, puisqu’elle peut désormais, sinon détruire le monde, au moins l’altérer irrémédiablement. Sombre prophète de ces temps qu’il a contribué à faire advenir, Wiener évoque la façon dont « un mélange de religion, de pornographie et de pseudo-science » est susceptible de nous changer en des « dupes [fools] aussi prévisibles qu’un rat se démenant dans un labyrinthe ».

Démiurge de la cybernétique, auteur à part égale d’anticipation, Wiener est conscient de la porosité entre fiction et science. Cela explique-t-il que son œuvre contienne en germe les réflexions futures du post-humanisme et du cyborg ? L’« humanité augmentée » aux prothèses est-elle encore humaine ? Une « machine à faire la guerre », ordinateur optimisant la mise à feu atomique, est-elle le meilleur des stratèges, ou le pire ? Les militaires ont-ils pensé à programmer l’instruction « L’humanité doit survivre à la fin du jeu » ? Son rival Von Neumann, lui, est apparemment aussi dépourvu de sentiments qu’un robot. C’est un pur cerveau où germera l’étrange notion de l’homme comme « acteur rationnel » – probablement lui-même est-il un des êtres les plus proches d’incarner cette vision de l’homme dépourvu d’émotions et optimisant à tout moment ses intérêts. Il se montre pourtant capable d’entretenir un réseau de relations sociales avec un talent extraordinaire. Est-il en mesure d’imiter sans relâche la plus pure des sympathies ? Est-il humain ou mécanique ? Est-il le mauvais savant – ou le meilleur ?

En conclusion, que retenir de cet exposé de quelques-unes des façons d’exploiter une association entre science-fiction (au sens large du thème) et histoire ? D’abord, que la fiction n’est pas un additif aussi commode que ce que l’on pourrait croire à première vue. Un historien recourant à la fiction pour meubler des vides dans une biographie (cela arrive) se doit, bien sûr, d’avertir son lecteur, mais aussi de coller au réalisme et d’adopter une démarche prudente et cohérente. Ceci étant posé, on comprend que le recours à une forme autre d’écriture, pour l’historien produisant de la fiction comme pour le romancier s’essayant à l’histoire, peut être tentant.

Pourrait-on pour autant développer une narration en dehors des cadres normatifs du genre d’origine ? Je pense que la réponse semble négative. Ainsi l’uchronie (qui dans son origine est certes historique, mais dont les cadres de référence aujourd’hui ressortent de la SF) ne permettrait aux historiens que de poser des scénarios alternatifs, mais qui se doivent de rester dans le registre de la vraisemblance forte pour rester crédibles – donc de revenir à la trame du récit initial, un temps dévié par un accident. Et si… l’histoire se devait de rester imprévisible ?

Concluons sur une dernière citation de Wiener (traduite, comme les précédentes, par Cassou-Noguès) :

« Notre temps est un âge byzantin, un âge d’épigonie, qui partagent la haine et la peur byzantines de l’homme entier. Byzance choisissait ses fonctionnaires parmi les chambellans mutilés de la cour royale. Nous dirigeons notre couteau directement sur le cerveau. Une forme de lobotomie frontale, au moyen d’une épingle, est devenue une procédure courante chez les psychiatres, et ce manque de respect pour l’intégrité du cerveau chez ceux que la société considère comme inadaptés [misfits] n’est que l’extension grotesque d’une politique qui nourrit ses scientifiques d’un demi-savoir de façon à en faire les agents serviles de la politique formulée par nos véritables héros, les businessmen, et les menace de toutes les peines s’ils ont la présomption de réfléchir à la nature et aux conséquences des politiques destructrices qu’on leur demande de mettre en place. »

Et si… la science-fiction rencontrait l’histoire globale ? 1/2

Ces derniers mois ont été publiés Exquise planète, de Pierre Bordage, Jean-Paul Demoule, Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer (Paris, Odile Jacob, 2014) ; L’Effondrement de la civilisation occidentale d’Erik M. Conway et Naomi Oreskes (2013, trad. fr. Françoise et Paul Chemla, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014) ; et Les Rêves cybernétiques de Norbert Wiener de Pierre Cassou-Noguès (Paris, Seuil, 2014). Trois ouvrages, très différents dans leurs sujets et leurs angles, qui ont en commun d’exploiter des rapports entre histoire et science-fiction (SF). Après avoir rappelé ce qu’est l’histoire uchronique, revenant sur une parution antérieure, La Saint-Barthélémy n’aura pas lieu de Joël Schmidt (Albin Michel, 2011), nous allons explorer en quatre actes et deux billets les dangers et apports potentiels de ce type d’approche.

1) L’uchronie peut-elle faire l’histoire ?

L’uchronie est initialement un genre de la SF. Il se décline aussi en histoire contrefactuelle, virtuelle, ou alternative, mélangeant se faisant histoire et fiction. Une uchronie pose une question commençant par : « Que se serait-il passé si… ». Et de se prolonger par exemple d’un « … si les nazis avaient eu la bombe A avant les Américains ? », « … si l’assassinat de Kennedy avait échoué ? », « … si Napoléon avait remporté Waterloo ? », voire « … si les Amérindiens avaient été en mesure de briser l’invasion espagnole des 15e-16e siècles ? »

La dernière question sert de toile de fond à l’uchronie de SF historique La Rédemption de Christophe Colomb (Orson Scott Card, 1996, trad. fr. Arnaud Mousnier-Lompré, L’Atalante, 1998). Réchauffement climatique, hégémonie européenne, réflexions sur l’esclavage, plasticité de l’histoire…, nombre des notions chères à l’histoire globale y sont brassées avec un talent prémonitoire. D’ailleurs, tous les thèmes, toutes les interrogations évoquées dans le paragraphe précédent, et bien d’autres, ont été exploitées dans la SF uchronique. À cette aune se sont illustrés, outre Orson Scott Card, bien des géants de la SF, de H.G. Wells à Christopher Priest, en passant par Philip K. Dick, Michael Moorcock ou Robert Silverberg.

Si l’exercice est parfaitement codé dans les gènes de la SF, l’histoire semble éprouver plus de mal à le digérer. Niall Ferguson a dirigé par exemple un ouvrage de style, demandant à neuf historiens d’imaginer des scénarios de Virtual History. Alternatives and counterfactuals (London, Picador, 1997). Quelques auteurs s’y sont essayés en France. Ainsi Joël Schmidt, avec La Saint-Barthélémy n’aura pas lieu (Paris, Albin Michel, 2011). Son postulat ? À l’aurore de la première guerre de Religion française, la régente Catherine de Médicis serait parvenue à circonvenir les extrémistes des deux bords à l’issue du colloque de Poissy, en septembre 1561.

Dans la réalité, la rigidité du théologien protestant Théodore de Bèze s’est heurtée au dogmatisme du cardinal de Lorraine, Charles de Guise, autour d’une question cruciale : oui ou non, le Christ est-il présent en substance dans l’hostie ? Pour Schmidt, la bascule s’est jouée en une fraction de seconde : alors que Charles allait répondre péremptoirement aux assertions  maladroites de Théodore et ouvrir la voie à huit atroces guerres civiles, il aurait eu un bref rictus… « Et si… » Catherine lui avait alors cloué le bec de toute son autorité ? La France aurait été épargnée par les bains de sang, se serait progressivement et paisiblement convertie au protestantisme, et aurait connu une autre histoire. Le bon roi calviniste Louis XVI aurait accepté une monarchie constitutionnelle, par exemple, avant de mourir à Waterloo en combattant aux côtés de Wellington contre son ex-général devenu empereur. C’est dire si la face du monde en aurait été changée.

Sauf que ? Un micro-événement de cette nature, Catherine proférant la réplique adéquate au bon moment, est-il vraiment en mesure d’infléchir des tendances lourdes, un contexte entier ? Cela n’aurait rien changé aux armées fanatisées de part et d’autre, à la circulation des pamphlets incendiaires, à la violence larvée qui n’attendait qu’un prétexte pour se déchaîner – mieux vaut lire les ouvrages de Denis Crouzet pour s’imprégner de cette histoire-là. De même, si l’archiduc n’avait pas été assassiné à Sarajevo en 1914, qui peut être certain qu’il n’y aurait pas eu de Première Guerre mondiale ? À tout moment, en tout lieu, n’aurait-il pas suffi d’une autre étincelle pour que s’enflamme la poudrière qu’était l’Europe ? Ajoutons que la lecture d’une histoire contrefactuelle de cette facture est dangereuse pour celui qui n’a pas des références solidement assises : a-t-on vraiment besoin de livres flirtant avec l’historique pour enrichir la litanie des perles du bac – Louis XVI tué à Waterloo d’un boulet de canon ? D’ailleurs, quelle étonnante loi que celle-ci, qui s’emploie à faire bifurquer l’histoire au gré d’un événement précis, avant de la faire retomber aussitôt dans ses ornières ? Si Catherine avait converti la famille royale au calvinisme dès les années 1560, qui voudrait parier qu’il y aurait eu une révolution en 1789 ?

2) Pourrait-on tout reprendre à zéro ?

Exquise planète est un exercice ludique et ambitieux d’histoire alternative, à ranger au rayon de la big history contrefactuelle. Le principe est celui du surréaliste jeu du cadavre exquis : l’astrophysicien et grand spécialiste de la SF Roland Lehoucq imagine une planète soumise à des lois physiques se situant aux antipodes, si l’on peut dire, de celles qui régissent la Terre, et pourtant une planète favorable à la vie. Ce premier chapitre une fois rédigé, il sert de point de départ au paléontologue Jean-Sébastien Steyer pour imaginer l’évolution de différentes formes de vie sur cette planète, jusqu’à l’apparition d’organismes collectivement intelligents, les exogrades – des sortes de « nounours à huit pattes ». Rebondissant sur ce deuxième chapitre, l’archéologue (et contributeur ponctuel de ce blog) Jean-Paul Demoule postule que lesdits nounours sont en mesure d’explorer l’espace par une sorte de télépathie. Et que leur attention est attirée par une petite planète bleue, où s’agite une curieuse espèce qui, bien qu’ayant atteint l’intelligence, aurait aussi pu tutoyer, à divers moments, la sagesse, en refusant par exemple d’entreprendre la pénible Révolution néolithique, ou en acceptant au Moyen Âge les Lumières rayonnant d’Extrême-Orient. Le quatrième et dernier chapitre a été confié à un des géants français de la SF, Pierre Bordage, qui imagine un avenir où l’espèce humaine quitte sa planète bleue pour s’essayer à coloniser la planète des nounours arachnoïdes, se référant au Ray Bradbury des Chroniques martiennes.

Si l’initiative est intéressante, et si chacun des auteurs a par le passé produit des ouvrages mémorables, le résultat est dans sa première moitié difficilement lisible pour le profane en sciences dures. Il faut ainsi quelques notions d’astrophysique pour apprécier la cosmologie de Lehoucq, des connaissances en biologie pour savourer l’inventivité cladistique de Steyer. Quant à la partie purement d’histoire contrefactuelle, elle postule entre autres que les premiers agriculteurs finissent par renoncer à gagner leur vie à la sueur de leur front pour en revenir aux joies simples de la cueillette et de la chasse, ou que l’amiral chinois Zheng He vient au 15e siècle civiliser les Parisiens restés à l’écart de la grande Pax sinica. C’est amusant. L’idée de se jouer de codes effectivement classiques en histoire globale permet de montrer, certes, que l’histoire peut être rythmée par des choix. Cependant, le choix du Néolithique n’a pas été un processus simple et unique, qui aurait fait tâche d’huile. C’est un processus multiforme, complexe, qui a opéré plusieurs fois, en plusieurs lieux. Et nul en France n’a mieux que Demoule participé à la diffusion de ce concept (par exemple dans Demoule [dir.], La Révolution néolithique dans le monde, Paris, CNRS Éd., 2010).

Quant aux voyages de Zheng He, ils ont pris place dans un cadre mental et technologique précis. Dans la première moitié du 15e siècle, les jonques chinoises ont voyagé jusqu’en Afrique – la chose est déjà extraordinaire – en exploitant la Mousson. Elles n’avaient pas la possibilité technique de remonter au vent, et donc d’atteindre Paris – si tant est que les commanditaires de l’expédition l’aient souhaité, tant leur cadre mental devait être étranger à cet objectif. Le musulman Zheng He rêvait d’atteindre La Mecque, et la cour chinoise a financé ces coûteuses expéditions pour des raisons de prestige dans un espace, celui de l’océan Indien, auquel elle attachait de l’importance. Aucun Chinois n’aurait alors rêvé d’atteindre Paris. Une telle histoire contrefactuelle devrait être cohérente, faute de quoi elle s’expose à n’être vue que comme un simple divertissement plutôt que comme un outil révélant, justement, que les choix des sociétés influeraient réellement sur leur devenir.

Enfin, avec son extraordinaire trilogie des Prophéties, son cycle de Wang, sa Fable de Lhumpur… Bordage est de loin, parmi les Français, mon écrivain de SF préféré. Le quatrième chapitre, prometteur (une nouvelle de terraformation sur fond de contact avec des intelligences extraterrestres) se révèle un texte entaché d’une impression de déjà-lu, mélange de vieux classiques tels John Brunner (La Planète Folie) ou Harry Harrison (Le Monde de la Mort).

3) Quel avenir pour les marchands de peur ?

Peut-on savoir de quoi demain sera fait ? Oui, affirment Naomi Oreskes et Erik M. Conway : « et si… » tout continue comme c’est parti, business as usual, on peut imaginer qu’en 2093, deux historiens chinois produisent un livre consacré à expliquer ce paradoxe extraordinaire qu’a été le Grand Effondrement de la civilisation occidentale : ou comment une société qui savait parfaitement qu’elle fonçait dans le mur n’a rien fait pour lever le pied de l’accélérateur. Voici donc, livré du futur, le récit de l’Apocalypse qui nous guette : L’Effondrement de la civilisation occidentale.

Retour sur l’origine : on connaît Oreskes et Conway pour leur ouvrage Les Marchands de doute, doté d’un interminable sous-titre qui a le mérite d’en refléter le contenu : Ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique (2011, trad. fr. Jacques Treiner, Paris, Le Pommier, 2012). Le livre est à la fois salutaire et documenté, et quelque peu complotiste ; à longueur de pages surgissent les mêmes lobbies, auxquels sont prêtés de très solides et constantes capacités à influer le politique. Mais l’ensemble porte sur les États-Unis, un pays où il suffit d’un bon hoax (« ce gars a des armes de destruction massive ») pour partir en guerre ; alors…

Alors Oreskes et Conway s’appliquent. Ils décrivent, comme rétrospectivement, écrivant notre futur au passé, ce qui peut / ce qui va advenir alors que les négociations internationales continueront à piétiner et que certaines des prévisions des experts, pour partie médiatisées par les rapports du Giec, s’accompliront. L’Australie, pays pourtant pilote en matière d’écologie, sera totalement grillée et dépeuplée. Les réfugiés climatiques (sécheresse, montée des eaux, destruction du tissu social consécutive aux troubles environnementaux…) se multiplieront. Les troubles saperont les démocraties et les pousseront à la dictature verte pour essayer trop tard de sauver les derniers fragments de la civilisation libérale. Et la Chine, ironiquement, restée sous leadership autoritaire, pourra se permettre de déplacer des centaines de millions de personnes et de leur faire accepter des mesures de rationnement propres à lui épargner l’effondrement civilisationnel qui engloutira alors la planète – n’a-t-elle pas su imposer déjà une politique aussi violente que celle de l’enfant unique ? Et voilà pourquoi, en 2093, il n’y aurait plus que des historiens chinois pour parler de nous, à la manière d’un Jared Diamond dissertant sur les Mayas.

Les deux auteurs reconnaissent leur dette envers la SF, surtout vis-à-vis de Kim Stanley Robinson, prolifique auteur, célèbre tant pour ses uchronies (comme Chroniques des années noires, dans lequel la Peste noire éradique la totalité de la population européenne et débouche sur un monde où seuls rivaliseront l’Islam, l’Inde et la Chine) que pour son triptyque mettant en scène le réchauffement climatique comme une succession de cauchemars écologiques (Les Quarante Signes de la pluie ; Cinquante degrés au-dessous de zéro ; Soixante jours et après).

Qu’en retenir ? Oreskes et Conway entendent plaider leur cause en affolant leurs lecteurs (oui, cet avenir est possible), mais il est à craindre qu’ils fassent fausse route : face à ces marchands de peur, les marchands de doute, climatosceptiques ou assimilés, joueront des failles de leur récit. Car une fiction, quand elle se présente comme prospectiviste, sera forcément démentie par les faits. Il aurait été plus sage de faire exclusivement soit de la prospective classique, soit de la SF, que de mélanger les deux.

Conclusion provisoire : il serait possible de conjuguer histoire globale et SF, mais l’exercice semble difficile, voire périlleux. La semaine prochaine, nous explorerons une quatrième voie, celle d’une mise en abîme entre fiction et récit de vie, ouverte de façon convaincante par le philosophe Pierre Cassou-Noguès pour mieux pénétrer la personnalité de Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique. Génie torturé et aussi, on le découvrira, un auteur de polars…

Pourquoi l’histoire globale ?

Cahiers d’histoire, « Pourquoi l’histoire globale ? », n° 121, avril-juin 2013 [texte intégral en ligne]

couv_ch121Dans son introduction « Pourquoi l’histoire globale ? », Chloé Maurel fait le constat de la multiplication des publications et de l’institutionnalisation de cette histoire par la création de chaires, essentiellement dans le monde anglo-saxon. Mais d’emblée, un doute surgit lorsqu’elle cite la World History Association, fondée en 1982, et le Journal of World History, créé en 1990. S’agit-il là bien d’histoire globale ? Les exemples cités pour la France, des Traites négrières. Essai d’histoire globale (2004) au numéro de la revue Actuel Marx consacré à l’histoire globale (2013) sont plus probants, quoiqu’on puisse discuter de la dimension globale de l’ouvrage d’Olivier Pétré-Grenouilleau. Qu’est-ce alors l’histoire globale ? On pourrait assez facilement agréer la réponse apportée : « Un ensemble large de méthodes et de concepts, incluant plusieurs sous-courants comme l’histoire comparée, l’histoire des transferts culturels, l’histoire connectée, l’histoire croisée, l’histoire transnationale… » [p. 14]. Que l’histoire globale emprunte à d’autres histoires, il n’y a aucun doute. Si on considère la mondialisation comme un processus complexe de mise en interconnexions des différentes parties du globe, il est tout à fait normal que l’histoire globale recoupe, outre les champs de recherches déjà cités, ceux d’histoire culturelle, d’histoire économique, d’histoire sociale, d’histoire politique ou d’histoire environnementale. Les méthodes et les facettes de l’histoire globale sont nombreuses et on pourrait jusqu’à dire qu’elle est doublement globale : globale au sens ancien du terme, dans la lignée de l’école des Annales, et globale aussi dans un sens que Chloé Maurel délaisse quelque peu. Car quelle est donc cette globalité ? La question demeure en suspens. Selon elle, l’histoire globale serait d’abord « une boîte à outils utile » : par le décentrement du regard, par les comparaisons, par l’échelle mondiale. C’est vrai ; mais si la mondialisation n’est évoquée, ce n’est qu’en passant, à propos des délocalisations, des multinationales. Pourtant, on pourrait défendre l’idée que l’essence même de l’histoire globale est dans son objet d’étude. Ce qui fait, en passant, qu’elle ne prétend pas être toute l’histoire. Aussi constatons-nous encore une fois ce désaccord qui s’installe entre ceux qui ne voient dans l’histoire globale qu’une manière d’approcher l’histoire mondiale, au risque de la rendre complètement floue, et ceux qui défendent l’idée que l’histoire globale, née de la mondialisation, est le rétroviseur de notre société : la volonté d’expliquer la mondialité contemporaine.

L’article de Christophe Charle, « Jalons pour une histoire transnationale des universités », illustre assez bien les travers d’une absence de définition rigoureuse de l’histoire globale. Le propos se concentre en réalité seulement sur les universités européennes et leur histoire depuis le 19e siècle. La transnationalisation, qui est effectivement une dynamique forte dans la mondialisation, n’est ici étudiée qu’à l’échelle européenne. On ne comprend pas très bien en quoi ce texte constitue un exemple d’histoire globale. Sinon, en lisant les articles suivant, par l’accent mis en réalité sur l’histoire transnationale.

Katja Naumann propose de revenir sur « L’enseignement de l’histoire mondiale aux États-Unis avant William H. McNeill et son premier ouvrage The Rise of the West (1963) ». La question est celle de la nouveauté, réelle ou exagérée, de l’histoire globale. Y a-t-il rupture ou bien continuité ? Selon l’analyse de Patrick Manning, l’ouvrage de William H. McNeill The Rise of the West a constitué un tournant historiographique dans l’étude des connexions entre les civilisations en faisant la preuve qu’une histoire à l’échelle mondiale est possible et n’est pas seulement du domaine de la philosophie de l’histoire. Au contraire, l’auteure montre bien l’évolution qui s’est produite aux États-Unis depuis le début du 20e siècle dans le récit de la civilisation occidentale tel qu’il avait été écrit en Europe au cours de siècles précédents avec un élargissement aux civilisations non européennes et aux différentes facettes de l’humanité. Elle rappelle notamment l’impact des études anthropologiques durant l’entre-deux-guerres dans une remise à plat des relations entre les différentes cultures. Elle étudie de façon assez détaillée les changements qui ont lieu dans trois collèges universitaires : Columbia, Chicago et Harvard. C’est à Chicago, notamment, qu’on trouve dès les années 1940, Louis Gottschalck, Marshall G.S. Hodgson et William H. McNeill. Les deux premiers contribuèrent après guerre à L’Histoire de l’humanité de l’Unesco. En minimisant la rupture entre histoire mondiale et histoire globale, et en retraçant cette généalogie de l’histoire globale comme un processus proprement états-unien, Katka Naumann entend surtout montrer que le polycentrisme programmatique de l’histoire globale serait contredit par son élaboration au sein de la puissance hégémonique. Elle en arrive ainsi à la conclusion que d’autres histoires mondiales/globales sont possibles, en accord avec les traditions historiographiques nationales, régionales ou locales. N’est-ce pas réduire la dimension transnationale qui a préposé à l’élaboration d’une histoire globale au demeurant multiple ?

Matthias Middell s’interroge quant à lui sur « L’histoire mondiale/globale en Allemagne ». Le titre même de son article révèle l’ambiguïté soulevée au début de notre critique, mais pour s’y attaquer. Les premiers paragraphes sont très fermes là-dessus. La question de la pertinence à parler d’histoire globale à propos des nouvelles recherches sur la guerre de Sept Ans est très juste. Comme il l’écrit, « ce qui fait des auteurs de ces études des global historians, ce n’est évidemment pas seulement leur connaissance des pays lointains et de leurs interdépendances, mais le fait de poser des questions qui ne relèvent pas seulement de leur statut d’expert en exotisme, mais d’apporter une contribution au problème non encore résolu de savoir jusqu’où faire remonter la mondialisation actuelle que nous scrutons si attentivement, et ce que nous pouvons faire d’une telle tradition ». Cependant, il pointe du doigt d’une part les réticences politiques que certains peuvent avoir à l’égard de l’histoire globale, comme instrument de légitimation politique pour les acteurs qui appellent à davantage de mondialisme contre les nationalismes de tous poils, d’autre part le manque de reconnaissance par les historiens eux-mêmes qui reprochent aux chercheurs en histoire globale de ne faire que du travail de seconde main et d’enfreindre ainsi les règles établies de la recherche historique, à savoir l’analyse minutieuse d’archives dans un champ clos dont l’historiographie est parfaitement maîtrisée – sans parler des craintes que les historiens du global ne nourrissent des ambitions hégémoniques sur l’ensemble de l’histoire ! Après cette introduction, Matthias Middell s’attarde plus précisément sur l’histoire globale en Allemagne, sur son institutionnalisation tardive, mais réelle, et sur sa subsomption par l’histoire mondiale. Mais c’est sur l’histoire transnationale qu’il conclut. Celle-ci apparaît finalement comme un moyen de résoudre les tensions épistémologiques créées par l’histoire globale. Si le cadre national est appelé à être dépassé, le travail historique, quant à lui, n’est pas fondamentalement remis en question. L’étude des sociétés ne peut plus se faire sans prendre en considération les interactions avec les autres sociétés. Difficile de ne pas souscrire à un tel programme, mais si l’histoire globale peut se nourrir de telles recherches et appelle à un tel dépassement, elle ne s’y réduit pas.

On retrouve le même glissement dans le texte d’Akira Iriye, « Réflexions sur l’histoire globale et transnationale ». L’article commence par une réflexion anecdotique mais intéressante sur l’utilisation relativement tardive par l’auteur de la notion de « globalization ». Il paraît en effet nécessaire de remettre au centre la notion de mondialisation pour expliquer l’émergence de l’histoire globale. L’auteur rappelle bien également les enjeux qu’il y a à développer un enseignement d’histoire globale permettant de dépasser les perspectives uniquement nationales, au risque de créer des tensions, ce qu’on connaît bien ici (cf. la tribune que j’avais publiée dans les Carnets d’Aggiornamento, « L’oubli du monde »). On restera toutefois plus réservé lorsque l’auteur reprend l’idée que la Première Guerre mondiale marque le début d’une démondialisation, analyse qui s’appuie sur une définition essentiellement économique de la mondialisation quand il faudrait, à mon sens, prendre en considération l’ensemble des flux qui mettent en interconnexion les différentes parties de l’espace-Monde. Toujours à propos de ce premier temps de la mondialisation qui irait, en gros, du milieu du 19e siècle au milieu du 20e, Akira Iriye s’interroge par ailleurs sur les liens qui existent entre mondialisation, occidentalisation, modernisation et impérialisme : peut-on parler de mondialisation pour désigner le processus de domination européenne/occidentale sur le reste du Monde et de transformation socio-économique de celui-ci ? Aussi, selon lui, n’est-ce qu’à la fin du 20e siècle que « la mondialisation s’étendit à l’ensemble de la planète » et que, corrélativement, l’intérêt pour l’histoire globale se développa et qu’on distingua celle-ci de l’histoire mondiale. Il n’est pas anodin qu’Akira Iriye et Bruce Mazlich aient assuré ensemble le cours d’histoire globale à l’université de Harvard de 2001 à 2003. Tous deux défendent l’idée que l’histoire globale porte avant tout sur l’histoire récente. L’auteur, qui, avec Pierre-Yves Saunier, a codirigé le Palgrave Dictionary of Transnational History (2006), en vient alors à développer la pertinence de l’histoire transnationale, qu’on peut considérer comme faisant partie de l’histoire globale, ou comme un champ historiographique en soi, sécant avec l’histoire globale. « L’émergence d’une histoire transnationale suggère une prise de conscience que la nation n’est plus (si elle l’a jamais été) l’unique paramètre de l’identité humaine ou le cadre principal des affaires humaines. Tout individu est un être local et global, avec des identités multiples, dont certaines se comprennent mieux dans le cadre de la nation, et d’autres à travers les appartenances de sexe, de religion, de race, de classe sociale ou d’âge. » L’histoire transnationale peut donc être considérée comme transcalaire, mais aussi ascalaire, elle n’a pas pour objectif premier de comprendre le Monde comme espace et comme société globale. Elle est surtout une méthode pour casser le carcan des nations, ce qui amène Akira Iriye à plaider en faveur de la notion d’« hybridité », qui correspondrait dans l’historiographie française à celle de « métissage ».

Dans « Histoire globale et organisations internationales », Thomas G. Weiss présente la vaste histoire intellectuelle des Nations unies qu’il a coordonnée entre 1999 et 2010. La question posée est assez intéressant, la réponse pas toujours convaincante, mais probablement par manque de place. Les idées de l’Onu ont-elles influencé le monde ? L’argumentation contrefactuelle, originale et rarement utilisée dans l’historiographie française, est peu probante. Si l’Onu n’avait pas été créée en 1945, elle l’aurait été plus tard sous une forme ou sous une autre… Soit. Il y a une nécessité à mettre en place une gouvernance mondiale. Comme il le reconnaît lui-même, ce besoin existe dès la fin du 19e siècle, moment où sont fondées par exemple l’Union postale universelle et l’Union internationale des télécommunications. Dans la diffusion des idées qui ont participé à mettre en forme nos représentations du monde, les différents Rapports sur le développement humain ont sans doute joué un rôle certain, mais les exemples concrets manquent et l’auteur renvoie essentiellement à l’ouvrage auquel il a participé : UN Ideas That Changed the World (2009). On pourrait penser à la notion de développement durable, définie dans le rapport Bruntland de 1987 et dont on connaît le succès planétaire. Les droits de l’homme, avec la Déclaration universelle de 1948, sont un autre exemple de ces idées qualifiées d’« onusiennes ». Même s’il est évident que la question des droits essentiels communs à tous les êtres humains s’inscrit dans une réflexion pluriséculaire, la mise en œuvre de ceux-ci à l’échelle mondiale reste un projet pour lequel l’Onu constitue une référence centrale. Cependant, Thomas G. Weiss n’est pas naïf et c’est un regard critique qu’il porte sur cette organisation internationale. Au-delà de l’influence que celle-ci a eu, la question est bien celle de l’influence qu’elle aurait pu avoir davantage si l’institution fonctionnait mieux et était plus indépendante des États.

Pour terminer ce dossier, Chloé Maurel dresse un panorama des « récents développements en histoire globale dans le monde ». Sans surprise, la confusion demeure entre histoire mondiale et histoire globale, considérées comme équivalentes. Plusieurs objets transnationaux sont listés comme autant de problématiques possibles : les maladies, la faim et la famine, les maladies, les océans, les contacts entre aires de civilisation, les migrations, le fait colonial… On ne reprendra pas ici la liste des œuvres citées. La fragmentation de l’histoire globale nous ramène à la question de ce qu’elle est. On l’avait souligné ailleurs : l’histoire globale ne peut pas avoir pour unique visée la production d’histoires à l’échelle du globe, elle est aussi une perspective géohistorique donnée à de multiples travaux obéissant à d’autres logiques. Les interactions entre les deux démarches sont potentiellement très riches et c’est ce à quoi appelle Chloé Maurel en prenant deux exemples : l’histoire comparée d’une part, l’histoire sociale d’autre part. Cependant, cet enrichissement ne pourra fonctionner que si le cadre théorique et épistémologique de l’histoire globale est clarifié. Les concepts ne sont des passerelles que s’ils sont définis. Celui de Monde reste malheureusement encore trop souvent flou et incertain.

La France à l’heure du monde

Ludivine Bantigny, 2013, La France à l’heure du monde. De 1981 à nos jours, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique ».

La France à l'heure du monde

L’ouvrage de Ludivine Bantigny se lit avec plaisir. L’écriture est leste, riche d’assonances et d’échos intertextuels, et l’auteure joue avec la mémoire vive du lecteur. La période couverte est relativement courte, trente ans, un peu plus, mais par l’ensemble des aspects abordés, ce travail est une somme très riche sur la France du temps récent – au risque peut-être d’un effet kaléidoscopique et de chatoiements stylistiques. Nombre de paragraphes susciteront autant de satisfaction que de frustration. On voudrait souvent en savoir plus. Cependant, on appréciera la diversité des recherches sollicitées, géographiques, sociologiques, anthropologiques, économiques… La nature « totalitaire » de l’histoire, comme le disait Fernand Braudel, est manifeste. Néanmoins toutes ces réflexions sont mobilisées par une historienne qui entend bien mettre le temps au centre de son analyse, ce qui n’est pas si banal, et plus encore s’interroger sur la maîtrise du temps : « qui donne l’heure » (p. 11). Mais ce temps est essentiellement pris dans sa dimension diachronique, dans son écoulement. La problématique axiale est celle du changement, même si ce n’est pas toujours celui promis par les politiques. Au lecteur de suivre les enchevêtrements de ces histoires parallèles de la France et de saisir la toile du Monde qui y est tissée en filigrane.

Il ne s’agira pas ici de faire un compte-rendu complet de cet ouvrage (on renverra par exemple à l’excellent billet d’Éric Fournier dans les Carnets d’Aggiornamento ou encore à celui de Vincent Chambarlhac et de Jean-Paul Salles dans la revue Dissidences), mais d’en proposer une lecture au regard de l’histoire globale. Involontairement, « l’heure du monde » entre en résonance avec le titre du livre de Serge Gruzinski, Quelle heure est-il là-bas ?, et d’une certaine manière, c’est bien la question que pose Bantigny : l’heure d’ici est-elle l’heure d’ailleurs ? Avec la synchronisation des sociétés du Monde, corrélative au processus de mondialisation, la contemporanéité globale s’inscrit de toute évidence comme une problématique centrale de la recherche historique d’un présent qui est aussi devenu une coprésence.

La première critique qu’on pourra adresser au texte de Bantigny est la difficulté à poser la notion même de mondialisation. Certes, en introduction, elle évoque succinctement le débat sur l’ancienneté du processus, opposant de façon assez étonnante des géographes qui seraient des historiens de la longue durée (sans doute Christian Grataloup, quoiqu’il ne soit ni cité ni référencé) et des anthropologues qui feraient de la mondialisation une expérience inédite (Marc Abélès probablement), mais sans parler d’histoire globale – signe indubitable au demeurant des difficultés de ce courant historiographique à pénétrer la recherche française et l’université. Au fil de l’ouvrage, les acceptions se multiplient et l’auteure ne parvient pas totalement à trancher. Toutefois, soyons honnête, cette confusion n’est pas propre à Bantigny. L’éclaircissement apporté par Cynthia Ghorra-Gobin aurait été bien utile entre :

1. la globalisation, qui correspondrait assez classiquement à l’expansion du capitalisme, à sa financiarisation et à sa transnationalisation ;

2. la mondialisation, qui désignerait l’émergence d’une nouvelle échelle, corollaire de l’interconnexion croissante des lieux ;

3. et la planétarisation, qui serait la prise de conscience de la planète Terre comme écosystème fini [1].

Quelles relations internationales dans un monde global ?

Dans la première partie de l’ouvrage, consacrée à l’histoire politique, le propos est sobre et sans ambiguïté : « Que peut vraiment une nation dont la surface s’étend  sur moins de 1 % du globe, dont la population n’atteint pas même 0,5 % du total mondial et dont les moyens militaires ne lui permettent pas de rivaliser avec les “Grands” [p. 221] ? » La France n’est plus qu’une puissance moyenne et Bantigny montre bien les hésitations et les errements des gouvernements successifs pour maintenir une certaine autonomie de la France à l’intérieur d’un bloc occidental informel qui la maintient à sa place dans le Monde. De ce point de vue, l’Afrique reste le terrain d’hégémonie de la France, comme le rappellent encore une fois les dernières interventions militaires au Mali et en Centrafrique décidées par le président François Hollande. Mais pour traiter l’inéluctabilité d’un tel déclassement, le cadre imposé des trente dernières années ne permet pas d’aborder le processus de mondialisation dont dès le 19e siècle certains auteurs ont annoncé qu’il entraînerait un polycentrisme croissant. « L’heure du monde est aussi celle de nouveaux pivots » [p. 254] écrit Bantigny. « À l’ère de la politique européenne, a pour jamais succédé l’ère de la politique “mondiale” » écrivait Anatole Leroy-Beaulieu en 1901. Quelle est aujourd’hui la place de la douleur causée par la perte du rang dans la culture politique française ? Quelle est la légitimité d’« une puissance mondiale à vocation et ambition mondiales » [p. 254] ?

Quelle politique face à une économie globalisée ?

Dans un chapitre consacré à la domination et aux contestations du « néolibéralisme » (les guillemets sont de l’auteure), Bantigny remarque qu’« au début des années 1980, les expressions de “globalisation” et de “mondialisation” n’ont pas encore cours ; mais les processus économiques qui en constituent les contours s’imposent déjà en pratique » [p. 167]. Le lien entre mondialisation et néolibéralisme est donc prégnant et l’erreur d’optique est habituelle. S’il est vrai que le mot « globalisation », issu de l’anglais globalization, ne se diffuse massivement en France qu’à partir des années 1990, le mot « mondialisation », apparu pendant la Première Guerre mondiale, est usité, certes rarement, mais de plus en plus régulièrement depuis la fin des années 1940. Rappelons ainsi qu’en 1983, la notion est inscrite dans les programmes de géographie de classe de terminale et qu’elle est présente dans les manuels. Le rectificatif – « la mondialisation diffère de la seule “globalisation” entendue comme extension du marché et des réseaux de communication […] ; elle se fait transnationale par ses nouvelles mobilités et ses cultures partagées » (p. 449) – ne suffit pas à lever une certain ambiguïté. L’angle d’attaque de Bantigny, qui fait de son ouvrage une histoire critique, est celui de la politique :

« Si les États ne sont pas, loin s’en faut, les seules instances de décision, ils conservent leurs monopoles et leur autorité. Et si l’État, au cœur du “néo-libéralisme”, se démet de certaines prérogatives, il garde l’initiative, même pour organiser le marché. » [p. 9]

Le titre s’explicite ainsi par une citation de Pierre Bérégovoy lorsque celui-ci affirme dans une interview d’avril 1985 qu’il est temps de « mettre nos montres à l’heure », i.e. à l’heure du marché mondial.

« En France, le dirigisme est de droite.

Les socialistes ont à réfléchir là-dessus. Dans une économie où l’État dispose de puissants moyens d’orientation, avec la fiscalité, le budget, le plan, le secteur public, il faut laisser le marché jouer pleinement son rôle. Le marché n’est ni de gauche ni de droite. Il a une fonction d’échange qui est à restaurer. Le socialisme, c’est la liberté, sur ce terrain aussi, à condition que l’on n’oublie pas que la vraie liberté exige solidarité et égalité des chances. »[2]

Pascal Lamy n’est cité que pour son appréciation critique, mais tardive, du marché, moins pour son rôle à la tête de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013, alors même qu’il est membre du Parti socialiste français depuis longtemps. Le fait aurait pourtant pu être souligné pour montrer à quel point ce parti s’est mis à l’heure du capitalisme mondial et a délaissé le vieil internationalisme ouvrier, qui a été un mondialisme.

Cependant, la critique de la politique économique est affaiblie par une analyse économique dispersée. Dans un tout autre chapitre, à propos d’une mondialisation de l’agriculture juste évoquée, la reterritorialisation de la production entamée par certains agriculteurs au profit de la qualité et de circuits courts est présentée comme un modèle de résistance au système productif global. Mais pourquoi ne pas avoir accordé plus de place à la désindustrialisation ?

Quel m/Monde ?

Au-delà de la seule notion de « mondialisation », dont on reconnaîtra qu’elle n’est pas simple, celle de « monde » est elle-aussi utilisée de façon très versatile. On le sait, le mot renvoie à deux sens distincts : soit l’ensemble de ce qui est (ce qui peut être plus ou moins vaste selon la focale, du proche à l’universel), soit l’ensemble de ce qui est sur la terre. Cette ambiguïté a conduit les géographes français, à la suite d’Olivier Dollfus, à mettre une majuscule à Monde lorsqu’ils désignent l’espace global tel qu’il a été unifié par le processus de mondialisation. Ce qui a bien des avantages. Dans son texte, en revanche, Bantigny multiplie les expressions où « le monde » n’est pas « le Monde », alors même que c’est bien ce dernier qu’elle a placé en titre. Un certain nombre de sous-titres par exemple, « Le monde à bras-le-corps », « La conscience du monde », ne renvoient nullement au Monde et déroutent le lecteur qui chercherait précisément des réflexions sur la conscience du Monde – problématique qui vient par ailleurs de faire l’objet d’une habilitation à diriger les recherches par Clarisse Didelon-Loiseau, elle aussi maîtresse de conférences à Rouen, mais en géographie (Le Monde comme territoire, 2013).

Erreur bénigne, Bantigny attribue à Hervé Le Bras l’image du Monde comme « village » (1992) quand elle est répétée régulièrement depuis son emploi par Marshall McLuhan dans The Medium is the Message en 1967.

Quelle conscience planétaire ?

Pareillement, la notion d’« imaginaire planétaire » est assez malmenée. Ce qu’on ne reprochera pas à Bantigny tant la confusion entre planétaire, mondial et global est généralisée et peut-être inextricable. Cependant, il est bien clair que la quatrième partie du livre, dont c’est le titre, ne parle qu’assez peu de la conscience planétaire ou même de l’imaginaire mondial. Qu’en est-il de la planétarisation en France ?

L’histoire des Verts (p. 115 sq.) est traitée dans l’histoire politique. Ailleurs, dans la partie plus sociologique, aucune mention n’est faite de Nicolas Hulot, de son émission Ushuaïa Nature, diffusée de 1998 à 2011, et de son implication lors de l’élection présidentielle de 2007 ; ni de Yann Arthus-Bertrand, dont l’œuvre photographique « La Terre vue du ciel », réalisée en 1994 en partenariat avec l’Unesco, a eu un incontestable succès, en France et ailleurs dans le Monde : le livre, traduit en une vingtaine de langues, a été vendu à plus de trois millions d’exemplaires et l’exposition gratuite de grands panneaux photographiques, inaugurée sur les grilles du jardin du Luxembourg en 2000, a fait le tour du Monde – j’ai pour souvenir d’avoir vu ces grands panneaux accrochés dans la rue au pied de la citadelle d’Alep, à l’époque où la Syrie était en paix. L’un et l’autre ont indéniablement contribué à diffuser une sensibilité à l’environnement planétaire, et à connecter l’opinion française à l’opinion internationale. Cela aurait permis de compléter les réflexions inspirées par l’ouvrage d’Edgar Morin, Terre-patrie, paru pour la première édition en 1993, et cité implicitement à propos de la prise de conscience planétaire [p. 359].

Quelle transnationalité ?

La dimension transnationale est également peu explorée, quoique évoquée en conclusion. Exemple parmi d’autres, lorsque l’auteure aborde la question du foulard, hormis quelques références à la révolution iranienne et à la fatwa lancée contre Salman Rushdie, la contextualisation reste maigre. L’auteure donne peut-être une clef de la peur, mais pas une explication d’un phénomène complexe qu’on retrouve dans les pays voisins (en Belgique, en Allemagne…) et ailleurs dans le monde (en Turquie, en Tunisie…).

Parmi les pratiques du quotidien, la cuisine est également rapidement faite alors que l’évolution des modes alimentaires s’inscrit pleinement dans le processus de mondialisation. On aurait pu trouver davantage de réflexions sur le développement des vendeurs de kebab ou des restaurants japonisants, et inversement sur l’exportation de la gastronomie française. « À quelle heure mange-t-on en France ? » soulève la question de la persistance d’une culture nationale et aux limites de la synchronisation globale. Le repas à la française a été récemment classé au patrimoine mondial de l’humanité (cf. un récent article dans le journal Le Monde).

L’« exception culturelle », évoquée mais non traitée, aurait pu constituer un axe d’analyse plus conséquent. Apparue en 1993 à l’occasion d’un nouveau cycle de négociations du Gatt, la notion n’a depuis cessé d’être brandie pour défendre la production d’œuvres culturelles françaises contre un libéralisme qui réduirait la culture à une simple marchandise comme les autres et qui entraînerait un recul de la culture française face à la culture états-unienne.

Quelle histoire-Monde ?

On trouve au terme de l’ouvrage un très court chapitre de conclusion assez étonnamment intitulé « L’histoire faite monde » – n’était-ce donc pas là l’enjeu même du livre en son entier ? Il y est rapidement question d’hybridations culturelles. Or, si on reste dans ce domaine, où on sent bien les choix personnels de l’auteure, l’absence d’Édouard Glissant peut surprendre. En créant en 1997 la notion de « Tout-monde », il proposait un dépassement de la créolité vers la mondialité, cet état d’interpénétration des identités et des cultures.

Présentation de la notion glissantienne de « Tout-monde » par Patrick Chamoiseau (RFO, 1998) – http://www.edouardglissant.fr/toutmonde.html

Même si l’analyse d’Édouard Glissant est discutable, la créolisation aurait pu être une problématique intéressante pour interroger « la France à l’heure du monde ».

Global Islands – An ongoing discussion with Édouard Glissant (réal. Cecila Tripp, New York, 2004)

« Ce qu’il faut voir aujourd’hui, c’est que les périphéries, au fond, qui sont les endroits faibles du point de vue de la puissance, économique, politique, militaire, social, etc., sont de plus en plus des endroits forts du point de vue de l’imaginaire, du point de vue de la conception du monde, du point de vue du vécu du monde, du point de vue de l’emploi des langues. »

Enfin, une question, fondamentale, reste en suspens : pourquoi la France s’enfonce-t-elle dans la peur du Monde ?

Post-scriptum. Terminons par une critique plus personnelle. Malgré une prolepse : « la figure géométrique de l’“Hexagone” laisserait à tort oublier les terres lointaines que la France s’est octroyée et qui, bien de France, sont des territoires contestés » [p. 338], l’outre-mer n’occupe que très peu de place dans cette histoire de la France. L’île de Mayotte, placée « au milieu de l’océan Indien », est présentée comme un « bout du monde » où l’isolement s’ajouterait à l’enclavement. Pourtant, située au milieu du canal du Mozambique, entre Afrique et Madagascar, Mayotte n’est séparée que de 70 kilomètres d’Anjouan, l’île comorienne la plus proche, à portée de kwassa-kwassa, ces embarcations utilisées par les passeurs pour amener des milliers de clandestins sur une île qui est une promesse de mieux-vivre. De façon générale, l’anecdotique (le « jardinage » à La Réunion…) l’emporte sur l’analyse de fond et sur les homologies qu’on aurait pu signaler entre outre-mer et métropole : la périurbanisation, le tout-automobile, et inversement les questions de la densification du bâti, du développement des transports en commun, de la création de parcs nationaux et de réserves, parfois perçus comme une forme de néo-colonisation écologique.


[1] Cynthia Ghorra-Gobin (dir.), 2012, Dictionnaire critique de la mondialisation, Paris, Armand Colin (rééd. revue et augmentée de l’éd. de 2006).

[2] « Pierre Bérégovoy répond à Raymond Barre. Un entretien avec le ministre de l’Économie et des Finances », propos recueillis par Jacques Mornand et Roger Priouret, Le Nouvel Observateur, 5 avril 1985, pp. 26-27. Remarque en passant, on aurait souhaité que les citations et les références de l’ouvrage soient données avec précision.