Le Japon, un modèle pour le monde musulman ?

Le 28 novembre 1924, Sun Yat-Sen prononça à l’École normale des filles de Kobé, au Japon, un discours sur l’avenir de la Chine, dans lequel il présentait le Japon comme le modèle à suivre. En cela, on retrouve des réflexions déjà évoquées, mais au lieu de la crainte de déclin de l’Europe, c’est évidemment l’émergence de l’Asie qui est ici célébrée.

« Nous nous sentions si pauvres et si faibles, en face de l’Europe si riche et si forte !… Alors nous vîmes monter l’astre du Japon, et avec quelle splendeur ! » [1]

Aux yeux de Sun Yat-Sen, un événement marque cette montée en puissance du Japon : la victoire contre les Russes en 1905.

« Le Japon battit la Russie. Les Japonais triomphèrent des Russes !… Les Européens n’étaient donc pas invincibles ! … Le fracas de cet écroulement retentit dans toute l’Asie. Tous les peuples d’Orient relevèrent la tête, et un immense enthousiasme les saisit… » [2]

Et pour convaincre son auditoire de la portée internationale de cette victoire auprès des peuples colonisés, il en vient à raconter quelques souvenirs :

« J’étais en Europe, quand le télégraphe y apporta la nouvelle de la complète destruction de l’escadre russe par l’amiral japonais Togo. Ce fut pour l’Europe entière un coup terrible, comme un deuil de famille. Même en Angleterre, pays alors allié au Japon, les sages hochèrent la tête et froncèrent les sourcils. C’est que la race blanche tout entière perdait la “face”. Or, dit le proverbe anglais : “blood is thicker than water” (les liens du sang priment tout). Par contre, le prestige de la race jaune s’accrut considérablement. J’en eus la preuve quand, revenant en Chine, à Suez des Arabes m’ayant pris pour un Japonais, me firent une ovation. “Tes compatriotes, criaient-ils, viennent de couler une flotte russe, que nous avons vu passer par ce canal. Ce sont de fiers gens ! Nous aussi nous sommes des Orientaux opprimés par les Occidentaux. La victoire des Japonais est la nôtre !” L’enthousiasme de ces gens et à l’autre bout du continent asiatique, était indescriptible. L’oppression commune avait fait de ces Arabes, des frères des Japonais… » [3]

Le récit est en soi anecdotique, mais il pose une intéressante question d’histoire connectée contemporaine sur la mise en connexion du Japon et du monde musulman au début du 20e siècle, et d’histoire globale sur les résistances à l’hégémonie européenne dans un contexte de mondialisation croissante.

Dès 1906, Fernand Farjenel, professeur au Collège libre de sciences sociales, rédigea dans le premier numéro de la Revue du monde musulman, une synthèse sur cet émoi qui traversa une partie de l’Eufrasie :

« Le triomphe du Japon a fait passer à travers toute l’Asie comme un frisson de réveil, qui s’est étendu jusqu’à l’Afrique, et en Europe à l’empire turc. La Chine et ses pays jadis tributaires, l’Inde, la Perse, l’Égypte, une partie du nord de l’Afrique, sont remués jusque dans leurs profondeurs par un besoin de progrès et surtout par le désir de devenir forts, de conquérir la puissance qui se fait respecter et permet au besoin d’imposer sa volonté à autrui. C’est peut-être en pays musulman que ce sentiment s’est propagé avec le plus de force. » [4]

Analysant la presse arabe et persane, il citait plusieurs exemples de l’écho de la victoire japonaise.

« Désireuse, dit un important journal persan, le Habl oul-Matîn de Calcutta, de devenir aussi puissante que le Japon et de sauvegarder son indépendance nationale, la Perse doit faire cause commune avec lui. Une alliance devient nécessaire. Il faut un ambassadeur du Japon à Téhéran. Pour réorganiser l’armée, on devra prendre des instructeurs japonais de préférence à ceux de toute autre nation. II faut aussi développer les relations commerciales des deux pays. Pour la création de banques, chose nécessaire, on pourra aussi s’adresser au Japon, quoique le concours des Parsis de l’Inde, hommes riches et rompus aux affaires financières, puisse être également précieux. » [5]

Élargissant l’horizon, Fernand Farjenel faisait aussi référence à Abdullah Quilliam, citoyen britannique né William H. Quilliam (1856-1932), converti à l’islam. Fondateur à Liverpool, en 1889, de la première mosquée de Grande-Bretagne, il fut investi en 1894 par le sultan Abdülhamid II « sheikh ul-islam des îles Britanniques ». Or, en 1906, il prononça une conférence au Cercle musulman de Liverpool sur les religions du Japon et le moyen de convertir ce pays à l’islam.

Crescent_1907Fig. 1. Première page du Crescent, revue créée par Abdullah Quilliam, annonçant la parution d’un livre sur le même thème, 1907

Cependant, Fernand Farjenel restait sceptique :

« Toutes ces espérances des musulmans sont des plus symptomatiques. Elles soulèvent une grande question, qui demeure pour le présent encore voilée d’une sorte d’obscurité. Le fait positif qu’elles font ressortir, c’est le réveil actuel de l’Islam, comme conséquence des victoires Japonaises, puis la naissance et le développement d’une forte poussée de l’opinion publique musulmane dans le sens d’une alliance entre l’Islam et le Japon. Elles nous permettent de constater, par les sympathies qu’elles semblent trouver auprès des Japonais, l’attention consacrée par l’empire du Mikado aux pays musulmans. Mais, là où on pouvait s’attendre à un coup de théâtre, on assiste seulement à un prologue encore vague qui promet tout sans rien engager. Il ne faut pas s’étonner beaucoup qu’il en soit ainsi, pour commencer. » [6]

Mais on aurait tort de s’arrêter à une « géopolitique de l’émotion ». Dès les années 1870, des relations diplomatiques avaient commencé à se nouer entre le Japon et l’Empire ottoman et dans les années qui suivirent la victoire japonaise, on observe le développement d’une connexion entre les tenants du panasiatisme et ceux du panislamisme. En l’absence de travail universitaire français sur la question, il n’est peut-être pas inutile de citer quelques acteurs de ces réseaux transnationaux.

Mustafa Kamil (1874-1908)

Nationaliste égyptien, après des études en France, il prit la tête du Parti national (Hizb al-Watani), créé en 1893, et en 1900 fonda le journal al-Liwa’. En 1904, dans al-chams al-muchriqa (« Le Soleil levant »), Mustafa Kamil dit sa déception à l’égard des Européens et son admiration pour la nouvelle puissance émergente :

« Si les Européens avaient été sincères dans leur propagande lorsqu’ils disaient qu’ils voulaient civiliser tout le genre humain et qu’ils étaient seulement entrées dans les pays pour prendre les peuples entre leurs mains afin de les mettre sur la voie de la civilisation, alors, ils auraient été contents dans leur attente du progrès de la race jaune et de son développement, et ils auraient reconnu le Japon comme le plus grand des facteurs de civilisation. Cependant, la vraie réalité est que la rivalité reste la règle générale de l’humanité. Il est dit que chacun œuvre à la déception et au désavantage de son adversaire. Les Européens ne souhaitent pas le progrès des Orientaux et les Orientaux ne désirent pas la permanence de l’hégémonie européenne. » [7]

Ce qui frappa Mustafa Kamil était le renversement opéré par le Japon :

« Nous sommes fascinés par le Japon car c’est le premier gouvernement oriental à utiliser la civilisation occidentale pour résister à l’impérialisme européen en Asie. » [8]

De façon plus anecdotique, Michel Laffan cite également l’écrivain égyptien Mustafa Lutfi al-Manfalûti (1876-1924), qui, dans une de ses nouvelles, raconte comment un coiffeur, emporté par une discussion sur la progression du Japon dans sa guerre contre la Russie, en vient par inadvertance à tailler une carte du Japon dans les cheveux de son client.

Abdürreşid Ibrahim (1853-1944)

Tatar, autrement dit musulman de Russie, il se rendit pour la première fois au Japon en 1908, où il séjourna plusieurs mois et fit alliance avec la société secrète du Dragon noir (Kokuryūkai). Là-bas, se trouvaient plusieurs activistes exilés pour leur opposition à la colonisation britannique, notamment l’officier égyptien Ahmad Fadzil et l’Indien Mohammed Barakatullah, qui enseignait l’ourdou à l’université de Tōkyō. Tous les trois participèrent à un journal en anglais, The Islamic Fraternity, qui défendait le rapprochement du panislamisme et du panasiatisme. En 1909, il participa à la fondation de l’Ajia Gikai (« Société de la renaissance asiatique »), qui diffusa la propagande japonaise dans le monde musulman. Abdürreşid Ibrahim traduisit également l’ouvrage de Hasan Hatano Uho, Asia in danger. Puis il revint à Istanbul avec l’aide de la Kokuryūkai, en rendant visite sur le chemin du retour aux communautés musulmanes des colonies britanniques et hollandaises. À Bombay, il rencontra Omar Yamaoka, un membre de la Kokuryūkai converti à l’islam ; ils firent le pèlerinage ensemble à La Mecque. À Istanbul, en 1910-1911, Abdürreşid Ibrahim publia Alem-i Islam ve Japonya’da Intisari Islamiyet (« Le Monde de l’islam et la diffusion de l’islam au Japon »). Il y détaillait les raisons d’un rapprochement entre panislamisme et panasiatisme, tout en argumentant en faveur de la nécessité de convertir le Japon à l’islam afin que celui-ci aide les musulmans à se libérer de l’Occident. Il montrait aussi en quoi le Japon pouvait aider l’Islam à se moderniser.

Omar Kōtarō Yamaoka (1880-1959)

Après des études de russe à l’université de Tōkyō, il s’engagea en faveur du panasiatisme et devint membre de la Kokuryūkai. Considéré comme « aventurier continental » (tairiku rōnin), il se fit le promoteurs du panasiatisme en voyageant, ce qui l’amena en Inde où il rencontra Abdürreşid Ibrahim. Après La Mecque, il poursuivit son voyage à Damas, Beyrouth et Istanbul, puis s’en retourna au Japon où il publia un récit de son expérience, Arabia jūdanki. En France, en 1911, Lucien Bouvat évoquait ainsi ses activités.

« La Société de propagande musulmane au Japon a adressé au Mechyakhat une lettre, rédigée en français, dont les journaux de Constantinople ont publié la traduction. Dans cette lettre, des nouvelles sont données de Hâdjî ‘Omar Yamaoka Efendi, cet officier japonais converti à l’Islam qui, après un voyage à Constantinople, a fait le pèlerinage des Villes saintes. Il est rentré dans son pays, par la Sibérie, non sans avoir eu bien des difficultés à surmonter, et a remis à la Société des rapports sur ses voyages. Au Japon, la propagande musulmane se heurte à de grands obstacles. Les. religions dominantes, fortes du nombre de leurs adhérents et vingt fois séculaires, opposeront une résistance sérieuse. Beaucoup de préventions existent contre l’Islam, dont on se fait une idée d’autant plus défavorable, qu’on le connaît moins. Les nouveaux convertis sont en butte à l’hostilité de leurs familles et de leurs relations ; on fait tout pour qu’ils abandonnent la religion musulmane, dont les Chrétiens japonais seraient, paraitrait-il, les ennemis les plus résolus.

Malgré tout, la Société a confiance dans l’avenir, et ne se laissera pas décourager par ces obstacles. Elle se propose, avec l’aide des Musulmans, de poursuivre son œuvre de la manière suivante :

1° En fondant, partout où elle le pourra, des mosquées et des écoles ;

2° En faisant venir des professeurs, pour instruire les jeunes gens, dont on fera de bons Musulmans ;

3° En réunissant les sommes nécessaires à une propagande active.

Hâdjî ‘Omar Yamaoka Efendi a, lui-même, abordé ces questions dans une lettre adressée au Té‘âruf-i Muslimîn. De retour dans sa patrie, il désire voir des·rapports de plus en plus étroits s’établir entre la Turquie et le Japon. Et, pour propager l’Islam, la première chose à faire sera d’amener au Japon des ulémas, auxquels on assurera le nécessaire. » [9]

Omar Yamaoka défendait notamment une « politique musulmane » (kaikyō seisaku). Cependant, ses arguments restent ceux du panasiatisme et ne cachent pas son impérialisme. Son expérience en Arabie rappelle celle de Lawrence dont l’admiration pour les Arabes servit l’Empire britannique durant la Première Guerre mondiale [Esenbel 2012]

Hatano Uho (1882-1936)

Ancien étudiant de la Tōa Dōbun Shoin de Shanghai, dont le but était de développer le partenariat entre le Japon et la Chine, Hatano Uho développa une vision globale des relations internationales et imagina une union de tous les pays d’Asie, à commencer par un rapprochement du Japon et de l’Empire ottoman :

« L’union du Japon et de l’Empire ottoman a plus d’importance qu’une union avec la Chine. Car le Japon et les Ottomans sont comme deux citadelles à chaque extrémité de l’Asie. Si ces deux États parvenaient à conclure une véritable alliance, ils pourraient empêche tout type d’activité européenne en Asie, au lieu de la situation actuelle dans laquelle se trouvent les Ottomans, considérés par les Européens dans une position d’infériorité. » [10]

Comme l’écrit Renée Worringer, « lui et les autres activistes asiatiques révèlent un moment particulier dans l’histoire de la politique mondiale : ils forment un collectif de résistance internationale anti-occidentale originaire de différents lieux d’Asie, dont plusieurs convergèrent au Japon et dont tous avaient en tête une nouvelle vision du monde qui nécessitait que les Asiatiques et les musulmans laissent de côte leurs différences et se soutiennent les uns les autres dans l’intérêt de résister au colonialisme et de forger leurs propres destinées. » [11]

Le paradoxe évident de cette situation est que la politique japonaise est elle aussi impérialiste. En 1937, Georges Hardy considérait le Japon comme une puissance coloniale en concurrence avec les puissances occidentales :

« Il n’est pas douteux que l’impérialisme territorial du Japon ait choisi pour domaine tout le Pacifique et une grande partie de l’Asie orientale. Il ne craint pas, au reste, de publier ses desseins, de s’affirmer dans le cadre d’une “doctrine de Monroë asiatique”, définie en mainte rencontre par ses hommes d’État les plus en vue. » [12]

Bibliographie

Esenbel S., 2004, « Japan’s Global Claim to Asia and the World of Islam: Transnational Nationalism and World Power, 1900-1945 », The American Historical Review, Vol. 109, N° 4, pp. 1140-1170.

Esenbel S., 2000, « Japanese Interest in the Ottoman Empire », in Edstrom B. (éd), The Japanese and Europe: Images and Perceptions, Oxon, RoutledgeCurzon

Farjenel F., 1906, « Le Japon et l’islam », Revue du monde musulman, Vol. I, pp. 101-114.

Laffan M., 1999, « Mustafa and the Mikado: A Francophile Egyptian’s turn to Meiji Japan », Japanese Studies, Vol. 19, n° 3, pp. 269-286.

Misawa N., 2009, « The Influence of the Ottoman Print Media in Japan: the Linkage of Intellectuals in the Eurasian World », Kyoto Bulletin of Islamic Area Studies, n° 2, pp. 36-42.

Worringer R., 2011, « Hatano Uho : Asia in Danger, 1912 », in Sven Saaler & Christopher W.A. Szpilman (éd.), Pan-asiatism. A Documentary History, Vol. I, 1850-1920, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, pp. 149-160.

Worringer R., 2014, Ottoman Imaging Japan. East, Middle East, and Non-Western Modernity at the Turn of the Twentieth Century, New York, Palgrave Macmillan.

Notes

[1] Discours prononcé par Sun Yat-Sen à Kobé, à l’École normale des filles, le 28 novembre 1924, traduit par Léon Wiegler dans La Chine moderne, vol. 6, Le Feu aux poudres, Paris, 1925, et cité dans le journal La Croix du 17 juin 1927.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Fernand Farjenel, 1906, « Le Japon et l’islam », Revue du monde musulman, Vol. I, p. 101.

[5] Habl oul-Matîn, 6 juin 1906, cite par Farjenel, p. 102-103.

[6] Ibid. p. 114.

[7] Mustafa Kamil, 1904, al-chams al-muchriqa, Le Caire, Matba’at al-Liwa’, p. 22, cité et trad. en anglais in Laffan, 1999.

[8] cité par Renée Worringer, 2014, Ottoman Imaging Japan. East, Middle East, and Non-Western Modernity at the Turn of the Twentieth Century, New York, Palgrave Macmillan, p. 59.

[9] Lucien Bouvat, 1911, in Revue du monde musulman, p. 578.

[10] Hatano Uho, 1912, Asia in Danger, cité par Renée Worringer, 2011.

[11] Renée Worringer, 2011, « Hatano Uho : Asia in Danger, 1912 », in Sven Saaler & Christopher W.A. Szpilman (éd.), Pan-asiatism. A Documentary History, Vol. I, 1850-1920, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, p. 151.

[12] Georges Hardy, 1937, La Politique coloniale et le partage de la terre aux XIXe et XXe siècles, Paris, Albin Michel.

1432, les Chinois aux portes de la Très Grande Méditerranée

Les grandes navigations chinoises du premier tiers du 15e siècle sont sans doute un lieu commun de l’histoire globale. Elles n’en sont pas moins un fait majeur qui a le paradoxe de constituer un non-événement. Cependant, je préfère le souligner d’emblée et l’assumer, les interprétations qui suivent ne sont que de frêles esquisses dont l’erreur n’est pas forcément absente. L’histoire globale est aussi cela : une recherche à venir et un projet d’écriture permettant de nouer des archives éparses d’horizons divers.

On le sait, les documents chinois sur les sept grandes expéditions menées par l’eunuque Zheng He entre 1405 et 1433 manquent suite à la destruction d’une grande partie des archives les concernant. Il demeure cependant quelques textes, dont celui de Ma Huan (ca. 1380-1430), le Ying-yai Sheng-lan (L’Étude globale des rivages des océans). Ma Huan participa à plusieurs de ces expéditions, notamment la dernière, et fit partie de ceux qui en 1432 visitèrent La Mecque, point ultime de ces voyages.

Voici, partiellement, ce qu’il écrit à propos du pays de La Mecque :

« Mettant les voiles à partir du pays de Ku-li [Calicut], vous allez vers le sud-ouest ‒ le point shen sur le compas ; les bateaux voyagent durant trois lunes, et atteignent alors l’embarcadère de ce pays. Le nom étranger pour celui-ci est Chih-ta [Jedda] ; il y a un grand chef qui le contrôle. De Chih-ta vous allez vers l’ouest [en réalité vers l’est], et après un jour de voyage, vous atteignez la ville où les rois résident ; cette capitale est appelée Mo-chieh [La Mecque].

Ils professent la religion musulmane. Un saint homme exposa et répandit cette loi en l’enseignant à travers le pays, et jusqu’à aujourd’hui, les gens de ce pays observent tous les règles de cette loi dans leurs actes, sans jamais commettre la moindre transgression.

Les gens de ce pays sont vigoureux et de belle apparence, leurs membres et leurs visages sont de couleur violet très foncé.

Les hommes coiffent leurs têtes d’un turban ; ils portent de longs vêtements ; à leurs pieds, ils mettent des chaussures de cuir. Les femmes portent toutes un voile sur leurs têtes, et vous ne pouvez pas voir leurs visages.

Ils parlent la langue A-la-pi [arabe]. La loi de ce pays interdit de boire du vin. Les mœurs de ces gens sont pacifiques et admirables. Il n’y a pas de familles misérables. Ils observent tous les préceptes de leur religion, et les contrevenants sont peu nombreux. En vérité, c’est un pays très heureux.

Pour les rites du mariage comme pour ceux des funérailles, tous les conduisent en accord avec les règles de leur religion.

Si vous voyagez d’ici pendant environ la moitié d’un jour, vous arrivez à la mosquée de la salle céleste ; le nom étranger pour cette salle est K’ai-a-pai [Kaaba].

[…]

En la cinquième année du règne de Hsuän-te [1430], un ordre de la cour impériale fut reçu enjoignant le grand eunuque Cheng Ho et d’autres de gagner tous les pays étrangers pour y lire les décrets impériaux et accorder des récompenses.

Lorsque une partie de la flotte atteignit le pays de Ku-li, le grand eunuque Hung vit que ce pays envoyait des hommes pour voyager jusqu’ici ; sur ce, il choisit un interprète et d’autres personnes, sept hommes en tout, et les envoya avec un chargement de musque, d’objets en porcelaine, et d’autres choses ; ils joignirent un bateau de ce pays et partirent là-bas. Cela leur prit un an d’aller et revenir.

Le roi du pays de Mo-chi’eh dépêcha également des envoyés qui portèrent quelques articles locaux, accompagnèrent les sept hommes, dont l’interprète, qui avaient été envoyés là-bas, et présentèrent les objets à la cour. »[1]

Le texte comprend donc deux parties : d’abord, un résumé assez général des mœurs locales, fortement liées à l’islam ; ensuite, un bref récit de son propre voyage à La Mecque, alors qu’il accompagnait Zheng He lors la septième grande expédition chinoise vers les « mers occidentales » (1431-1433).

Face à ce témoignage, il existe des documents arabes, dont la recension reste cependant à faire. Je n’en citerai qu’un, trouvé dans un ouvrage de l’historien égyptien Ahmad al-Maqrīzī (1364-1442) :

« L’an 835 [1431/1432], plusieurs jonques chinoises étant venues trafiquer sur les côtes de l’Inde, deux d’entre elles chargées de porcelaine, de soie, de musc et autres objets de prix, se détachèrent des autres, et allèrent aborder au port d’Aden. Mais n’ayant pas pu trouver à y vendre leurs marchandises, à cause de l’état malheureux où le Yémen se trouvait à cette époque, le commandant des deux jonques écrivit au shérif Aboul-berekat Ibn Hasan, émir de La Mecque, et à Saad-ed-Din Ibrahim, inspecteur de Djiddah, leur demandant une autorisation pour venir débarquer au port de cette ville. Les deux officiers ayant consulté le sultan, et lui ayant représenté que le commerce avec les Chinois lui procurerait une branche de revenus considérable, il ordonna de leur accorder la permission qu’ils avaient demandée, et de les recevoir avec toutes sortes d’honneurs. »[2]

Ces jonques, dont l’arrivée est présentée ici comme accidentelle, font-elles partie de la septième et dernière expédition de l’amiral chinois Zheng He ? Ma Huan écrit que les sept Chinois qui sont parvenus à Jedda et à La Mecque ont voyagé sur des navires indiens, ou arabes (le texte est un peu flou) ; il ne mentionne pas de jonques chinoises. Pourtant, le reste du texte d’al-Maqrīzī correspond de façon assez juste au fait que les Chinois qui parviennent à Jedda font partie d’une flotte plus vaste arrivée à Calicut. Il explique également les raisons de cette « excursion » jusqu’à La Mecque : les difficultés que traverse alors le Yémen. On ne peut cependant exclure qu’il s’agisse là simplement d’autres marchands chinois, dont la présence dans la mer Rouge, certes rare, ne serait pas exceptionnelle, comme le montre Éric Vallet dans sa magistrale étude de l’Arabie marchande (début du 13e siècle – milieu du 15e siècle).

Du reste, rien dans ce texte ne vient dénoter l’exceptionnel, le surprenant qu’on aimerait pouvoir accorder à ces expéditions chinoises de la « Flotte Trésor ». Les Chinois arrivant à Jedda ne sont pas les Européens débarquant dans le Nouveau Monde. Nul choc des civilisations. L’événement a lieu dans le système eufrasien, les liens dans l’océan Indien ont été noués depuis des siècles. Comme l’écrivait déjà le voyage arabe Ibn Battūta, qui passa à Calicut à plusieurs reprises dans les années 1340 : c’est « un des grands ports du Malabar où abondent mes navires en provenance de la Chine, de Java, de Ceylan, des Maldives, du Yémen et du Fars et où se réunissent les marchandises de tous les horizons car c’est un des plus grands ports du monde »[3].

Au-delà de la question du non-étonnement, un point mérite explication : pourquoi les navigateurs chinois n’ont pas atteint l’isthme central de l’Eufrasie ? Tout d’abord, al-Maqrizi le souligne bien : le principal port en relation avec les ports indiens était Aden. C’était là que se faisait la connexion entre deux systèmes de réseau. Mais le Yémen est alors ruiné, ce qui oblige les navigateurs chinois à poursuivre leur route à l’intérieur de la mer Rouge. Or le principal port, jusqu’à peu, « un des ports les plus fréquentés qui fussent au monde » (Ahmad al-Maqrīzī), était celui d’ ‘Aydhab, situé sur la côte égyptienne, détruit en 1426.

« Les marchands de l’Inde, du Yémen et de l’Abyssinie arrivaient par mer au port d’Aïdab, traversaient le désert jusqu’à Kous, et de là descendaient à Fostat [Le Caire]. Ce désert était toujours couvert de caravanes de pèlerins et de marchands, qui partaient et qui arrivaient. On trouvait quelquefois des charges de poivre, de cannelle, et d’autres épices, jetées sur la route, et qui restaient là jusqu’à ce que le possesseur vînt les chercher. »[4]

Jedda, situé un peu plus au sud de ‘Aydhab, mais sur la rive arabique de la mer Rouge, doit sans doute plutôt être considéré comme un port par défaut, et non comme la destination choisie par les navigateurs chinois, sauf pour les marchands musulmans venus en pèlerinage. Quoi qu’il en soit, il est en effet difficile d’aller plus loin que ‘Aydhab et Jedda.

En effet, les remarques du pilote arabe Abū Zay Hasan, certes plus anciennes (vers 916), montrent bien les dangers qu’il y avait pour un navire à remonter la mer Rouge au-delà de cette limite et l’absence totale d’aménités aux yeux d’un marchand du golfe Persique :

« Les navires appartenant à des armateurs de Sîraf [grand port du golfe Persique], lorsqu’ils sont arrivés dans cette mer qui est à droite (c’est-à-dire à l’ouest) de la mer de l’Inde (la mer Rouge) et qu’ils sont parvenus à Judda [le port de La Mecque], restent dans ce port. Les marchandises qu’ils ont apportées et qui sont destinées à l’Égypte, y sont transportées sur des [navires spéciaux, d’un moindre tirant d’eau, appelés] navires de Kulzum. Les navires des armateurs de Sîrâf n’osent pas faire route [dans la partie septentrionale] de la mer [Rouge] à cause des difficultés qu’y rencontre la navigation et du grand nombre d’îlots [coralligènes] qui y croissent. Sur les côtes, il n’y a ni roi (ni gouvernements), ni endroits habités. Un navire qui fait route dans cette mer, doit tous les soirs chercher un mouillage abrité par crainte des îlots [sur lesquels il ne manquerait pas de se briser, s’il naviguait pendant la nuit]. [La règle, dans cette mer,] est de naviguer de jour et de mouiller de nuit, car cette mer est sombre et il s’en exhale des odeurs désagréables. Il n’y a rien de bon dans cette mer, ni au fond, ni à la surface. »[5]

Ce sont ces mêmes contraintes que décrit, au tout début du 16e siècle, le voyageur portugais Ludovico di Varthema dans le récit de son voyage aux Indes orientales :

« La raison pour laquelle on ne peut naviguer de nuit est qu’il y a beaucoup d’îles et d’écueils, et qu’il faut toujours qu’un homme monte en haut du mât du vaisseau pour observer la route, ce qu’on ne peut faire la nuit. »[6]

Ou bien encore, à la fin du 18e siècle, Jacques Capper, colonel au service de la Compagnie des Indes orientales :

« Il y a des bas-fonds assez dangereux entre Mocha et Gedda [Jeddah], mais il n’y a rien à craindre dans cette saison, lorsque le vent porte au Nord. […] C’est à Gedda que commence la partie désagréable du voyage ; à un ou deux degrés de là la mousson vous abandonne. Vous trouvez le vent du Nord-Ouest qui contrarie votre course. »[7]

Arrivés au point extrême du réseau commercial maritime de l’océan Indien, les marchands chinois ne purent découvrir l’existence d’un isthme qui aurait été la porte vers la Méditerranée et vers l’Europe. Mais là où on voit aujourd’hui un isthme, une mince barrière entre deux mers, il faut donc imaginer un véritable espace-tampon faisant obstacle entre deux mondes. C’est cette distance que n’ont pas franchie les jonques chinoises, et à cause de laquelle leur présence aux bornes de la « Très Grande Méditerranée » braudélienne est passée inaperçue.

Figure 1. Le système eufrasien au 13e et 14e siècles (d’après Beaujard, 2007)

Sur ce point précis, je voudrais citer un autre document, d’interprétation difficile. Il s’agit d’un extrait du livre de Bertrandon de La Broquière (mort en 1459), Le Voyage d’outremer. Bertrandon de la Broquière avait été envoyé au Levant en 1432-1433 par le duc de Bourgogne pour y collecter secrètement des informations. Alors qu’il revenait en France par voie de terre, à Pere, dans cette ville proche de Constantinople où se retrouvaient nombre de marchands et de voyageurs européens, Bertrandon de La Broquière rencontre un Napolitain qui lui raconte qu’il a été avec un Français et un Espagnol au « pays du Prêtre Jean », c’est-à-dire dans le royaume d’Éthiopie, où il a vécu quelque temps, aux alentours de l’année 1430. Or, parmi les diverses merveilles de son récit, on trouve ceci :

« Item, me dit qu’il [le roi d’Éthiopie] fait toujours la guerre contre un grand seigneur qui est près de son pays, devers le Soleil levant, lequel ils nomment Chinemachin, et nous l’appelons le Grand Can.

[…]

Item, me dit que ce grand seigneur que l’on nomme Chinemachin a bien huit grosses naves trop grosses qu’il n’y a nulle part deça ; et que en son pays se trouvent les pierres précieuses et les épices et les autres merveilles qu’Alexandre raconte. »[8]

À côté de la référence au récit merveilleux d’Alexandre le Grand, très répandu en Asie, il se pourrait que ce soient bien les jonques chinoises à la taille exceptionnelle pour un Européen du 15e siècle, qui soient ici mentionnées. Pour désigner la Chine, les « Éthiopiens » utilisent une expression, dont l’origine est mal identifiée, et qui est attestée notamment dans le Shah Nahmeh du poète persan Firdawsi, « Chin et Machin », tandis que Bertrand de La Broquière traduit l’expression par le terme de « Grand Khan », qui provient, lui, des langues altaïques et qui renvoie à l’époque de la domination mongole sur la Chine, donc avant 1368. On a ainsi une illustration, à une époque où l’Eufrasie fonctionne encore comme un archipel de mondes, des deux grandes voies de mise en relation entre l’Europe et la Chine, soit par les steppes de l’Asie centrale, soit par les mers du Sud.

Il n’y a pas eu de guerre entre l’Empire chinois et l’Éthiopie, mais on sait qu’effectivement, les navires de la flotte chinoise eurent à faire usage de la force devant certains ports de la Corne de l’Afrique. Il se pourrait que ce texte en soit l’écho lointain et étouffé.

Ces trois documents, de Ma Huan, d’al-Maqrīzī et de Bertrandon de La Broquière, mériteraient incontestablement une exploitation plus fouillée, mais ils montrent les jeux possibles d’une histoire polycentrique et réticulaire, et les difficultés inhérentes à l’épaisseur du monde.

Bibliographie

Beaujard Ph., 2007, « L’Afrique de l’Est, les Comores et Madagascar dans le système-monde avant le XVIe siècle », in D. Nativel et F.V. Rajaonah (dir.), Madagascar et l’Afrique, Paris, Karthala, pp. 29-102.

Vallet E., 2010, L’Arabie marchande. État et commerce sous les sultans rasūlides du Yémen (628-858/1229-1454), Paris, Presses universitaires de la Sorbonne.


[1] Ma Huan, Ying-yai Sheng-lan, The Overall Survey of the Ocean’s Shores [1433], trad. et éd. par Feng Ch’eng-Chün, introduit et annoté par  J.V.G. Mills, Bangkok, White Lotus Press, 1997 (1re éd. Hakluyt Society , 1970), pp. 173-178.

[2] Macrizy, « Mémoire sur les relations des princes mamlouks avec l’Inde », in : Mémoires géographiques et historiques sur l’Égypte, et sur quelques contrées voisines, éd. et trad. par E. Quatremère, Paris, 1811, Tome II, pp. 290-291, d’après le mns arabe 673 fol. 498 r° (BNF).

[3] Ibn Battuta, « Voyages et périples », in : Voyageurs arabes, trad. par P. Charles-Dominique, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1995, p. 913.

[4] Macrizy, « Description du désert d’Aïdab », in : Mémoires géographiques et historiques sur l’Égypte, et sur quelques contrées voisines, éd. et trad. par E. Quatremère, Paris, 1811, Tome II, p. 162, d’apr. le mns arabe 682 fol. 111 (BNF).

[5] Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine, rédigé en 851, suivi de remarques par Abû Zayd Hasan (vers 916), trad. de Gabriel Ferrand, Paris, 1922, p. 130 sq.

[6] Ludovico di Varthema, Voyage de Ludovico di Varthema en Arabie et aux Indes orientales (1503-1508), trad. de l’italien par P. Teyssier, Paris, 2004, p. 78.

[7] Jacques Capper, Voyages du colonel Capper, dans les Indes, au travers de l’Égypte et du grand désert, par Suez et par Bassora, en 1779, in Makintosh, Voyages en Europe, en Asie et en Afrique, trad. de l’anglais, Paris, 1786, Tome II, p. 306.

[8] Bertrandon de La Broquière, Le Voyage d’Outremer, in : Schefer C. & Cordier H. (dir.), Recueil de voyages et de documents pour servir à l’histoire de la géographie, depuis le XIIIe jusqu’à la fin du XVIe siècle, Paris, 1892, Tome 12, pp. 143-144.

1883, l’islam en débat : Renan / al-Afghani

Dans le livre L’Orientalisme d’Edward Saïd, l’œuvre d’Ernest Renan occupe une place de choix dans sa dénonciation du discours orientaliste qui aurait constitué au fil des siècles la trame sous-jacente à la violence de l’Occident à l’égard de l’Orient. La tenue du Festival d’histoire de Blois sur le thème de l’Orient est l’occasion de revenir sur une série bien connue d’articles parus dans le Journal des débats en 1883, deux étant écrits par Renan, collaborateur régulier de ce journal, et les deux autres étant des traductions de textes rédigés par Sayyid Jamal al-Din « al-Afghani », figure intellectuelle et politique originaire d’Iran, alors de passage à Paris. Cette rencontre entre deux intellectuels ne fut pas un véritable dialogue, mais l’étude de ces textes permet d’aborder la complexité d’une confrontation dans la perspective d’une histoire globale qui dépasse peut-être la dimension polémique des études post-coloniales.

Les textes ont été mis en pièce jointe à l’article, ils sont édités d’après les exemplaires numérisés par la BNF, disponibles directement sur Gallica, et ont été brièvement annotés.

Ernest Renan, discours d’un orientaliste sur l’islam

1) Le cadre axiologique d’un discours de la raison. – Une des forces du discours de Renan tient sans aucun doute à ses fondements épistémologiques. L’objectif de la conférence est explicite : il s’agit d’introduire des « distinctions délicates » dans « un sujet des plus subtils », d’être précis dans l’usage des mots pour éviter « les malentendus », « les idées vagues », « les faux jugements » et « les erreurs pratiques ». Les circonstances mêmes dans lesquelles la conférence a été faite, le 29 mars 1883, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, à la demande de l’Association scientifique de France, fondée par le polytechnicien Urbain Le Verrier en 1864, confirment l’idée qu’il s’agit bien là d’un discours tout emprunt de science, et non d’une diatribe politique.

2) Quel Orient ? – Une des critiques qu’on a pu adresser à Saïd est ne pas préciser de quel Orient il prenait la défense : s’agissait-il d’un Orient étendu à toute l’Asie et à l’Afrique, c’est-à-dire tout l’espace colonisé au cours du 19e siècle ? ou bien de l’Orient musulman, voire simplement arabe ? En l’occurrence, on pourrait détourner la question et s’interroger : de quel Orient Renan est-il l’orientaliste [1] ? Dans les textes ci-joints, plusieurs éléments permettent de penser que l’Orient, distingué du reste de l’Asie, de l’Afrique, de l’Espagne musulmane, désigne d’abord l’Orient proche (à une époque la notion de « Proche-Orient » n’existe pas encore), cet Orient si familier auquel l’Occident chrétien n’a cessé au cours des siècles précédents de se frotter et de se confronter. Cependant, on perçoit bien également dans quelle mesure la pensée de l’Orient est la matrice d’une pensée du reste de l’Asie dans son ensemble. Sous la plume de Renan, al-Afghani est un « Oriental », mais aussi un « Asiatique ». Le livre de Saïd trouve là une partie de sa justification.

3) La translatio studii et ses détours.« Ah ! si les Byzantins avaient voulu être gardiens moins jaloux des trésors qu’à ce moment ils ne lisaient guère ; si, dès le huitième ou le neuvième siècle, il y avait eu des Bessarion et des Lascaris ! On n’aurait pas eu besoin de ce détour étrange qui fit que la science grecque nous arriva, au douzième siècle, en passant par la Syrie, par Bagdad, par Cordoue, par Tolède. » (Texte 2)

Le thème développé par Renan s’inscrit dans la longue tradition de la translatio studii, qu’on trouve par exemple sous la plume de Vincent de Beauvais au 13e siècle, à la différence que Renan intègre l’idée d’un « détour » par le monde musulman, un détour qu’il perçoit comme préjudiciable (Fig. 1).

Fig. 1. Translation studii et traductions arabes

Translatio studii

Certes, ceci implique la reconnaissance d’un moment philosophique en terre d’islam, entre le milieu du 8e jusqu’à la mort d’Averroès [2] à la fin du 12e siècle. Mais il ne s’agit que d’une « supériorité momentanée » (Texte 2) et ce schéma d’interprétation s’inscrit dans une perspective très téléologique de la raison. Il fallut attendre la seconde moitié du 20e siècle pour le voir contesté par Henry Corbin, qui a montré la continuité d’une philosophie islamique du 9e jusqu’au 19e siècle et l’originalité de celle-ci.

4) Un « antisémitisme savant ». – L’expression, que j’emprunte au titre d’un article de Djamel Kouloughli, amène une mise en garde immédiate. L’antisémitisme dont il est ici question est à prendre au sens littéral du terme. Il n’est pas le versant raciste d’un antijudaïsme religieux, mais un discours très hostile à l’égard de toute pensée « sémitique », qu’on peut décomposer ainsi :

– une dépréciation de l’islam : « Ce qui distingua en effet, essentiellement le musulman, c’est la haine de la science, c’est la persuasion que la recherche est inutile, frivole, presque impie ; la science de concurrence faite à Dieu ; la science historique parce que, s’appliquant à des temps antérieurs à l’islam, elle pourrait raviver d’anciennes erreurs. » (Texte 2)

– une dépréciation des Arabes : « L’Arabe nomade est de tous les hommes le moins mystique, le moins porté à la méditation. L’Arabe religieux se contente, pour l’explication des choses, d’un Dieu créateur, gouvernant le monde directement et se révélant à l’homme par des prophètes successifs. » (Texte 2)

– une dépréciation de la langue arabe : « Non seulement, ce ne sont pas des Arabes de sang ; mais ils n’ont rien d’arabe d’esprit. Ils se servent de l’arabe ; mais ils en sont gênés, comme les penseurs du Moyen Âge sont gênés par le latin et le brisent à leur usage. L’arabe, qui se prête si bien à la poésie, est un instrument fort incommode pour la métaphysique. Les philosophes et les savants arabes sont en général d’assez mauvais écrivains. » (Texte 2)

Ce dernier argument, selon lequel l’arabe ne permettrait pas comme le grec de développer une véritable réflexion ontologique, est encore soutenu par certains !

5) Un combat anticlérical. – L’hostilité de Renan ne s’exerce pas seulement à l’encontre de l’islam. Il le répète à plusieurs reprises :

« La théologie occidentale n’a pas été moins persécutrice que celle de l’islamisme. » (Texte 2)

« La renaissance scientifique de l’Europe ne s’est pas faite non plus avec le catholicisme ; elle s’est faite contre le catholicisme […]. » (Texte 4)

La conférence de Renan est un discours de la raison, mais de la raison combattante.

« Pour moi, j’ai la conviction que la science est bonne, qu’elle seule fournit des armes contre le mal qu’on peut faire avec elle, qu’en définitive elle ne servira que le progrès, j’entends le vrai progrès, celui qui est inséparable du respect de l’homme et de la liberté. » (Texte 2)

On ne peut oublier le contexte dans lequel Renan écrit : l’enracinement difficile de la République face au parti monarchique et clérical.

« Au-dessus de tout, comme règle suprême, mettons la liberté et le respect des hommes. Ne pas détruire les religions, les traiter avec bienveillance, comme des manifestations libres de la nature humaine, mais ne pas les garantir, surtout ne pas les défendre contre leurs propres fidèles qui tendent à se séparer d’elles, voilà le devoir de la société civile. » (Texte 4)

Al-Afghani, discours d’un Oriental sur l’islam

1) Un Oriental. – La description introductive au premier article est intéressante car elle révèle comment al-Afghani se présentait. En réalité, il n’est pas né à Kaboul et n’est pas même afghan. Il est né à Asadabad, près de Hamadan, dans une famille de sayyids, c’est-à-dire de descendants du prophète. Il serait trop long ici de résumer l’ensemble de son parcours [3], qu’on synthétisera simplement en une carte illustrant l’ampleur de ses déplacements, à l’intérieur du monde musulman, au moins sa moitié orientale, entre Istanbul, Le Caire, l’Afghanistan et l’Inde, mais aussi en Europe, à Paris, à Londres, ainsi qu’à Saint-Pétersbourg (Fig. 2).

Fig. 2. Al-Afghani (1838-1897), un penseur en mouvement, entre Orient et Occident

al-Afghani

On notera également le détail : « Il porte le costume des ulémas de Constantinople, qui est celui de tout le clergé musulman » (Texte 1). Au regard du journaliste, il s’agit bien d’un Oriental, jusque dans l’habit, même si en fait le vêtement stambouliote endossé à Paris par al-Afghani est déjà occidentalisé par rapport à sa tenue habituelle. Mais l’opposition Occident/Orient n’est pas le propre de l’Europe et l’héritage antique est en réalité partagé de part et d’autre de la Méditerranée. Ainsi, dans une pétition présentée au sultan Abdulhamid II en 1895, al-Afghani est qualifié d’« homme de l’Orient » (rajūl al-charq) et les auteurs, égyptiens, se qualifient eux-mêmes d’« Orientaux » (al-sharqiyīn) [4]. Le découpage Occident/Orient est tout à fait opératoire dans la géographie arabe, soit sous la variante Maghreb/Machrek soit sous la variante al-Gharb/al-Charq. Al-Afghani est incontestablement un homme de l’Orient. Ce qui attire la critique d’al-Afghani n’est pas la question de l’Orient en soi, mais un certain discours européen associé au monde musulman dans son ensemble.

2) Un rationaliste agnostique ? – La fin du texte d’al-Afghani est très forte et exprime un certain pessimisme sur l’avenir de la libre pensée et de la philosophie face à la religion : « Toutes les fois que la religion aura le dessus, elle éliminera la philosophie ; et le contraire arrive quand c’est la philosophie qui règne en souveraine maîtresse. Tant que l’humanité existera, la lutte ne cessera pas entre le dogme et le libre examen, entre la religion et la philosophie, lutte acharnée et dans laquelle, je le crains, le triomphe ne sera pas pour la libre pensée, parce que la raison déplaît à la foule et que ses enseignements ne sont compris que par quelques intelligences d’élite et parce que, aussi, la science, si belle qu’elle soit, ne satisfait pas complètement l’humanité qui a soif d’idéal et qui aime à planer dans des régions obscures et lointaines que les philosophes et les savants ne peuvent ni apercevoir ni explorer. » (Texte 3)

Pour Nikki R. Keddie, il s’agit là d’une des preuves les plus frappantes qu’al-Afghani n’est pas le penseur orthodoxe qu’il a clamé être devant des auditoires musulmans, et la « Réponse à Ernest Renan » contient même la raison pour laquelle il a pu se faire passer pour tel : les masses sont animées par des sentiments religieux plus qu’elles ne sont sensibles à des arguments rationnels. Pour al-Afghani, la religion est un moyen d’encadrer les masses. On comprend également pourquoi l’original de cette lettre n’a jamais été retrouvé et pourquoi ce texte n’a pas été traduit en arabe ou turc. Il a été écrit uniquement pour un lectorat occidental et il aurait discrédité al-Afghani en terre d’islam. Ce texte représente la doctrine ésotérique d’al-Afghani, celle destinée à une élite.

3) Arabité et islam. – La question qui commence à se poser à la fin du 19e siècle est celle du nationalisme arabe : qu’est-ce qu’un Arabe ? La réponse d’Al-Afghani diffère de celle de Renan, tout en étant très simple puisqu’elle fonde la nationalité sur la langue : sont Arabes ceux qui parlent arabe, et ceci quelle que soit leur religion (Texte 3). Al-Afghani distingue ainsi très clairement la religion et la nationalité, l’islam et l’arabité : tous les Arabes ne sont pas musulmans et les Arabes musulmans ne l’ont pas toujours été. Mais la question de l’arabité ne préoccupe guère al-Afghani qui est au contraire très rétif à tout sentiment d’‘asabiya qui est un principe de division et une cause de l’affaiblissement de l’Empire musulman.

4) Le problème de la décadence. – L’autre point d’accord entre al-Afghani et Ernest Renan est la situation du monde musulman : « Toutefois, il est permis de se demander comment la civilisation arabe, après avoir jeté un si vif éclat sur le monde, s’est éteinte tout à coup ; comment ce flambeau ne s’est pas rallumé depuis et pourquoi le monde arabe reste toujours enseveli dans de profondes ténèbres. » (Texte 3)

« Ici la responsabilité de la religion musulmane apparaît tout entière. Il est clair que, partout où elle s’est établie, cette religion a cherché à étouffer les sciences et elle a été merveilleusement servie dans ses desseins par le despotisme. » (Texte 3)

Cependant, leur position diverge sur le rapport à l’avenir et al-Afghani s’oppose de façon très ferme à la vision essentialiste et anhistorique des Arabes de Renan.

« En songeant toutefois que la religion chrétienne a précédé de plusieurs siècles dans le monde la religion musulmane, je ne peux pas m’empêcher d’espérer que la société mahométane arrivera un jour à briser ses liens et à marcher résolument dans la voie de la civilisation à l’instar de la société occidentale pour laquelle la foi chrétienne, malgré ses rigueurs et son intolérance, n’a point été un obstacle invincible. Non, je ne peux admettre que cette espérance soit enlevée à l’Islam. Je plaide ici auprès de M. Renan, non la cause de la religion musulmane, mais celle de plusieurs centaines de millions d’hommes qui seraient ainsi condamnés à vivre dans la barbarie et l’ignorance. » (Texte 3)

Al-Afghani souscrit à une vision évolutionniste elle-même caractéristique du 19e siècle. Le chemin parcouru par les sociétés chrétiennes sera parcouru par les sociétés musulmanes. Celles-ci ne sont pas inférieures, mais simplement en retard, retard facilement explicable par le décalage entre la naissance du christianisme et la naissance de l’islam. Al-Afghani apparaît ainsi comme un des initiateurs de la Nahda, « l’Éveil », mouvement de renaissance du monde arabe qui s’est développé à la fin du 19e siècle.

5) L’émergence du panislamisme. – La notion de « panislamisme » apparaît en français sous la plume du journaliste français Gabriel Charmes, dans un article de La Revue des deux mondes paru le 15 octobre 1881 [5]. Le mot français aurait des antécédents en allemand et en anglais à la fin des années 1870 et serait l’adaptation, sur le modèle des notions de « panhellénisme » et « panslavisme » en vogue à ce moment-là, d’une expression turque : ittihād-i islāmiya, « l’unité de l’islam ». Le « panislamisme » serait ainsi une reformulation européenne d’un mouvement politique qui s’est développé à partir des années 1876-1878, marquées par l’accession au trône du sultan Abdülhamid II, une nouvelle guerre russo-turque, réglée au congrès de Berlin, et la seconde guerre anglo-afghane. L’occupation française de la Tunisie en 1881 et l’occupation britannique de l’Égypte en 1882 n’ont fait que renforcer ce mouvement de résistance à l’impérialisme européen. De ce point de vue, le premier article d’Al-Afghani peut surprendre dans la mesure où il entend alerter les puissances européennes, à commencer par la France, des avancées de l’Empire britannique dans le monde musulman, au détriment de ce dernier et au détriment, selon al-Afghani, de l’Europe elle-même. Il espère jouer des divisions entre l’Angleterre et la France. C’est également à Paris, durant quelques mois de l’année 1884, qu’al-Afghani et Muhammad Abduh éditent une revue en arabe al-‘urwa al-wuthqā, « le lien indissoluble », dont les exemplaires sont envoyés en Turquie, en Égypte, à Beyrouth, à Damas et dans diverses grandes villes du monde musulman, jusqu’en Inde [6].

En guise de conclusion

Renan et al-Afghani se sont-ils rencontrés ? Oui ; on les a présentés l’un à l’autre, ils ont dialogué par l’entremise de Khalil Ghanim, député syrien réfugié en France. Mais on peut penser qu’ils sont restés tous les deux dans leur sphère respective (Fig. 3).

Fig. 3. La rencontre d’individus appartenant à des sphères étrangères

Deux mondes en contact

On pourra trouver la figure simpliste, elle est pourtant le modèle d’une situation récurrente en histoire globale : la rencontre entre deux mondes ; et la posture de l’historien de la globalité se trouve précisément là, ni d’un côté, ni de l’autre, mais dans l’entre-deux, dans ce méta-espace d’un Monde en devenir.

Les textes de Renan et d’al-Afghani ont en outre l’intérêt de se présenter eux-mêmes comme des discours sur le monde et sur l’histoire, ce qui peut donner lieu à une historicisation des découpages spatiaux (métagéographie) et une géographicisation des découpages historiques (métahistoire) que je n’ai fait ici qu’esquisser. L’enjeu de leur confrontation est de se positionner respectivement dans l’espace, selon le schéma Occident/Orient, et dans le temps, selon un schéma passé/avenir. Il s’agit en quelque sorte de savoir qui écrit l’histoire globale dans la contemporanéité de celle-ci et s’il est possible de la coécrire. Ainsi, par rapport au discours de Renan, dont on pourrait en réalité moins dire qu’il justifie la colonisation [7] qu’il n’est en lui-même colonisateur, al-Afghani défend le droit des peuples à disposer de leur propre discours et le droit au progrès. Le lien entre découpage spatial et découpage temporel est donc très fort : aux yeux de Renan, le progrès est le propre de l’Occident tandis que l’Orient est figé dans ses archaïsmes ; pour al-Afghani, la question de l’opposition Occident/Orient n’est pas en soi problématique, ce qui l’est, c’est l’idée d’associer le progrès à un seul de ces espaces. Malgré les politesses, la dimension agonistique de cette série d’articles est très nette dans la célérité avec laquelle Renan a répondu à la réponse d’al-Afghani. Son texte est publié dès le lendemain. Renan est sur son terrain, dans l’arène parisienne, et il se doit d’avoir le dernier mot, de clore le débat et d’enfermer al-Afghani dans un schéma d’interprétation : al-Afghani est un Oriental éclairé, mais il est une exception, car il est iranien, donc un Indo-Européen, et non un Sémite. Al-Afghani sous-estime peut-être la méprise et dans l’illusion d’une égalité, il cherche à Paris des soutiens à sa lutte contre l’impérialisme britannique. La seule personne qui le soutint réellement fut un aristocrate anglais, Wilfrid S. Blunt, très bon connaisseur du monde musulman, en particulier de l’Arabie, et très hostile à la politique du Royaume-Uni [8].

Bibliographie indicative

CORBIN Henry [1986], Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais ».

GEORGEON François [2003], Abdülhamid II. Le sultan calife (1876-1909), Paris, Fayard.

GUTAS Dimitri [2005], Pensée grecque, culture arabe. Le mouvement de la traduction gréco-arabe à Bagdad et la société abbasside primitive (IVe/Xe siècles), trad. de l’anglais, Aubier, Paris (éd. orig. 1998).

JAMBLET Christian [2011], Qu’est-ce que la philosophie islamique ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais ».

KEDDIE Nikki R. [1968], An Islamic Response to Imperialism: Political and Religious Writings of Sayyid Jamāl ad-Dīn “al-Afghānī”, Berkeley, University of California Press.

KEDDIE Nikki R. [1972], Sayyid Jamāl ad-Dīn “al-Afghānī”: A Political Biography, Berkeley, University of California Press.

KOULOUGHLI Djamel [2007], « Ernest Renan : un antisémitisme savant », Histoire Épistémologie Langage, n° 29, pp. 91-112.

LAURENS Henry [1990], Le Royaume impossible. La France et la genèse du monde arabe, Paris, Armand Colin.

LAURENS Henry [2000], L’Orient arabe. Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Paris, Armand Colin.

MARTINEZ-GROS Gabriel et VALENSI Lucette [2004], L’Islam en dissidence. Genèse d’un affrontement, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique ».

SAÏD Edward [1980], L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, trad. de l’anglais, Paris, Seuil (éd. orig. 1978).

URVOY Dominique [2006], Une histoire de la pensée arabe et islamique, Paris, Seuil.

[1] À partir du 16e siècle, ce sont les langues qui définissent l’Orient et on pourrait dire que l’Orient commence là où cesse l’usage du latin et du grec. En 1795, est fondée l’École spéciale des langues orientales, dont le premier directeur, Louis-Mathieu Langlès (1763-1824), fut un des premiers à être qualifié d’« orientaliste » ‑ mot qui apparaît dans les années 1780.

[2] Philosophe auquel Ernest Renan a consacré sa thèse, publiée en 1852 : Averroès et l’averroïsme. Essai historique, Paris, Auguste Durand (en ligne).

[3] Je renvoie pour ça à la biographie écrite par Nikki R. Keddie dans l’Encyclopædia Iranica.

[4] Cf. Jacob M. Landau, 1986, « An Egyptian Petition to ‘Abdül Hamīd II on Behalf of Al-Afghānī », in M. Sharon (ed.), Studies in Islamic History and Civilization in Honour of Professor David Ayalon, Jérusalem/Leyde, Cana/E.J. Brill, pp. 209-219. Le texte de la pétition est lisible directement sur GoogleBooks.

[5] Cf. Gabriel Charmes, 1882, L’Avenir de la Turquie. Le panislamisme, Paris, Calmann-Lévy (en ligne).

[6] On trouvera plusieurs articles traduits par Marcel Colombe dans Orient, n° 22, 1962, pp. 125-158.

[7] On ne trouve dans l’œuvre de Renan qu’un seul passage vraiment explicite en faveur de la colonisation : « La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre. Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure, qui s’y établit pour le gouverner, n’a rien de choquant. L’Angleterre pratique ce genre de colonisation dans l’Inde, au grand avantage de l’Inde, de l’humanité en général, et à son propre avantage » (Ernest Renan, 1872, La Réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy frères, pp. 92-93).

[8] Wilfrid S. Blunt, 1882, The Future of Islam, Londres, Kegan Paul, Trench & Co.