Le Grand État chinois de Timothy Brook : une histoire mondiale de la Chine ou une histoire de Chinois dans le monde ? 2/2

Seconde partie du compte rendu par Clément Broche de :

Timothy Brook, Le Léopard de Kubilai Khan : une histoire mondiale de la Chine, Paris, Payot, 2019, 544 p.

Pour la première partie, cliquez ici.

 

 

Trajectoires insolites et personnages singuliers

Si certains ont souligné que l’absence de héros qui caractérise parfois l’histoire globale limite l’adhésion du grand public à son endroit (17), le Léopard de Kubilai Khan, lui, n’en manque pas. En effet, bien que plusieurs des protagonistes de Brook soient des inconnus, d’autres figurent parmi les plus illustres de l’histoire chinoise. C’est ainsi que le grand khan mongol Kubilai, le marchand vénitien Marco Polo, le célèbre navigateur Zheng He, ou encore l’éminent jésuite italien Matteo Ricci se retrouvent tous acteurs du récit de Brook. Dans une volonté affirmée de rendre ses recherches accessibles au grand public, ce dernier prend grand soin d’écrire une histoire qui se veut la plus attractive et séduisante possible pour le néophyte. Si la démarche est louable puisqu’elle permet une large diffusion de travaux contribuant à l’écriture d’un récit de l’histoire du monde plus équilibré, cette dernière n’en reste pas moins déroutante pour l’historien. C’est là tout le paradoxe de l’ouvrage de Brook. Ce qui constitue sa principale qualité – la diffusion d’une histoire déoccidentalocentré auprès du grand public – est également sa principale faiblesse. En effet, n’y a-t-il pas un certain poncif à présenter une énième fois d’illustres personnages tels que Kubilai, Polo, Zheng ou Ricci ? Par ailleurs, l’histoire globale de Brook tombe sous le coup de la critique de certains ces collègues ayant menés ces dernières années des réflexions épistémologiques autour de ce champ de recherche et de ses difficultés.

Dans What is Global History, publié en 2016 (18), Sebastian Conrad avance l’idée qu’il faille en finir avec une histoire globale qui serait une histoire de missionnaires et de marchands. Or, c’est précisément ce que propose Brook avec Le Léopard de Kubilai Khan, qui est une histoire mondiale de la Chine à travers le portrait de missionnaires et de marchands. D’autre part, cette somme de récits et de trajectoires individuelles suffit-elle à prétendre faire une histoire mondiale de la Chine ? Là encore, comme le souligne Conrad, où sont les processus qui eux seuls peuvent sous-tendre des changements structurels. L’histoire globale de Brook est-elle véritablement de l’histoire globale ? Ne s’inscrit-elle pas plutôt finalement dans des champs connexes, mais distincts, que sont l’histoire connectée ou l’histoire transnationale ? Certes, dans une perspective qui se veut à la fois micro et macro, Brook joue avec les échelles d’analyse, passant du particulier – « l’histoire au ras du sol » de Giovanni Levi (19) – au général, interrogeant parfois les structures et rapports de pouvoirs – les relations entre le Grand État Ming et la Corée dans le chapitre 5, entre le Grand État Qing et le Tibet dans le 10. Mais cela se fait malgré tout dans des proportions limitées, la majeure partie de l’ouvrage étant consacrée à de l’histoire récit, qui par ailleurs pose certains problèmes sur la forme dans la façon dont Brook la propose.

En effet, Brook a une tendance à scénariser son récit, ce dernier apparaissant telle une scène de film à l’esprit du lecteur :

« Après avoir vérifié que les locaux de la Compagnie anglaise des Indes orientales étaient bien fermés pour la nuit, Edmund Scott gravit les marches menant à sa chambre […] il s’apprêtait à aller se coucher […] Une heure plus tard, un des neuf employés anglais placés sous sa responsabilité vint lui annoncer, hors d’haleine, que le bâtiment était en feu (20). »

De tels procédés stylistiques font parfois passer le récit de Brook pour un roman historique ou de l’histoire romanesque. Aussi, face à tant de détails si précis, le lecteur curieux s’empresse d’aller consulter les notes de l’auteur. Le corps du texte ne contenant aucun renvoi, ce dernier doit donc naviguer dans des notes reléguées à la fin du livre et présentées dans un style peu académique, puisque non numérotées. Il est ainsi difficile pour le lecteur de trouver la référence à une partie précise du texte. Outre cet aspect, Brook s’essaie également à plusieurs reprises à l’histoire contrefactuelle, comme dans le chapitre 7 où il fait parler pendant 4 pages un orfèvre chinois condamné à mort : « Voici ce que l’orfèvre aurait pu, me semble-t-il, penser, même s’il ne le dit pas (21)… » ; ou encore dans le chapitre suivant où ce ne sont là pas moins de 10 pages d’un dialogue imaginaire entre deux fonctionnaires chinois, l’un partisan de l’expulsion des jésuites et l’autre leur étant favorable : « Voici comment leur confrontation aurait pu se dérouler (22). » Là encore, de tels procédés s’avèrent déroutants.

Passé ces quelques réflexions sur la forme, la question se pose de l’efficience du concept de Grand État. Ce dernier permet-il à Brook de proposer une véritable histoire mondiale de la Chine ? S’il remplit pleinement son rôle de fil conducteur du récit, il apparait néanmoins limité sur certains aspects. Il est parfois difficile de faire la distinction entre le travail de Brook et une étude qui se voudrait plus classique, portant sur l’histoire de l’Empire chinois. Si la dimension connectée est bien là, de nombreuses parties du livre sont néanmoins consacrées aux relations avec les marges de l’espace chinois : Mongolie, Tibet, Mandchourie, Corée, Japon, nord du Viêtnam (Dai Viet). Ce constat fait apparaître le concept du Grand État comme limité pour partie. Lorsque Brook se lance dans des connexions plus lointaines, comme dans le chapitre 11 où l’exemple du navire l’Etrusco illustre parfaitement le phénomène de globalisation qui caractérise le tournant entre les 18 et 19e siècles : « Construit aux États-Unis, vendu à Calcutta, enregistré sous le nom d’un autre vaisseau, appartenant théoriquement à un Vénitien d’Istrie, arborant un pavillon toscan, commandé par un Anglais, transportant des marchandises pour des négociants de quatre nationalités au moins et financé par des créanciers de trois, sinon plus (23) », le lien direct avec le Grand État se fait plus ténu. Même constat dans le chapitre 12, où Chinois et Britanniques se rencontrent et interagissent autour de l’exploitation minière en Afrique du Sud. Alors que le cas des coolies permet de mettre véritablement l’emphase sur un phénomène s’inscrivant dans le cadre d’un processus global, on perd néanmoins le fil conducteur de Brook. Parle-t-il ici du Grand État Qing, des Chinois, des travailleurs chinois sous contrat ou du contexte politique de la Grande-Bretagne de l’époque (où Churchill et Chamberlain s’affrontent autour de la question du sort des coolies) ?

Excellent ouvrage pour tout néophyte qui souhaiterait découvrir l’histoire de la Chine par le biais novateur de l’histoire globale, Le Léopard de Kubilai Khan remplit pleinement son objectif consistant à ouvrir de nouveaux horizons au grand public. Pour l’historien en revanche, ce livre n’est pas exempt de défauts. Les problèmes posés par le livre de Brook ne relèvent en aucun cas de la question des compétences de cet éminent sinologue, mais bien du choix de la forme retenue par l’auteur, dans son souhait de proposer un ouvrage facile d’accès. Si la démarche est louable, elle n’en reste pas moins quelque peu déroutante pour l’historien. Alors que Le Chapeau de Vermeer faisait école et bousculait les codes lors de sa parution en 2008, dix ans plus tard, Le Léopard de Kubilai Khan ne semble pas destiné à avoir la même portée. Tandis que l’histoire globale se remettait en question durant la décennie 2010, Brook paraît ne pas avoir considéré certaines des réflexions épistémologiques ressorties des discussions entre historiens, y préférant sa recette de 2008, celle d’une histoire connectée destinée au grand public, une histoire de missionnaires et de marchands.

 

Le Grand État de Xi Jinping

« Il y a trois mille ans, le peuple de la plaine de Chine du Nord contemplait un monde de dix mille pays […]. En 2019, à l’heure où j’écris cet épilogue […], l’ONU comprend 193 États membres (24). » Dans la conclusion de son livre, Timothy Brook mène de façon fort habile une réflexion sur la Chine contemporaine : sur ses rapports à l’autre (ces 193 États membres de l’ONU), ainsi qu’à ses marges (comme du temps des Grands États Yuan, Ming et Qing) que sont la Mongolie-Intérieure, le Xinjiang, le Tibet, Hong Kong et Taiwan. La Chine d’aujourd’hui, celle de Xi Jinping, interroge. Deuxième économie du monde depuis 2010, cette dernière est plus que jamais présente à l’échelle globale, si bien que depuis le début des années 2000, après avoir vécu les décennies 1980-1990 sous l’ère du consensus de Washington, on parle désormais de consensus de Beijing (25). Dans ces deux modèles qui s’opposent, la proposition de Pékin, peu regardante quant à la question des modes de gouvernance, se montre toujours plus attractive pour de nombreux régimes à tendance autoritaire. Par ailleurs, la Chine ne cesse de redoubler d’efforts – comme avec les super projets de la Belt and Road Initiative, par la multiplication de la ratification d’accords bilatéraux ou multilatéraux, en mobilisant son soft power, ou encore en cherchant à être toujours plus influente dans les instances internationales – pour se rendre séduisante et indispensable. Ce constat amène à repenser la question des relations internationales. Apparaissant en même temps que l’écriture chinoise, il y a plus de 3 000 ans, le concept de Tianxia (26) (« tout sous un même ciel » en français) se veut une volonté chinoise de se présenter en nouvelle puissance normative et potentiel futur hégémon mondial :

 « Alors que la politique internationale est incapable d’assurer la paix mondiale, le concept de Tianxia, en tant que ni occidental, ni moderne, mais traditionnellement chinois, pourrait constituer une alternative et permettre une refondation du système politique mondial qui assurerait l’harmonie durable entre les peuples […] Le Tianxia renvoie à l’élaboration d’une sphère au sein de laquelle le système politique de la République populaire est perçu non plus comme l’exception aux grandes puissances démocratiques, mais la nouvelle norme, non plus comme ce qui se situe en marge de l’histoire, mais comme l’alternative à l’Histoire (27). »

Ainsi, si nous sommes tous demain amenés à vivre sous l’ère de Tianxia, l’histoire globale nous sera plus que jamais indispensable et il nous faudra renouer avec la grande histoire mondiale de la Chine et donc nous replonger dans Le Léopard de Kubilai Khan.

 

Notes

(17) Christophe Charle, « Histoire globale, histoire nationale ? Comment réconcilier recherche et pédagogie », Le Débat, no 175, 2013, p. 60-68.

(18) Sebastian Conrad, What Is Global History, Princeton, Princeton University Press, 2016, 312 p. – traduit par Hélène Bourguignon, Qu’est-ce que l’histoire globale ?, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2023, 280 p.

(19) Giovanni Levi, Le Pouvoir au village précédé de L’Histoire au ras du sol : histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, 276 p.

(20) T. Brook, Le Léopard de Kubilai Khan, op. cit., p. 217.

(21) Ibid., p. 250.

(22) Ibid., p. 260.

(23) Ibid., p. 355.

(24) Ibid., p. 455-456.

(25) C’est l’actuel vice-président de la Kissinger Associates, Joshua Cooper Ramo, qui théorise le consensus de Beijing en 2004 : Joshua Cooper Ramo, The Beijing Consensus, London, Foreign Policy Centre, 2004, 74 p.

(26) Le concept de Tianxia, oublié depuis l’avènement de la Révolution chinoise de 1911, a été réactualisé par le philosophe chinois Zhao Tingyang dans les années 2000 et tout de suite récupéré par les autorités dans le discours politique officiel du régime : Zhao Tingyang, Tianxia, tout sous un même ciel, Paris, Les éditions du Cerf, 2018, 323 p.

(27) Jean-Yves Heurtebise, Orientalisme, Occidentalisme et Universalisme. Histoire, analyse et méthodes des représentations européennes de la Chine, Paris, MA Éditions, 2020, pp. 205 et 230.

Le Grand État chinois de Timothy Brook : une histoire mondiale de la Chine ou une histoire de Chinois dans le monde ? 1/2

Première partie du compte rendu par Clément Broche de :

Timothy Brook, Le Léopard de Kubilai Khan : une histoire mondiale de la Chine, Paris, Payot, 2019, 544 p.

 

 

Microhistoire globale chinoise

Le Léopard de Kubilai Khan, voilà un titre bien mystérieux pour un lecteur qui n’aurait pas prêté attention au sous-titre de cet ouvrage. Une histoire mondiale de la Chine rend en effet d’un coup ce dernier beaucoup plus explicite. L’historien canadien Timothy Brook propose ici une histoire de la Chine à travers ses relations, connexions, interactions avec le reste du monde, ce qui n’est pas la Chine. Comme l’auteur le formule lui-même, son étude s’inscrit dans le champ de l’histoire globale, selon une perspective que l’on peut qualifier de microhistoire globale : « un style délibérément descriptif et une perspective résolument globale (1) ». L’un des mandats principaux de ce champ de la discipline historique est de proposer une alternative à un grand récit occidentalocentré de l’histoire du monde. C’est précisément ce à quoi s’attache l’ouvrage de Brook, en redonnant à la Chine la place qui est la sienne dans cette grande histoire mondiale. Pour ce faire, outre les méthodologies associées à l’histoire globale, notre auteur a besoin d’un concept fort pour mener à bien son analyse. La lecture de l’histoire chinoise que propose Brook dans Le Léopard de Kubilai Khan se fait par le prisme de ce qu’il définit et désigne comme le « Grand État ».

Tour à tour Yuan, puis Ming et enfin Qing, le Grand État permet à Brook de proposer son récit mondial de la Chine, ou son histoire de la Chine dans le monde. Pour autant, outre le fait que l’ouvrage interroge parfois sur la forme, le concept se montre-t-il adéquat pour mener à bien son projet et dépasser ce que l’on pourrait qualifier d’histoire de l’Empire chinois ? De la même manière, son approche microhistorique, prenant la forme d’une succession de portraits de personnages aux trajectoires singulières, permet-elle véritablement de proposer une histoire mondiale de la Chine, ou ne constitue-t-elle pas finalement plutôt une somme d’histoires de Chinois dans le monde ? Ces réflexions apparaissent essentielles pour évaluer la portée réelle du Léopard de Kubilai Khan au regard de son objectif ambitieux affiché que de proposer une histoire mondiale de la Chine.

Timothy Brook, historien de la Chine globale

Avant d’être un spécialiste de l’histoire globale, Timothy Brook est d’abord et avant tout un sinologue. Originaire de Toronto, il y effectue le début de ses études supérieures pour ensuite rejoindre l’université Harvard en 1974. Il y rédige une thèse sous la direction de l’éminent sinologue Philip A. Kuhn, et obtient en 1984 un doctorat en histoire et langues d’Asie orientale. Après être passé par les universités d’Alberta, de Toronto, Stanford et Oxford, il devient professeur d’histoire à l’Université de Colombie-Britannique en 2004 où il enseigne l’histoire chinoise, mais aussi l’histoire globale jusqu’à sa récente retraite. Désormais professeur émérite, il est toujours actif, comme en témoigne la parution en 2019 du Léopard de Kubilai Khan.

Un rapide parcours de ses publications précédentes démontre que Brook n’en est pas à son coup d’essai en matière d’histoire globale de la Chine, comme avec ce livre qu’il dirige en 2018 intitulé Sacred Mandates: Asian International Relations since Chinggis Khan (2) ou encore son ouvrage Mr. Selden’s Map of China: Decoding the Secrets of a Vanished Cartographer (3), mais aussi et surtout son succès en librairie – auquel Brook doit sa notoriété auprès du grand public – Vermeer’s Hat: The Seventeenth Century and the Dawn of the Global World, publié il y a maintenant quinze ans déjà, en 2008, dans sa version originale, et traduit en français en 2010 (4). Dans sa préface au Léopard de Kubilai Khan, Brook revient sur le tournant qu’il a souhaité opérer avec cet ouvrage et explique les motivations de sa démarche qui visait tant à faire la promotion de l’histoire globale auprès du grand public que de lui présenter la place majeure de la Chine dans le grand récit mondial de l’humanité :

« À mi-chemin de ma carrière, j’ai eu envie de donner une orientation nouvelle à mon activité d’écriture […] j’ai voulu sortir de l’enceinte académique de la sinologie et partager ma curiosité et mes idées avec un plus vaste public de lecteurs […] j’ambitionnais d’atteindre des lecteurs extérieurs à cette sphère, qui s’intéressent aux questions que j’ai étudiées pour essayer de mieux comprendre notre monde désormais globalisé. Le résultat a été Vermeer’s Hat, un livre dans lequel j’ai essayé d’engager le dialogue entre le passé chinois et l’histoire européenne (5). »

Enfin, comme Brook le souligne lui-même, alors qu’en 2008, rien ne spécifiait dans le titre de Vermeer’s hat que l’ouvrage traitait [en creux] de la Chine, l’objet du Léopard de Kubilai Khan est ici clairement explicité avec ce sous-titre Une histoire mondiale de la Chine. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le titre de la version originale diffère de celle en français, publiée pourtant de façon concomitante. En effet, en anglais, le titre est littéralement celui du concept clé que Brook mobilise dans son ouvrage, celui du Grand État, Great State: China and the World (6). Au-delà de la question de ce choix éditorial, il est surprenant de constater que Brook a validé ce titre évacuant la référence directe à ce qui est tout à la fois son grand concept et l’objet même du livre, l’histoire du Grand État chinois.

 

La Chine connectée de Brook

Le titre de l’ouvrage, ce fameux Léopard de Kubilai Khan, renvoie au premier des treize chapitres qui composent le livre et qui sont autant de récits qui peuvent parfaitement fonctionner de manière autonome. Brook propose des portraits de personnages, à différentes époques et en différents endroits, ayant pour point commun de tous renvoyer à la dimension connectée de la Chine avec le monde extérieur et donc à l’histoire mondiale de la Chine.

C’est une carte trouvée par l’un de ses étudiants dans les rayonnages de la bibliothèque de l’université de Colombie-Britannique qui constitue le point de départ de cet ouvrage. Outre les réflexions qu’il développe autour de l’auteur, de la date et des conditions de réalisation de la carte, Brook explique que ce type de représentation était appelée hua yi tu par les Chinois, littéralement « une carte des Chinois et des barbares ». Produite au 16e siècle durant la dynastie Ming, celle-ci est la représentation chinoise du monde de l’époque, monde que ces derniers désignent alors par l’expression « dix mille pays ». Cette carte amène donc à interroger cette conception chinoise du monde, ainsi que les rapports du pays à l’étranger. Néanmoins, avant de pouvoir comprendre les relations de la Chine à l’extérieur, Brook se doit d’en définir son identité. C’est là qu’intervient son concept de Grand État. Ce terme, Brook l’emprunte aux Mongols qui, après l’accession de Gengis Khan au rang de grand khan au début du 13e siècle, ont besoin de cette expression, yeke ulus en mongol, pour penser une entité politique plus grande que celle d’un simple État mongol, Mongqol ulus, et ainsi pouvoir y intégrer les nouveaux territoires conquis. Il y a également derrière ce concept l’idée d’une légitimité universelle à l’exercice du pouvoir du khan à la tête du yeke Mongqol ulus. Après les conquêtes de Kubilai Khan et la fondation de la dynastie Yuan, le Grand État se voit transposé dans l’espace chinois pour être finalement repris et sinisé par les successeurs des Yuan, les Ming, qui eux-mêmes le transmettront aux Qing par la suite. Ainsi, Brook explique que le concept du Grand État est précisément celui dont il avait besoin pour articuler et mettre en relation les différents récits qu’il présente dans son ouvrage :

« J’ai constaté que le concept de Grand État m’était indispensable pour donner un cadre aux histoires que je raconte sur les relations qui se sont nouées entre Chinois et non-Chinois au cours des huit derniers siècles […] ceux qui vivaient à l’intérieur de cet État devaient se soumettre à son autorité, ceux qui vivaient à l’extérieur devaient s’en remettre à elle. Le concept est important, car c’était une réalité fondamentale pour ceux qui devaient allégeance au Grand État comme pour ceux qui s’y rendaient depuis des régions situées au-delà de sa portée. Il apportait l’architecture symbolique des espaces d’interaction entre Chinois et non-Chinois (7). »

Son choix de retenir le concept du Grand État comme cadre d’analyse lui permet également de poser les balises de son étude et de justifier de sa chronologie qui s’étale donc de la dynastie Yuan à la République de Chine (première moitié du 20e siècle).

Dans les trois premiers chapitres, Brook aborde la période de la dynastie Yuan et du Grand État mongol (terme qu’il retient, réfutant celui d’empire qui renvoie à un concept selon lui occidental). Sa seconde partie, composé de cinq chapitres se déroulant à l’époque des Ming, est la plus importante – et pour cause, Brook est spécialiste de cette période à laquelle il a consacré de nombreux ouvrages (8). Aux Ming succède la conquête mandchoue et la fondation de leur dynastie chinoise, la dernière à régner, celle des Qing. Les chapitres 9 à 12 couvrent cette période, alors que le treizième et dernier prend place à l’époque républicaine, après l’occupation japonaise du territoire chinois de 1937 à 1945. Au fil de ces différents récits, le concept du Grand État se voit décliné pour désigner tour à tour le Grand État mongol, Yuan, Ming, Qing, mais aussi le Grand État de l’Ouest (lorsque Matteo Ricci présente l’Europe aux Chinois) ou encore japonais.

Concernant sa méthodologie et ses objectifs, Brook les énoncent clairement dans son introduction : « Tout ce qui se passe dans ce livre s’est produit sur des toiles de fond nationales, dans des contextes internationaux et à des échelles mondiales […] j’ai cependant choisi de me concentrer […] sur ce qui est arrivé à des êtres réels, dans des cadres locaux particuliers (9)… » La volonté de micro dans le macro est ici bien explicitée par Brook, qui poursuit : « Je vous offre une série de portraits intimes de personnages […] témoins de l’importance que le monde a eue pour la Chine, de l’importance que la Chine a eue pour le monde et de la présence constante de la Chine dans le monde (10)… » Là aussi, l’objectif de Brook est clairement exposé. Il entend utiliser l’histoire globale pour déconstruire un grand récit historique occidentalocentré et redonner à la Chine la place qui est la sienne dans l’histoire du monde, tout comme il souhaite instaurer le dialogue et œuvrer au rapprochement : « Si quelque chose m’a guidé tout au long de ce projet, c’est le souci de réduire la distance que les Chinois et les non-Chinois ont l’habitude de mettre entre eux (11). » Cette volonté affichée se retrouve tout au long de l’ouvrage comme lorsque, dans le chapitre six, Brook critique le travail de nombreux historiens qui jusque dans les années 1970 présentaient la Chine des Ming comme un État arriéré, fermé sur lui-même et refusant de s’ouvrir au reste du monde : « Tout cela n’est que fariboles hilarantes (12)… » Il œuvre dans les lignes qui suivent à démonter cet argumentaire en apportant nuance et complexité, mettant en lumière les débats qui ont lieu au sein de la cour impériale à propos du commerce maritime et des décisions à prendre concernant de nouveaux acteurs présents dans les régions du sud de la Chine en ce début de 16e siècle, les Portugais. Il montre également comment finalement les politiques en vigueur en Europe à la même époque et sur ce même sujet ne sont pas véritablement différentes de celles qui ont cours en Chine : « Les mesures prises par l’État Ming pour protéger ses frontières et ses intérêts dans les années 1510 n’étaient pas si différentes de celles des États européens de l’époque (13). »

De la même manière, dans le chapitre suivant traitant du commerce en mer de Chine méridionale un siècle plus tard, Brook met de l’avant le fait que sans les Chinois, les débuts de l’économie globale à l’époque moderne n’auraient pu se faire : « La demande européenne de produits chinois associée à la capacité de l’économie chinoise d’absorber d’importants volumes d’argent plaça les marchands chinois au cœur de tout le système. Sans leur participation […] l’économie globale du début du monde moderne n’aurait pas existé (14). » Brook reprend ici à son compte l’un des grands arguments avancés par l’historien américain Kenneth Pomeranz qui, dans son ouvrage Une grande divergence (15), montre l’importance de la manne que représente l’argent extrait des mines des colonies espagnoles d’Amérique du Sud dans la mise en place de ce système économique globalisé : « Les Européens apportaient l’argent, les Chinois les marchandises (16). » Ce travail de mise en discussion de différents espaces et de réévaluation de la place de la Chine dans le grand récit de l’histoire du monde est véritablement le point fort de l’ouvrage de Brook, qui à lui seul justifie la lecture du Léopard de Kubilai Khan.

 

La suite de cet article sera publiée lundi 30 octobre.

 

Notes

(1) Timothy Brook, Le Léopard de Kubilai Khan. Une histoire mondiale de la Chine, traduit de l’anglais (Canada) par Odile Demange, Paris, Payot, 2019, p. 19.

(2) Timothy Brook, Michael van Walt van Praag et Mike Boltjes (dir.), Sacred Mandates: Asian International Relations since Chinggis Khan, Chicago, University of Chicago Press, 2018, 288 p.

(3) Timothy Brook, Mr. Selden’s Map of China: Decoding the Secrets of a Vanished Cartographer, Toronto, House of Anansi Press, 2013, 256 p. – traduit de l’anglais (Canada) par Odile Demange, La Carte perdue de John Selden. Sur la route des épices en mer de Chine, Paris, Payot, rééd. « Poche », 2016, 364 p.

(4) Timothy Brook, Vermeer’s Hat: The Seventeenth Century and the Dawn of the Global World, Toronto, House of Anansi Press, 2008, 288 p. ; Timothy Brook, Le Chapeau de Vermeer. Le XVIIe siècle à l’aube de la mondialisation, traduit de l’anglais (Canada) par Odile Demange, Paris, Payot, 2010, 304 p.

(5) T. Brook, Le Léopard de Kubilai Khan, op. cit., p. 18.

(6) Timothy Brook, Great State: China and the World, London, Profile Books, 2019, 512 p.

(7) T. Brook, Le Léopard de Kubilai Khan, op. cit., p. 30.

(8) Timothy Brook, Praying for Power: Buddhism and the Formation of Gentry Society in Late-Ming China, Cambridge, Harvard University Press, 1994, 412 p. ; Timothy Brook, The Confusions of Pleasure: Commerce and Culture in Ming China, Berkley, University of Carolina Press, 1999, 345 p. ; Timothy Brook, The Chinese State in Ming Society, Londres, Routledge, 2004, 264 p.

(9) T. Brook, Le Léopard de Kubilai Khan, op. cit., p. 31.

(10) Ibid.

(11) Ibid., p. 35.

(12) Ibid., p. 213.

(13) Ibid., p. 214.

(14) Ibid., p. 223.

(15) Kenneth Pomeranz, Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, traduit de l’anglais (américain) par Nora Wang et Mathieu Arnoux, Paris, Albin Michel, 2010, 560 p.

(16) T. Brook, Le Léopard de Kubilai Khan, op. cit., p. 223.

L’histoire globale selon Sebastian Conrad : d’un renouveau méthodologique à un savoir engagé

 

Compte-rendu du livre de Sebastian Conrad, What is Global History (Princeton, Princeton University Press, 2016).

Par Mathieu Roy, doctorant à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

 

Près de trente ans après la montée en popularité de l’histoire globale, la parution d’une synthèse sur cette approche se faisait toujours attendre. Il s’agissait là d’une lacune importante de l’historiographie à laquelle s’attaque l’ouvrage de Sebastian Conrad What is Global History?, paru en 2016 aux Presses universitaires de Princeton. La maison d’édition est réputée pour ses parutions en histoire globale, qui comprend parmi les œuvres les plus marquantes de la discipline, à commencer par The Global Condition de William H. McNeill[1], The Emergence of Globalism d’Or Rosemboin[2] et Globalization: A Short History de Jürgen Osterhammel et Niels P. Petersson[3]. Le fait de publier aux côtés de ces historiens n’est pas anodin. Il témoigne d’une volonté d’inscrire cet ouvrage dans les débats qui animent les praticiens de l’histoire mondiale. Ainsi, bien plus que de simplement définir ce qu’est l’histoire globale, l’ouvrage de Conrad est guidé par une volonté, d’une part, d’expliquer les spécificités méthodologiques de cette approche et, d’autre part, de souligner ce qui caractérise sa pertinence contemporaine, appelant ainsi à un renouveau historiographique.

Sébastian Conrad est un historien allemand s’intéressant à l’histoire intellectuelle, postcoloniale et globale. Ses recherches ont porté principalement sur l’Allemagne et le Japon. Sa thèse de doctorat, publiée sous le titre The Quest for the Lost Nation: Writing History in Germany and Japan in the American Century[4] porte sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale dans l’Allemagne et le Japon des années 1990. Conrad y analyse les conséquences des changements sociopolitiques mondiales de la fin du 20e siècle. Dans ses ouvrages German Colonialism: A Short History[5] et Globalisation and the Nation in Imperial Germany[6], le professeur de l’Université libre de Berlin s’intéresse aux relations entre le nationalisme allemand et la mondialisation. Il montre déjà, avant la parution de What is Global History?, son inscription dans le boom que connaît l’histoire globale depuis quelques années.

 

Des approches en compétition

L’auteur aborde dans ses premiers chapitres (chap. 1-3) la genèse de l’histoire globale. Au cours de l’ère de domination des puissances européennes, du 16e au 19e siècle, une conception eurocentrique est montée en puissance, cette dernière étant guidée par une théologie du progrès doublée d’un idéal de supériorité civilisationnelle[7]. Conrad met ensuite l’accent sur le changement de paradigme survenu suite à la Seconde Guerre mondiale. Une vision matérialiste de l’histoire inspirée par la lutte des classes, le marxisme et l’universalisme a gagné en popularité au cours de cette période[8]. Ce courant amène l’historien à rendre compte des approches en compétition dans l’histoire globale. La deuxième sous-partie de l’ouvrage de Conrad (chap. 4-7) est sans doute sa plus intéressante. Elle s’intéresse à la méthodologie de l’histoire globale, celle-ci étant intrinsèquement liée à la pertinence sociale que l’historien lui accorde. Cette partie de son œuvre démontre que le renouveau épistémologique de l’histoire globale ne peut pas être dissocié de cette façon de pratiquer d’histoire. Les chapitres 8-10 misent sur l’écriture contemporaine de l’histoire globale. L’auteur y plaide pour sa façon de concevoir cette approche. Selon lui, le positionnement de l’écrivain, autant individuel que national, influe sur la manière de produire l’histoire.

Le corps de l’argumentaire gravite autour de l’analyse des échelles spatio-temporelles. Plutôt que de miser sur l’analyse des connexions, Conrad propose de mettre en exergue les processus d’intégration sur lesquels l’histoire globale reposerait ultimement[9]. Sa description des multiples mécanismes d’intégration spatiale l’amène à promouvoir une variante des méthodes déjà explorées par l’historiographie, celle-ci basée sur la pluralité des échelles et des causalités. Pour l’historien : « One task of global history as a perspective is precisely to understand the relationship of different causalities operating at a large scale[10]. » Au surplus, Conrad s’affaire à démontrer que l’histoire globale n’est pas en opposition avec d’autres formes d’échelles de connexions et qu’elle peut être écrite de plusieurs angles. Celui-ci renchérit : « The most fascinating questions are often those that arise at the intersection between global process and their local manifestations[11]. » Une telle proposition contredit la fausse opposition entre le local et le global souvent soulevée par les détracteurs de l’histoire globale. L’historien positionne sagement son courant de façon complémentaire aux préoccupations découlant d’autres projets historiographiques[12]. L’histoire nationale doit avoir sa place dans la constellation des savoirs historiques, mais différemment de celle occupée actuellement. Ce champ doit selon lui reconnaître que les acteurs nationaux agissent à partir d’un contexte plus vaste et selon une conscience globale. Incidemment, les acteurs doivent être vus comme pensant à leur nation au regard de et en reconnaissance d’un contexte global. De même, l’auteur valorise la compréhension de l’émergence du nationalisme et de l’État-nation au 19e siècle dans ce contexte plus vaste[13]. On peut sentir en filigrane de cette proposition une amertume face à la reconnaissance de ce cadre chez les historiens sans qu’il soit sérieusement pris en considération.

 

Le choix des échelles

Qui plus est, Conrad aborde en profondeur le rapport au temps au sein de l’histoire globale afin de démontrer comment cette variable peut être traitée différemment. L’intellectuel allemand plaide pour une prise en considération de différentes échelles temporelles en fonction de leurs buts analytiques[14]. L’auteur donne l’exemple de la montée en puissance de la Chine à partir du 20e siècle pour avancer que :

« China’s present rise was not predicated on any of these factors alone. It was not determinated in the long run, but it was conditioned by a range of historical circumstances. […] As with space, such a scaling of the past, or jeux d’échelles, is the best methodological tool to accommodate different temporalities. The global dimension is not intrinsically connected to any one of these time frames. Global perspectives can be integrated on every level, from macro-accounts spanning several centuries and more, to the analyses of the short-term and even the crucial moments[15]. »

 

L’auteur rappelle par la suite que le choix des échelles relève toujours de choix normatifs, puisqu’il implique un jugement sur les forces motrices des phénomènes historiques. Pour cela, il n’y a guère de raisons pour lesquelles, selon Conrad, l’histoire globale devrait être moins orientée que peut l’être l’histoire nationale. Ces propos démontrent encore une fois comment la démarche de cet ouvrage surpasse la simple explication de l’histoire globale comme genre historiographique. Par exemple, ce dernier prend au sérieux la suggestion de plusieurs historiens d’établir des rapprochements entre le temps géologique de la Terre – l’Anthropocène – et celui des sociétés humaines, afin de mieux comprendre les bouleversements qui affectent nos sociétés contemporaines[16]. L’historien explore lui aussi des spatialités alternatives, en donnant des exemples associés à l’histoire environnementale, de la santé mondiale ou bien des organisations globales[17]. Tout au long de son ouvrage, Conrad appelle à faire preuve de prudence sur ce point, car même ces approches peuvent comporter des angles morts, exclure des populations ainsi que des types de changements. Sa réflexion sur la méthodologie, essentiellement, vise à tisser des rapprochements afin de parfaire la Big History. Ce faisant, elle vise à faire évoluer sa propre discipline en plaidant pour une approche structuraliste qui prend en compte l’influence des structures sur l’activité humaine tout comme le rôle de celles-ci sur les individus[18]. De surcroît, l’auteur réussit à dépasser la fausse dichotomie entre agentivité et contingence en plaidant pour une analyse hétérogène.

 

Un projet historiographique partagé

En s’interrogeant sur la position des historiens dans le processus de production du savoir et en prenant position pour un nouveau fondement historiographique, Conrad offre des pistes de réponses aux problèmes épistémologiques soulevés envers la notion d’objectivité en histoire. De même, il surpasse les impasses auxquelles peuvent mener ces réflexions en ne tombant pas dans un excès de relativisme. En supplément, cette réflexion amène de l’eau au moulin pour l’élaboration d’un projet historiographique partagé. L’auteur s’interroge habilement sur les catégories qui dictent notre pensée et assume le positionnement de l’histoire globale dans la création d’un monde commun[19]. Compte tenu de l’importance qu’il accorde à cette question, il est clair que Conrad souhaite que l’histoire globale influe, comme approche, sur l’ensemble des champs d’études historiques.

À l’instar d’auteurs tels que Jack Goody, Ashis Nandy et Dipesh Chakrabarthy avant lui, l’écrivain plaide pour une histoire globale s’arrimant à la décolonisation. À cet effet, son travail s’appuie sur de multiples concepts issus des études postcoloniales[20]. Suivant cette logique, l’auteur en appelle à écrire pour réduire les inégalités entre le Nord et le Sud, les inégalités de classes et les mécanismes d’exclusion[21]. Conrad se montre intéressé à penser le monde commun auquel peut contribuer l’histoire globale à l’écart du monde de significations imposé par l’impérialisme. Pour cette raison, le chercheur tente de se dissocier, au cours de ses premiers chapitres, de l’histoire globale produite au cours de la Guerre froide, des approches marxistes et de surpasser le paradigme ouvert par William H. McNeill. Sa synthèse identifie judicieusement les impasses dans lesquelles le courant postcolonial peut mener, comme verser dans l’afro-, le sino- ou l’islamocentrisme. La promotion d’une approche globale intimement liée à un regard critique envers le processus de globalisation est un aspect central de l’œuvre de Conrad, cette dernière arrivant à maturité dans son ultime chapitre. Pour lui, « one of the crucial tasks of global history is to offer a critical commentary on the ongoing globalization process[22] ». L’historien appelle également à dépasser les positionnements culturel, géographique et linguistique afin de comprendre la position des historiens. En ce sens, il se montre tout aussi intéressé par ce qui dépasse les frontières de l’Europe que par ce que les historiens non européens avancent au point de vue des idées[23]. Les exemples qui jonchent le fil des pages sont très bien appuyés. Ils sont choisis autour des champs d’expertise de l’écrivain, centrés sur le Japon et l’Allemagne. Néanmoins, ses exemples précèdent rarement les 15e et 16e siècles, qui marquent le début de la colonisation européenne. Ainsi, l’auteur reproduit dans sa critique de la globalisation une certaine part d’eurocentrisme. De même, il ne va que rarement mentionner l’Eurasie comme aire d’interaction commune, mais plutôt s’en tenir à une division assez classique entre les continents.

 

Quelques éléments critiques

L’analyse déployée tout au long de l’essai se situe principalement au plan discursif. Ce faisant, l’intellectuel s’inscrit dans une approche misant sur l’étude des représentations et des perceptions. Cela saute aux yeux en lisant son dernier chapitre (« Global history for whom? ») axé sur le langage, les hiérarchies dans les formes d’écriture, le public et la posture des historiens. Or, quelle est la place de la culture matérielle, pour Conrad, au sein de la méthodologie de l’approche globale? Il s’agit-là d’un angle mort important de son ouvrage. De plus, on ne peut passer sous silence le manque d’insistance de l’ouvrage sur l’utilisation des sources en histoire globale. En effet, l’approche globale doit-elle insister sur l’analyse de la culture matérielle ou sur le travail de synthèse ? Y a-t-il un équilibre à atteindre entre l’utilisation de ces deux éléments ? Alors que certains intellectuels ont par le passé maintes fois souligné ces limitations de l’approche globale, il est étonnant que l’auteur ne leur consacre qu’une si mince place, étant donné leur potentiel à remettre en question la faisabilité même de cette forme d’histoire. Ce thème aurait été d’autant plus cohérent considérant l’angle choisi par l’auteur, axé sur son application contemporaine. Mentionnons enfin que l’auteur lance gratuitement à plusieurs reprises des pointes envers l’œuvre de William H. McNeill, sans toutefois expliciter ce qu’il reproche à ses travaux. On se demande bien, à la fin de notre lecture, ce que Conrad peut bien avoir envers cet historien qui a tant ouvert le champ de l’histoire globale.

 

Cinq ans de réflexion

Chose certaine, malgré les limitations abordées, ce travail convient à toute personne intéressée à en savoir plus sur le développement de l’histoire globale et l’étude des dynamiques mondiales. Il s’agit d’une excellente porte d’entrée pour mieux comprendre les débats, limitations et objets de cette approche, ainsi que d’un exercice de synthèse réussi. En somme, quelle est la contribution de l’ouvrage de Conrad à l’historiographie contemporaine ? Peut-on dire qu’il a gagné son pari ? Trente ans après la montée en popularité de l’histoire globale comme champ disciplinaire, l’ouvrage de Conrad nous offre une belle synthèse du déploiement, de la méthode, des défis et de la pertinence de ce champ d’études. Ces travaux viennent offrir davantage de légitimité à cette approche encore contestée par plusieurs et poser les bases d’une nouvelle approche globale en dehors du paradigme de la Guerre froide. Cinq ans après sa publication, cet ouvrage a fait couler beaucoup d’encre et provoqué des discussions stimulantes au sein de la communauté universitaire[24]. Cela prouve hors de tout doute à quel point la francophonie gagnerait à ce que cette œuvre, d’une grande pertinence historiographique, soit traduite en français. Enfin, si Conrad ouvre son ouvrage sur les propos provocateurs de Christopher A. Bayly affirmant que tous les historiens sont des historiens du monde[25], l’auteur de cette synthèse aura réussi à prouver à son auditoire qu’effectivement, tous les différents types d’histoires doivent tendre la main à l’approche globale.

 

[1] William MCNEILL, The Global Condition, New Jersey, Princeton University Press, 2017, 200 p.

[2] Or ROSEMBOIN, The Emergence of Globalism, New Jersey, Princeton University Press, 2018, 352 p.

[3] Jurgen OSTERHAMMEL, Globalization: A Short history, New Jersey, Princeton University Press, 2009, 200 p.

[4] Sebastian CONRAD, The Quest for the Lost Nation: Writing History in Germany and Japan in the American Century, Berkley, University of California Press, 2010, 400 p.

[5] Sebastian CONRAD, German Colonialism; A short History, Royaume-Uni, Cambridge University Press, 2011, 246 p.

[6] Sebastian CONRAD, Globalisation and the Nation in Imperial Germany, Royaume-Uni, Cambridge University Press, 2010, 497 p.

[7] Sebastian CONRAD, What is Global History?, New Jersey, Princeton University Press, 2016, p. 24-31

[8] Ibid., p. 31-36

[9] Ibid., p. 129.

[10] Ibid., p. 108.

[11] Ibid., p. 129.

[12] Ibid., p. 136.

[13] Sebastian Conrad, « History on Tape – Interview with Sebastian Conrad », op. cit., 33 min 12 sec.

[14] Sebastian Conrad, What is Global History?, op. cit., p. 142.

[15] Ibid., p. 149.

[16] Ibid., p. 145, 147 et 159.

[17] Ibid., p. 119-121.

[18] Ibid., p. 161.

[19] P Ibid., p. 181, 186 et 233.

[20] Ibid., p. 172-173.

[21] Ibid., p. 184.

[22] Ibid., p. 216.

[23] Sebastian CONRAD, « History on Tape – Interview with Sebastian Conrad », Op. cit., 43m23s.

[24] Voir par exemple : Daria, TASHKINOVA, « Review: What Is Global History?” by Sebastian Conrad », Global Histories, vol. 2, no. 1, oct. 2016, p. 111–113 ou Emily, « What is Global History? by Sebastian Conrad (review) », Canadian Journal of History, Vol. 52, No. 2, autumn/automne 2017, p. 409-411.

[25] Sebastian CONRAD, What is Global History?, Op. cit., p. 1.

Deuil

Nous avons la douleur de vous faire part du décès de notre ami et collaborateur Philippe Norel, dimanche 8 juin. Fondateur de ce blog en janvier 2010, il a été un promoteur des plus rigoureux de l’histoire globale.

Aucun billet ne sera publié cette semaine.

2013 : l’histoire globale en revues

Nous allons boucler, ces prochains jours, la quatrième année d’existence du blog Histoire globale. Pour fêter cet anniversaire, un regard rétrospectif sur la production 2013 de revues et magazines en histoire globale (au sens large) s’imposait. L’année a été riche en productions titrées « globales », d’Actuel Marx à Cahiers d’histoire ou Esprit, en passant par la toute neuve revue Socio. On jugera à l’aune de la nouvelle année si on doit y voir le signe d’un éveil du global en sciences humaines.

En souhaitant une excellente année à tous nos lecteurs.

2013, du côté des revues :

Histoire globale, Actuel Marx, n° 53, avril-juin 2013. Voir le billet de Gabriel Vergne paru sur ce blog le 2 mai dernier.

Pourquoi l’histoire globale ? Cahiers d’histoire, n° 121, avril-juin 2013. Voir le billet de Vincent Capdepuy à paraître prochainement sue ce blog.

Penser global, Socio, n° 1, mars 2013. Brièvement évoqué dans la troisième partie du billet « L’histoire globale en débats »  et recensé par Christophe Rymarski dans Les Grands Dossiers des sciences humaines n° 31, sous le titre « une revue pour la pensée globale »

Difficile enseignement de l’histoire, Le Débat, n° 175, mai-août 2013. « Pourquoi est-il devenu si difficile d’enseigner l’histoire dans les classes du primaire et du secondaire ? », s’interroge Pierre Nora. Une question qui a suscité une réponse de Vincent Capdepuy sur Aggiornamento.

Les guerres de demain, Politique étrangère, vol. 78, n° 3/2013. L’évidence est statistique : le nombre de conflits armés ne cesse de décroître dans le Monde, au point qu’il n’a jamais été plus pacifié qu’aujourd’hui. Faut-il pour autant prophétiser la fin de la guerre, quand l’affaiblissement des États (garants de cette pacification), les difficultés de mise en œuvre des processus de sortie de conflit et la multiplication des guerres intra-étatiques (opposant un État à une organisation terroriste ou criminelle) peut à tout moment changer la donne ? Un second dossier, en explorant les conséquences de l’usage du drone armé, complète opportunément l’analyse d’un Monde pacifié et pourtant toujours violent.

Inventions des continents, Monde(s). Histoire espaces relations, n° 3, mai 2013. Sociétés coloniales. Enquêtes et expertises, Monde(s). Histoire espaces relations, n° 4, septembre 2013. La revue semestrielle Monde(s) a produit cette année deux numéros d’excellente facture. Celle qui se présentait, lors de la parution de son premier numéro en 2012, comme la première revue en France consacrée à l’histoire globale, tient ses engagements d’explorer de larges pans d’histoire(s) globale, internationale ou connectée.

Regards géopolitiques sur la Chine, Hérodote, n° 150, 3e trim. 2013. Désormais deuxième puissance économique et premier pollueur mondial, la Chine réémerge d’un long sommeil. Une première série d’articles ausculte les entrailles du géant, du défi colossal du développement de zones rurales abritant 600 millions de personnes à l’analyse de la législation et des mouvements sociaux internes poussant les entreprises à la responsabilité écologique. La seconde partie dissèque l’entrelacs des relations étrangères de la Chine, souvent marquées par des réactions à la stratégie diplomatique des États-Unis, avec Taïwan, le Japon, l’Inde, l’Asie centrale, l’Afrique… Instructif.

Les écologies politiques aujourd’hui (5) Chine, Écologie & Politique, n° 47, 2013. Un numéro qui complète utilement la lecture du précédent, en scannant le volet environnemental de la croissance chinoise. Car si les dégradations environnementales font rage, elles suscitent des mobilisations citoyennes innombrables, jugées comme périlleuses par le pouvoir. Celui-ci est pris entre plusieurs feux : comment se développer à toute force en épargnant la pollution à sa population ? Comment produire toujours plus de technologie verte en limitant sa dépendance aux métaux rares dont elle est gourmande ? En conclusion, un texte de l’historien environnemental Mark Elvin nous montre une agriculture chinoise historiquement plus productive que son alter ego occidentale avant le règne de l’industrialisation.

 Chine : regards croisés, La Pensée, n° 373, janvier-mars 2013. Pour comprendre trois aspects de la montée en puissance chinoise – son système financier, ses réformes politiques et sa structuration sociale –, La Pensée a choisi de publier à parts égales des chercheurs chinois et européens. Cela permet de dégager d’étonnantes divergences de vues sur les évolutions et les objectifs : ainsi, pour un État jugé autoritaire, mais qui se péroccupe du bien-être de ses citoyens, le terme de réforme politique renvoie davantage à une évolution prudente de la bonne gouvernance du peuple qu’à un partage démocratique du pouvoir. Le lecteur sort de cette mise en perspective plus lucide des difficultés auxquelles est confrontée le géant, et plein d’incertitudes quant à son avenir.

La santé globale, nouveau laboratoire de l’aide internationale ? Revue Tiers Monde, n° 215, juillet-septembre 2013. Voici venu « le moment de la santé globale », annoncent les coordinateurs de ce dossier Laëtitia Atlani-Duault et Laurent Vidal en introduction. Prenant une réelle dimension transnationale, marqué par de nouvelles logiques d’action visant à assurer une sécurité sanitaire optimisée à l’échelle mondiale, et particpant explicitement aux politiques néolibérales de développement, ce moment de la santé globale a aussi une histoire, qu’il importe de mettre en perspective. Les auteurs détaillent les politiques de lutte contre le sida en Afrique, la grippe aviaire en Asie, l’intégration des populations défavorisées aux systèmes de santé et le rôle des ONG. Un bon panorama d’un sujet d’importance, souvent négligé.

Comment faire l’histoire du monde ? Esprit n° 400, décembre 2013. On trouvera dans cette livraison de la revue Esprit une présentation à plusieurs voix de l’histoire globale et de l’histoire connectée. Philippe Minard s’efforce de repérer les caractéristiques de ces nouvelles façons de faire de l’histoire et propose une bibliographie ramassée sur le sujet. Romain Bertrand développe un plaidoyer pour l’histoire connectée contre les simplismes d’une certaine histoire globale tandis que Philippe Norel montre comment l’histoire globale interroge les pratiques et concepts des économistes.

2013, du côté des magazines :

 Venise médiévale. L’essor commercial et culturel de la cité des doges, Histoire National Geographics, n° 3, juin 2013. Coup de cœur que celui-là : ce bimestriel est un des multiples magazines apparus ces dernières années en histoire, concurrençant les traditionnels L’Histoire et Historia. Sa particularité ? Alors que tous les nouveaux-venus sont exclusivement axés sur l’histoire nationale française et reposent souvent sur les interventions répétées de certains essayistes ou chercheurs, Histoire National Geographics a fait le pari d’un équilibre entre histoire hexagonale et histoire-monde. Et même si cette dernière reste un peu enclavée du côté occidental, même si on y parle beaucoup plus souvent de Babylonie ou de Grèce que d’Asie orientale ou d’Afrique, le progrès est tellement manifeste par rapport à la concurrence qu’on lui pardonne volontiers ce défaut de jeunesse. Elle sait en tous cas solliciter de bonnes plumes, diversifier les signatures, soigner l’iconographie et prendre le nombre de pages nécessaire à l’exploration de ses sujets. Souhaitons-lui longue vie, de même qu’aux deux publications de qualité comparable que sont Carto et Diplomatie, axées sur la géopolitique pour le premier, les relations internationales pour le second.

L’an 1000. La première crise de l’Occident ? Les Cahiers de Science & Vie, n° 137, mai 2013. Un excellent numéro, en ce qu’il dégage comment une historiographie passée a popularisé l’idée que le milieu du Moyen Âge occidental était une période de crise, alors que les médiévistes soulignent aujourd’hui que c’était une période de changements ; que ce changement reposait sur la mise en connexions du Monde, favorisée par un optimum climatique (un réchauffement) – et même l’Amérique, avec l’excursion viking, entrait alors très périphériquement dans cette balbutiante mondialisation ; et surtout que de ce Monde, l’Occident n’était pas le centre, qui gravitait plutôt autour de la Chine des Song, de l’Inde des Chola ou du monde arabo-musulman.

Paradis et enfer. L’invention de l’au-delà, Les Cahiers de Science & Vie, n° 139, août 2013. Plus eurocentré que le précédent, mais quelques incursions dans les au-delà d’Orient, d’Islam et d’Afrique permettent de comparer avec des évolutions judéo-chrétiennes détaillées.

Les Mongols. Le plus grand empire du monde, L’Histoire, n° 392, octobre 2013. Consacrant la moitié de ce numéro à un dossier sur l’Empire mongol, L’Histoire a su y associer une volée de spécialistes anglo-saxons : un entretien avec Igor de Rachewiltz permet ainsi de camper le portrait de Gengis Khan, un autre avec Peter Golden les turbulances passées des peuples de la steppe… On y trouve tout ce qu’il convient de savoir sur cette étonnante aventure qu’a été l’expansion mogole, jusqu’à une description de son terme actuel : cette fièvre gengiskhanide qui a saisi la Mongolie depuis deux décennies, entre nostalgies nationalistes, produits dérivés et banalisation de l’image du conquérant.

L’Atlas des villes, Hors-série Le Monde/La Vie, n° 10, octobre 2013. L’aventure des Atlas Le Monde/La Vie continue. Ce riche numéro consacré à la ville, alors que le Monde compte désormais plus d’urbains que de ruraux, est toujours riche en contenu : articles courts et synthétiques, mise en perspective du passé, du présent et du futur proche, propos de spécialistes et cartographie inspirée fond de cette synthèse un outil utile.

La Chine. Des guerres de l’opium à nos jours, Documentation photographique, n° 8093, mai 2013. Rédigée par Xavier Paulès, une synthèse illustrée à l’usage des enseignants des deux derniers siècles d’histoire de la Chine, de son plongeon dans le chaos à sa présente ré-émergence.

Spécial Terre. En 30 ans tout a changé, Sciences & Vie hors-série, n° 9, octobre 2013. Centré autour de l’Anthropocène, prenant pour point de départ et comme réservoir iconographique la surveillance serrée qu’exercent les satellites sur la Terre, ce numéro prend de l’altitude pour mieux percevoir comment l’humanité transforme son milieu, par exemple au Koweît où, perceptibles depuis six ans de façon croissante sous formes de tâches noires gangrénant le désert, s’empilent les déchets. Les reculs des plages, des récifs coralliens, des forêts, des glaces, des mers intérieures, du permafrost ou des zones humides sont impitoyablement révélés par l’œil des machines. Il semble que l’Homme, nouveau Cain, ait mis un dieu technologique en orbite pour mieux lui rappeler ses fautes.

Mondes émergents, L’Atlas du Monde diplomatique hors-série, n° 5, 2012. Voici l’intrus de ce survol des revues et magazines publiés en 2013, en ce qu’il est paru en 2012 mais n’avait pas été recensé dans notre précédent panorama… Mais cet exhaustif atlas géopolitique est tellement bien conçu qu’il aurait été dommage de ne pas le mentionner.

La grande histoire de Dieu, L’Express hors-série, n° 1, décembre 2012/mars 2013. Aller-retour, « La grande histoire de Dieu » lève le rideau sur Abraham et s’achève dans les décombres syriens de la communautarisation. Entre-temps, au fil de plus de 200 pages, on aura pu prendre connaissance des grands épisodes de l’histoire monothéiste.

Ceux qui ont changé le monde, Historia Spécial, n° 11, mai-juin 2013. Ceux qui ont changé le monde… depuis l’Occident. Normal, leur choix résulte d’un sondage effectué auprès d’un millier de lecteurs du magazine. Trois exceptions : Gandhi vient au secours de la diversité, Mao siège pour la Chine et Nasser pour l’Égypte. C’est Marco Polo qui éclipse Gengis Khan pour symboliser le grand désenclavement du Monde. Sinon, on aura droit aux portraits de Colomb, Einstein, Galilée, Pasteur, Guillaume le Conquérant (ah, bon !), Hitler et Churchill, César, Lincoln et Washington, Lénine et Catherine II… Ah oui, il y a aussi Victoria, soit deux femmes, 10 % des effectifs. La surprise : ne pas y trouver Bouddha, passe encore, mais Mahomet ou Jésus ??? C’est tout simplement que la rédaction a choisi d’exclure les grands réformateurs religieux et les idéologues. D’où on déduira que Lénine n’était pas un idéologue mais avant tout un homme d’action, occupant la 3e place du podium de la notoriété mondiale établi par le comité éditorial. Le premier lauréat étant César, le deuxième Colomb.

Sciences Humaines a publié :

La nouvelle histoire des empires, Sciences Humaines Histoire, n° 2, octobre-novembre 2013

Vers un nouveau monde, Les Grands Dossiers des sciences humaines, n° 33, décembre 2013/janvier-février 2014.