Big History et histoire environnementale : à quelle échelle étudier l’histoire ?

« À quelle échelle doit-on étudier l’histoire ? La création d’une revue intitulée Journal of World History implique évidemment une réponse radicale : l’échelle géographique nécessaire est celle de l’espace mondial. Je voudrais défendre ici une approche aussi radicale en ce qui concerne l’échelle temporelle : l’échelle des temps à laquelle nous devons étudier l’histoire est celle de l’ensemble du temps. Dit autrement, les historiens devraient se préparer à étudier l’histoire à différentes échelles temporelles, l’une d’elles étant celle de l’univers – une échelle qui s’étend donc sur 10 à 20 milliards d’années. »

C’est par ce paragraphe de l’historien David Christian, extrait de son article « The Case for “Big History” » [CHRISTIAN, 1991], que s’ouvre l’un des textes fondateurs de ce qu’on appelle dans le monde universitaire anglo-saxon la « Big History ». L’expression n’a pas encore trouvé de traduction française satisfaisante. On utilise big history, ou « histoire environnementale »… Mais ce dernier sens n’est pas identique, et implique déjà une interprétation – et une restriction – du programme de recherche proposé par Christian.

Une grande histoire universelle

Selon la définition la plus consensuelle, la big history étudie l’histoire à une très grande échelle, du Big Bang à aujourd’hui. Elle est clairement proche de formes d’histoire comme l’histoire globale, la world history ou encore du concept classique d’histoire. Mais la big history dépasse les objectifs de ces autres approches en proposant un regard jusqu’au passé quasi inimaginable des origines de l’univers – ce que le paléoanthropologue et historien des sciences Stephen Jay Gould a proposé d’appeler « les temps profonds » [GOULD, 1987]. Les premiers enseignements universitaires de la big history datent de la fin des années 1980 (John Mears à la Southern Methodist University, Dallas, États-Unis ; Christian à l’université Macquarie, Australie). Le premier ouvrage important est celui de Fred Spier en 1996 : The Structure of Big History. From the Big Bang until today. On trouve aujourd’hui des chaires de big history aussi bien aux États-Unis (comme à la San Diego State University) qu’en Europe, par exemple à l’université d’Amsterdam (voir la présentation de la chaire « Big History » de l’université d’Amsterdam : www.iis-communities.nl/portal/site/bighistory).

Dans l’introduction de Maps of Time, un des livres de référence de la big history [CHRISTIAN, 2004], l’auteur défend ainsi ces nouvelles approches : « Essayer d’embrasser d’un regard le passé est pour moi comme le fait d’utiliser une mappemonde. Aucun géographe n’enseignerait sa discipline uniquement à l’aide d’un plan des rues d’une ville. Or aujourd’hui la plupart des historiens enseignent le passé de nations particulières ou de civilisations agraires sans même s’interroger sur le sens général du passé. Quel est donc l’équivalent temporel d’une mappemonde ? Peut-on créer un atlas des temps qui résume le passé à toutes les échelles ? » La structure même de son livre apporte une réponse à sa question. La partie I s’intitule « The inanimate universe », la partie II « Life on Earth », la partie III « Early human history: Many worlds », la partie IV « The Holocene: Few worlds » et la partie V « The Modern Era: One world ». L’ouvrage se termine par une dernière partie qui n’est pas anecdotique : « Perspectives on the future ».

Si en France le terme de big history est peu utilisé, cela ne signifie pas pour autant que des approches à très grandes échelles temporelles n’existent pas. On peut rattacher quelques auteurs à ce courant…, même s’il n’est pas sûr qu’eux-mêmes soient d’accord avec une telle étiquette. Ce pourrait être le cas du géographe Gabriel Wackermann avec son ouvrage Géographie des civilisations (Ellipses, 2008) et de Michel Serres dans certains textes comme L’Incandescent (Le Pommier, 2001), où le philosophe propose une sorte de mise en correspondance des différents temps de l’univers : « Alors que l’homme apparut voici sept millions d’années, le vivant voici quatre milliards et l’Univers treize, nos “humanités” peuvent-elles se restreindre à une histoire de quelques millénaires à peine ? » Deux auteurs se rattachent plus explicitement à une big history à la française : l’historien Henri-Jean Martin et le sociologue et historien Jean Baechler. Le premier, dans Aux sources de la civilisation européenne (Albin Michel, 2008), résume ce que l’ensemble des sciences humaines peut aujourd’hui dire de l’évolution humaine (dans le cadre géographique de l’Europe). Le second, dans Esquisse d’une histoire universelle (Fayard, 2002), découpe le temps humain en grandes phases – en commençant aux origines d’Homo sapiens – et tente d’y déceler les logiques qui permettent de comprendre l’apparition des grandes nouveautés dans l’histoire (le capitalisme, les empires, les civilisations matérielles chinoises et européennes par exemple…).

Évolution programmée ou non programmée ?

La big history peut-elle éviter le piège d’un regard « programmé » et téléologique d’un sens du temps ? Peut-on analyser l’histoire à une telle échelle, s’interroger sur le sens des évolutions sur d’aussi longues durées sans basculer dans la question du sens de ces évolutions (et non plus seulement de leur ordre et de leur interprétation rationnelle) ? En France, cette réflexion et ce piège sont bien connus du fait de la grande figure intellectuelle de Pierre Teilhard de Chardin (1). Jésuite et paléontologue français (1881-1955), codécouvreur du sinanthrope (2) en Chine à la fin des années 1920, intellectuel engagé pour faire évoluer l’Église sur la question de l’intégration de Charles Darwin à la pensée religieuse – intégration qui pour lui ne posait aucun problème –, il affirme dans l’ensemble de son œuvre, et plus particulièrement dans Le Phénomène humain (1941) l’unité spirituelle du monde. Selon lui, depuis sa création, l’univers est placé sur une flèche du temps qui le mène à son accomplissement (que Teilhard de Chardin appelle le « point Oméga »).

La prudence s’impose donc aux partisans de la big history. Il s’agit de décrire et d’analyser les processus de longue durée sans pour autant basculer dans l’affirmation d’une évolution programmée. On peut rattacher à leurs réflexions les derniers textes du sociologue allemand Norbert Elias, et particulièrement La Société des individus (1987) sur les liens entre complexification sociale et fabrication de l’espace social mondial : « À chaque passage d’une forme prédominante d’organisation peu différenciée et peu complexe, assurant la survie humaine et qui réunit un petit nombre d’individus, à une forme prédominante d’organisation plus différenciée et plus complexe réunissant un plus grand nombre d’individus, la position des individus par rapport à l’unité sociale qu’ils constituent ensemble – pour l’exprimer plus brièvement : le rapport entre individu et société – se modifie de façon caractéristique (…) : la portée de l’identification augmente. Le passage à l’intégration de l’humanité au niveau planétaire en est certes encore à un tout premier stade. Mais les premières formes d’une nouvelle éthique universelle et surtout la progression de l’identification entre les êtres sont déjà nettement sensibles. » C’est bien comme cela que la big history analyse les évolutions sociales planétaires sur la longue durée : elle met en évidence les processus non programmés qui déclenchent le mouvement généralisé de décloisonnement des sociétés et d’unification sociale mondiale qu’on appelle « mondialisation ».

Vers une géohistoire environnementale

C’est du côté de la géohistoire environnementale que se trouve peut-être aujourd’hui l’apport le plus intéressant de la big history. Dans The Human Web [2003], les historiens John R. et William H. McNeill proposent ainsi de voir l’histoire mondiale « à vol d’oiseau », orientant toutes ces approches novatrices vers une sorte de big history à taille humaine (où l’on n’est pas loin de la notion de longue durée comme exposée par Fernand Braudel). After the Ice: A global human history (20 000 – 5 000 BC) de l’archéologue Steven Mithen [2003] et 1491: New Revelations of the Americas before Colombus du journaliste Charles C. Mann [2005] sont deux des ouvrages qui vont le plus clairement dans cette direction.

– 20 000 a été la date du dernier sommet du dernier âge glaciaire. Et depuis cette date, l’humanité est entrée dans le jeu planétaire comme jamais aucun être vivant ne l’avait fait avant elle. C’est cette histoire de la « civilisation » (le dernier chapitre s’intitule : « Epilogue: The blessings of civilisations ») que Mithen suit sur 15 000 ans dans des perspectives proches de celles de Jared Diamond dans Guns, Germs and Steel [1997] – et d’ailleurs avec les mêmes ambiguïtés.

L’apport récent le plus significatif à une forme de big history qui tirerait du côté d’une géohistoire environnementale sur la longue durée est celui de Mann. Si une bonne part du livre est consacrée de façon assez classique à une réhabilitation des sociétés précolombiennes, le cœur de l’ouvrage n’est pas là. Dans trois longs chapitres consacrés à l’Amazonie (les chapitres 8, 9 et 10 : « Made in America », « Amazonie » et « Jungle artificielle, Mann argumente en faveur d’une vision qui ferait de l’Amazonie une forêt artificielle. « Comme les alentours de Cahokia (dans l’actuel Illinois) et le cœur de l’Empire maya, l’immense forêt amazonienne est un artefact culturel, un objet construit (…). De plus en plus de chercheurs en sont venus à penser que le bassin de l’Amazone portait lui aussi l’empreinte de ses premiers occupants. S’écartant du cliché de la jungle inextricable et éternelle, les scientifiques interprètent l’actuelle configuration de la forêt comme la résultante des interactions entre l’environnement et les populations humaines (…). Aux dires de Peter Stahl, anthropologue à l’université de New York, une foule de chercheurs pensent que ce que “la mythologie écologiste se plaît à considérer comme un univers primitif, pur et intouché, est en réalité le résultat plurimillénaire d’une gestion humaine”. D’après [Clark] Erickson, archéologue à l’université de Pennsylvanie, la notion d’“environnement construit” s’applique à la plupart des paysages néotropicaux, sinon à tous. »

Lorsque les sociétés indiennes prennent possession de ce qui est aujourd’hui le bassin de l’Amazone, le retrait des glaces est encore récent. C’est la savane qui occupe l’essentiel de cet espace. Au fur et à mesure du changement climatique, les sociétés amazoniennes – relativement denses à cette période – vont être capables de choisir, de sélectionner et de croiser les plantes et les arbres qui correspondent à leur vision du monde. Pour cela, pas besoin de haute technologie. Juste de temps. Comme le dit le géographe Roger Brunet dans un texte célèbre [2001] : « Tous les jours, les individus et les sociétés humaines créent de l’espace, se servent de l’espace, laissent des traces dans l’espace. (…) Ils magnifient et vénèrent des lieux, ils en maudissent d’autres. Ils salissent, et parfois nettoient. Ce ne sont pas les grands travaux qui font nécessairement les actions les plus fortes. Le pas le plus léger, s’il est répété, fait un indélébile sentier » C’est ainsi que l’action des Indiens en Amazonie peut être vue comme une sorte d’horticulture de basse intensité.

Et Mann de conclure : « S’il y a un enseignement à retirer de tout cela, c’est que notre compréhension des premiers occupants du continent ne doit pas nous inciter à ressusciter les paysages d’autrefois, mais à modeler un environnement qui convienne à notre futur. » Si la big history nous aide à comprendre que l’environnement est une construction sociale et que la nature peut être vue dans ce cas comme un projet politique, elle a clairement atteint un des objectifs majeurs des sciences sociales : penser efficacement le monde et permettre l’action politique.

Notes

(1) Voir ARNOULT Jacques [2005], Teilhard de Chardin, Perrin ; et le compte rendu dans EspacesTemps.net, « Teilhard de Chardin. Portrait d’une idole oubliée », octobre 2005, www.espacestemps.net/document1601.html

(2) Le sinanthrope vécut voici entre – 1 million et – 300 000 ans en Asie. Il forme un rameau d’Homo erectus, hominidé antérieur à l’Homme moderne.

CHRISTIAN David [automne 1991], « The Case for “Big History” », Journal of World History, vol. 2, n° 2, disponible sur www.fss.uu.nl/wetfil/96-97/big.htm ; si Big History s’écrit avec des majuscules dans les textes anglo-saxons, nous avons ici retenu la typographie française big history avec des minuscules.

GOULD Stephen Jay [1987, trad. 1990], Aux racines du temps. À la recherche du temps profond, Grasset.

CHRISTIAN David [2004], Maps of Time: An introduction to Big History, University of California Press.

MCNEILL John R. et William H. [2003], The Human Web: A bird’s eye view of World History, Norton and Co.

MITHEN Steven [2003, rééd. 2006], After the Ice: A global human history (20 000 – 5 000 BC), Weidenfeld & Nicolson, rééd. Harvard University Press.

MANN Charles C. [2005, trad. 2007], trad. par Marina Boraso, 1491. Nouvelles révélations sur l’Amérique avant Christophe Colomb, Albin Michel. Voir Nicolas Journet, « Les Amériques d’avant Colomb ont une longue histoire » sur www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=15471

DIAMOND Jared [1997, trad. 2000, rééd. 2007], trad. par Pierre-Emmanuel Dauzat, De l’inégalité parmi les sociétés. Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Gallimard, rééd. coll. « Folio ». Fiche de lecture sur www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=1445

BRUNET Roger [2001], Le Déchiffrement du monde. Théorie et pratique de la géographie, Belin.

NB : cet article a été publié pour la première fois dans TESTOT Laurent (coord.) [2008], L’Histoire globale. Un nouveau regard sur le monde, Éditions Sciences Humaines.

Ce que l’Homme a fait de l’Australie

Dans son livre Australia’s Mammal Extinction [2006], le biologiste Chris Johnson se demande pourquoi, quand on énumère toutes les disparitions attestées d’espèces de mammifères survenues depuis deux siècles, près de la moitié ont pris place en Australie. Ce qui l’amène à remonter à l’arrivée des premiers hommes sur ce continent, attestée à partir de – 53 000. Cette irruption a-t-elle bien, comme on le suppose communément, provoqué l’extinction de la mégafaune ? D’où le surtitre : A 50 000 Year History.

Au fil d’une belle enquête mêlant histoire environnementale et archéologie, il en arrive à la conclusion que, oui, c’est bien l’homme qui est responsable de ces deux vagues d’extinction – et que, pire encore, il serait une des principales causes de l’aridification générale de l’Australie. Arguments à l’appui. Résumons…

Un écosystème de survie

L’Australie est, en termes de relief, le plus érodé de tous les continents. À l’exception d’une petite activité volcanique limitée au nord-ouest du pays, le processus d’orogenèse (création de montagnes) est arrêté depuis plusieurs centaines de millions d’années. C’est donc un pays déjà aride, soumis en sus à de fortes variations climatiques, que peuplent les marsupiaux et secondairement les monotrèmes (1). Dans cet environnement, la sélection naturelle opèrerait une élimination des mammifères placentaires, qui consomment davantage d’énergie pour la reproduction (2). Seuls les chauves-souris, présentes très tôt, puis les rats et souris, arrivés il y a 4 millions d’années, parviennent à se tailler une place dans cet écosystème de survie.

Les premiers hommes découvrent un continent couvert de steppe alternant avec des forêts fragiles, regroupées autour de grandes rivières. Johnson estime qu’ils exterminent en l’espace de quelques milliers d’années la mégafaune herbivore ayant survécu à l’aridification préalable du continent, ce qui aboutirait indirectement et plus progressivement à la disparition des grands carnivores marsupiaux.

Une biodiversité érodée

Le centre semble peuplé dès le début, puis abandonné pour quarante millénaires. Probablement la disparition des grands herbivores amène-t-elle la steppe à dévorer l’espace, en proie à des incendies naturels. Ceci parce que cette mégafaune aurait consommé à grande échelle et donc nettoyé tant les arbres (en anglais, l’auteur évoque les browsers, de grands kangourous de 3 mètres de haut consommant les feuillages) que les herbes (comme ce wombat géant, comparable à un tapir, rangé dans la catégorie des grazers), et jouait donc jusqu’à son annihilation le rôle de frein face aux incendies. Conséquence probable : la disparition des dernières forêts, suivie de l’asséchement définitif des grandes rivières du centre.

Progressivement s’impose aussi une nouvelle variable humaine dans ce milieu fragile, attestée à grande échelle au moins dès le 4e millénaire avant notre ère : la pratique répétée, par intervalles d’environ deux ans, du brûlis parcellaire, ce qui facilite la repousse des racines et plantes comestibles ainsi que la multiplication du petit gibier.

Au final règne une flore hégémonique, sélectionnée par et pour le feu : spinifex (Trioda) en guise d’herbe, végétal qui a besoin de brûler pour se disséminer ; eucalyptus pour arbre dominant, car celui-ci est, de tous les végétaux ligneux, le seul à résister sans mal aux incendies répétés (à condition, comme on l’a vu ces dernières années, que les feux n’atteignent pas des températures extrêmes liées à la combustion de broussailles poussant sans contrôle). La biodiversité s’érode, puis atteint un point d’équilibre.

Il y a 10 000 ans, le niveau des mers commence à remonter. Il va réduire d’un tiers la superficie du continent. Poussés par leur démographie et le manque de terres, des Aborigènes réinvestissent le centre et s’adaptent avec succès au désert.

À ce processus succède l’arrivée du dingo voici 4 000 ans. Issu des chiens domestiqués dans l’Asie du Sud-Est, l’animal fréquente les campements des chasseurs-cueilleurs. Ces derniers, s’ils ne s’en servent pas comme aide à la chasse ou gardien, le consomment, ce qui contrôle son expansion et atténue les effets de son introduction dans le milieu naturel.

Les extinctions se poursuivent, à un rythme ralenti. Ainsi les derniers grands carnivores marsupiaux, le loup de Tasmanie (thylacine) et le diable de Tasmanie, disparaissent du continent australien lors des dix derniers siècles – peut-être suite à une amélioration des techniques de chasse avec l’adoption du propulseur.

Un avenir compromis ?

L’irruption des Occidentaux, au début du 19e siècle, fait l’effet d’une boule de bowling dans un jeu de quilles : le génocide puis la destructuration des sociétés aborigènes met un terme à l’entretien du milieu végétal par brûlis. L’introduction de millions de vaches et de moutons, la dissémination des lapins et des crapauds canne, et surtout la multiplication de superprédateurs (chats et renards) précipite au bord de l’anéantissement plus de la moitié des espèces indigènes. Au final, les superprédateurs sont la cause la cause majeure du triste record australien du nombre d’espèces de mammifères éteintes ces deux derniers siècles. De rares opportunistes tirent néanmoins leur épingle du jeu, tel le grand kangourou roux qui échappe à une extinction programmée grâce à l’instauration de grands espaces libérés pour le bétail, jalonnés de points d’eau artificiels.

Aujourd’hui, l’Australie paye le prix fort de cette anthropisation forcée et largement involontaire : monstrueux incendies de forêts, assèchement par prélèvement d’eau de la dernière grande rivière, la Murray. Son débit a été divisé par dix en moins d’un siècle, ce qui provoque une salinisation rapide des terres arables qu’elle arrose. Quand on sait que sur ces terres est produite la moitié de la production agricole du pays…

Un retour aux pratiques de brûlis aborigènes a été opéré dans les réserves naturelles depuis vingt ans, dans l’espoir de restaurer l’équilibre qu’avaient atteint les Aborigènes et faute d’être en mesure, suite à un appauvrissement massif des biotopes, de revenir aux équilibres préludant à l’arrivée de l’homme. Mais la machine à appauvrir la biodiversité semble encore bien emballée.

En conclusion, au terme d’un ouvrage qui, s’il avance de nombreuses hypothèses, a le mérite de dresser un récapitulatif de toutes les thèses (peu connues hors de l’Australie) qui ont précédé les siennes, l’auteur avance quelques pistes pour l’avenir. Elles reposent pour l’essentiel sur une gestion plus fine des espèces animales par la mise en place de dispositifs d’autorégulation. Par exemple : favoriser l’expansion des dingos dont on sait qu’ils affectent peu la faune locale, mais exterminent férocement les prédateurs concurrents comme les renards et les chats.

Notes

(1) Monotrèmes, marsupiaux, placentaires sont les trois groupes composant la classe des mammifères (animaux allaitant leurs petits). Les monotrèmes, apparus voici au moins 120 millions d’années, sont caractérisés par la présence d’un bec et la faculté de pondre des œufs. Ils ne sont plus aujourd’hui présents qu’en Australie et Nouvelle-Guinée, avec les échidnés et l’ornithorynque. Les marsupiaux, dont la présence est attestée dans l’hémisphère Nord il y a 115 millions d’années, ont une gestation très courte et mènent à terme la croissance de leurs rejetons à l’abri d’une poche. À quelques exceptions près en Amérique du Sud, on ne trouve plus de marsupiaux qu’en Australie, où ils ont très longtemps dominé la faune sans partage, en Tasmanie, en Nouvelle-Guinée et jusqu’à Sulawesi (Indonésie). Le troisième groupe, le nôtre, celui des placentaires, semble nettement plus récent que les précédents. Il a aussi besoin de plus de nourriture pour mener à bien une longue gestation.

(2) Il est à noter aussi que le mode de locomotion des marsupiaux sauteurs, tels le kangourou, est un modèle d’économie. En sautant, les organes digestifs sont propulsés vers le haut et compressent la cage thoracique, ce qui dispense l’animal d’effort musculaire pour respirer.

JOHNSON C. [2006], Australia’s Mammal Extinction: A 50 000 Year History, Cambridge University Press.