Dans un récent article qui porte sur le livre d’Alan Mikhail, God’s Shadow : Sultan Selim, His Ottoman Empire, and the Making of the Modern World, Sanjay Subrahmanyam s’en est pris assez rudement et de façon totalement gratuite à Romain Bertrand, alors même qu’il n’y a strictement aucun rapport avec l’ouvrage en question. Simple professeur de lycée, je n’oserai me comparer à eux, mais il y a des jours, toutefois, où on apprécie d’être très très loin de ces querelles qui dissimulent mal, derrière le débat scientifique, des enjeux de postes et de pouvoir. Mais l’envers des coulisses, même si cela peut avoir son intérêt dans la construction des savoirs, ne m’intéresse guère. Je constate simplement que Sanjay Subrahmanyam, parvenu au sommet de l’Olympe, foudroie les éventuels concurrents.
Romain Bertrand fait-il mal de l’histoire globale ? C’est la question posée par Sanjay Subrahmanyam. Enfin, ce n’est pas vraiment une question, mais bien une affirmation sans nuances : « une compilation hétéroclite de contenus non digérés extraits des travaux d’universitaires spécialisés, le tout enveloppé dans un emballage politiquement correct de tiers-mondisme ». L’attaque ainsi portée a surpris plus d’un lecteur. Sanjay Subrahmanyam qualifie Romain Bertrand de « politologue », rabaissant la valeur de ses travaux et lui déniant jusqu’au statut d’historien. N’étant pas moi-même reconnu comme tel, je ne porterai aucun jugement sur le travail de Romain Bertrand, même si j’en apprécie la teneur et l’écriture et que je n’y voie rien de « farfelues ». Que je ne sois pas toujours d’accord avec lui est sans rapport et participe juste du débat normal entre chercheurs. Là où je me permets de rendre publique mon indignation tient au prétexte de cette attaque personnelle : l’histoire globale. Pour deux raisons.
La première est que Sanjay Subrahmanyam ne fait pas d’histoire globale. Certes, il a été élu au Collège de France à une chaire « d’histoire globale », mais cette titulature est celle qui a été donnée par les administrateurs, et non par Sanjay Subrahmanyam lui-même : « histoire connectée » était tout simplement moins parlant pour le grand public. Comme je le rappelais à propos de sa leçon inaugurale, Sanjay Subrahmanyam n’a jamais caché sa réticence, voire son hostilité à l’égard de ce courant historiographique, arguant que seul le travail sur les archives compte. Pourtant, il me paraît acquis qu’il est absurde d’opposer histoire globale et analyse d’archives, de nier l’existence de sources permettant d’écrire une histoire de la globalité. On me rétorquera qu’il n’est peut-être pas nécessaire de faire soi-même de l’histoire globale pour critiquer un autre historien. Soit.
La deuxième raison est que Romain Bertrand ne fait pas non plus d’histoire globale. Là encore, ce n’est pas un scoop. Romain Bertrand, pour exactement les mêmes raisons que Sanjay Subrahmanyam, a toujours affirmé sa réserve, voire son dédain pour une histoire qu’il perçoit comme stratosphérique quand il aime à se mettre à hauteur des hommes et des femmes, à essayer de les comprendre par l’étude minutieuse des textes. C’est son talent. Romain Bertrand est un ardent défenseur de la microhistoire, à l’occasion un pourfendeur de la macrohistoire, si tant est qu’il faille associer macrohistoire et histoire globale. L’histoire connectée qu’il a promue, notamment dans le désormais très célèbre Histoire à parts égales, s’inscrit dans le prolongement de l’ethnohistoire de Nathan Wachtel et de Marshall Sahlins, et s’apparente en réalité aux propres travaux de Sanjay Subrahmanyam – ce qui est de toute évidence une des clefs de cette violente apostrophe. Néanmoins, les ouvrages de Romain Bertrand peuvent être utilisés par les tenants de l’histoire globale, notamment par sa démarche, qui vise à remettre en question l’européocentrisme traditionnel et à renouveler autant qu’à démultiplier les points de vue sur les faits. J’avais écrit un compte rendu en ce sens à propos de son livre Le long remords de la conquête, qui me semblait pouvoir être défini comme un « Montaillou mondialisé », mais cette lecture n’est pas le fait de Romain Bertrand lui-même. L’œuvre échappe pour partie à son auteur, ainsi va l’histoire.
Bref, l’attaque de Sanjay Subhramanyam est inacceptable et totalement injuste, pour Romain Bertrand, critiqué dans sa pratique professionnelle, et pour l’histoire globale elle-même.
Note de Laurent Testot, gestionnaire du blog Histoire globale : considérez ce message avec prudence, dans la mesure où il n’est pas signé et relaie des assertions à la limite du diffamatoire.
Tous les spécialistes en études asiatiques et particulièrement de l’Insulinde vous confirmeront que l’ouvrage de R.Bertrand est une imposture m. Apparemment il ne maîtrise aucune des langues anciennes dont il parle et se contente de recycler la littérature secondaire tout en ayant la prétention de révolutionner le champ. Je pense que c’est a ça que fait référence S.Subrahmanyam, qui, comme vous le dites très bien, est fortement attaché au travail en archives.
La teneur du message précédent est étonnante : une personne se disant compétente pour se prononcer sur la validité du travail de Romain Bertrand, mais qui ne donne pas son nom et ses qualités ?!? Même si j’ai validé la publication de ce post, j’aimerai savoir qui parle ? Sinon ça s’appelle du trolling… Bien à vous. Laurent Testot.