« Mondialisation », les aléas de la conscience contemporaine (2)

3. Les années 1970 : une mondialisation inquiète

Le début des années 1970 constitue incontestablement un tournant majeur dans l’histoire des relations internationales de la seconde moitié du 20e siècle. La crise s’installe, et comme l’écrit l’éditorialiste du Monde Pierre Drouin, elle est planétaire :

« La conscience d’une “planétarisation” économique s’est considérablement ravivée à l’occasion de la secousse énergétique. […] Un voile s’est déchiré grâce à la crise énergétique. On a dit, après les événements de 1968 : “Rien ne sera plus comme avant.” C’est aussi vrai cette fois-ci. Pour d’autres raisons. La vulnérabilité de l’Occident est apparue crûment, et l’assurance qu’il déployait sur la manière de sécréter la richesse en est fortement ébranlée. Ce qui conduira ses dirigeants, par la force des choses, à réfléchir sérieusement sur d’autres styles de croissance. Et à considérer que l’on vit sur “une seule Terre”, où les bonnes cartes ne sont pas toutes du même côté. » [1]

Le président de la République française Valéry Giscard d’Estaing également, dans un discours prononcé le 24 septembre 1974, à la cérémonie de clôture du colloque « Biologie et devenir de l’homme », s’interroge sur l’avenir :

« Dès lors, nous assistons à un changement progressif dans les mentalités : alors que le siècle dernier avait été caractérisé par le passage du problème de l’individu au problème des classes sociales, notre siècle sera sans doute marqué par le passage du problème des classes sociales à celui des classes mondiales, c’est-à-dire de l’espèce humaine. À nous de préparer la morale nouvelle qui en gouvernera la conduite, à nous d’inventer la morale de l’espèce au seul niveau où ce soit possible : celui du monde. Vous savez peut-être que pour moi, cette prise de conscience globale des problèmes de l’espèce est une des données qui doivent éclairer les grandes évolutions politiques et sociales. Or, nous assistons actuellement à une évolution surprenante : le phénomène de la mondialisation qui résulte normalement de l’évolution de nos sociétés se manifeste effectivement, parce que tout événement qui concerne un homme se répercute à notre époque sur les autres hommes, mais il se manifeste de manière inacceptable  la mondialisation de la violence précède celle de la pensée. » [2]

Les transformations sociales perturbent. En 1975, le géographe Maurice Le Lannou définit la « mondialisation de l’économie » comme « l’extension sans bornes des grands thèmes de la consommation, c’est-à-dire d’une sociologie de la jouissance et du loisir qui multiplie les clients éventuels de la firme » [3], et fait de la mondialisation une source d’inégalités et de tensions :

« Ces appétits nouveaux, bien légitimes, viennent donc paradoxalement accentuer les inégalités entre les nations. Ils renforcent la position des grands entrepreneurs industriels, qui ont soin de les entretenir par ce prodigieux moyen de domination qu’est la publicité, et ils appauvrissent les pays retardés en multipliant et en orientant leurs besoins. » [4]

Maurice Le Lannou s’interroge ainsi sur la possibilité d’une résistance à la mondialisation dans un compte-rendu du livre de Calogero Mùscara, La Société déracinée, sans pour autant vouloir céder à une vision rétrograde :

« Refaire l’homme-habitant ne veut pas dire restituer un âge d’or. Des cadres nouveaux ont été imposés aux sociétés humaines par un progrès qui conduit à la communication de masse et à la gigantisation. Il ne s’agit que de résister aux développements excessifs qui font du progrès lui-même un gaspillage, une pollution ou une injustice. » [5]

Plaidant pour l’enracinement des hommes, Maurice Le Lannou en profite pour défendre un certain enseignement de l’histoire et de la géographie, du passé et du lieu, contre la proposition de René Haby en faveur d’un enseignement peut-être plus conceptuel des « sciences humaines ».
En 1980, Maurice Le Lannou prolonge et réaffirme sa réflexion contre la mondialisation et la destruction des traditions :

« Beaucoup a été dit, et souvent fort bien, sur ces énormes mouvements qui bouleversent la physionomie traditionnelle du monde et singulièrement de notre Occident. L’urbanisation galopante, la “rurbanisation” – moins sournoise que jamais – des plats pays, les colossales migrations de travail qui tendent à devenir des transferts irréversibles, les cohortes fiévreuses du tourisme : en voilà les plus voyants. Tout cela sous le signe d’une mondialisation qui est devenue la marque péremptoire des économies et des sociologies de notre temps. En fin de compte, c’est la fin des espaces nuancés, des sociétés différentes, d’une image du monde complexe et bigarrée qui justifiait la géographie de naguère.

[…]

Ces processus de démantèlement du local et de mondialisation des affaires et des esprits apparaissent au gros de nos contemporains comme autant de libérations. Le mot n’est pas de moi, car je n’y crois guère. Libération à l’égard des milieux naturels ? Elle ne serait véritable que si les libertés acquises ne devaient se payer d’un prix fort lourd. On a beaucoup parlé de ressources pillées, de patrimoine sacrifié, de pénurie promise, pour peu que les hommes cessent d’inventer. Il faudrait mettre davantage en lumière le rôle des délocalisations dans la genèse des pollutions et à l’origine de ces catastrophes qui sont l’équivalent moderne, abondamment augmenté, des calamités naturelles d’autrefois. Beau travail pour une géographie active et appliquée ; physique et humaine, qui ne donnerait pas toute sa foi au technocrate !

Libération, nous dit-on aussi, quant à la condition humaine, politique, économique, morale. Je n’en crois rien. Il me semble que l’ancienne entente des hommes et des lieux garantissait aux premiers infiniment plus de liberté que ne leur en apporte l’actuel divorce, et que les pseudo-libérations d’aujourd’hui, par le démembrement des vieilles communautés éprouvées, les font retomber dans d’autres servitudes. Le renoncement aux vrais ensembles de naguère est singulièrement favorable à la mise en œuvre de pouvoirs occultes, anonymes et lointains qui, sous couleur de se rapporter à l’universel, échappent à l’humain. Des logiques totalitaires se substituent aux leçons tirées des lieux.
Libérations ? Je me demande plutôt si l’ère des dominations ne vient pas de s’ouvrir. » [6]

Sur le plan économique, le développement de l’industrie textile dans plusieurs pays d’Asie commence à se faire ressentir. En 1978, la journaliste Véronique Maurus développe une analyse critique de la mondialisation de la production et du marché textile qui pourrait aboutir à une condamnation du secteur en France si aucune mesure politique n’est prise [7].

En cette même année 1978, Gérard Delfau, membre du secrétariat national du Parti socialiste, dénonce la mondialisation comme stade ultime du capitalisme, et fait référence au Manifeste du parti communiste, souvent cité encore aujourd’hui comme une des premières analyses de la mondialisation :

« Il me semble que nos nations occidentales ont atteint avec les années 60 la pointe extrême du capitalisme, tel que Marx l’avait, par anticipation, décrit. La concentration du capital, s’appuyant sur le développement du machinisme, met en cause le droit au travail et fait de couches entières de jeunes des chômeurs hors statut social. La mondialisation des marchés, annoncée dès le Manifeste (1848), a sécrété, au-delà des États, ces phénomènes singuliers que sont les multinationales, et dont seul un poète, R.-V. Pilhes, dans L’Imprécateur, a su nous faire éprouver l’obscure menace.

La loi du marché, enfin, grignote tout ce qui est encore en dehors des circuits habituels de production : l’eau, l’air, la terre, l’éducation, l’information, les loisirs, sont devenus objets de spéculation, matière à publicité. On ne sait plus très bien où commence et où finit l’exploitation que la grande masse subit, tellement le temps et l’espace sont devenus valeurs d’échange. Et cela, pour nos pays de vieille civilisation industrielle.

Le gâchis est à une autre dimension pour des continents entiers comme l’Afrique et l’Amérique du Sud, où le pillage aboutit, souvent, au génocide. Mais de ces excès naît une protestation diffuse, qui vient chez nous s’ajouter aux formes classiques de la revendication sociale. L’écologie, un certain féminisme, les associations d’usagers, la mise en cause du rôle que jouent, dans nos vies, médecins et conseillers en tous genres, la critique du gaspillage, l’espoir, encore balbutiant, d’un nouveau modèle de croissance, ne me paraissent pas antagonistes de la grève traditionnelle. » [8]

La référence à l’ouvrage de René-Victor Pihles, L’Imprécateur, est intéressante car elle n’est pas unique (cf. billet antérieur). Le livre, paru en 1974, narre comment un homme, par ses imprécations, ébranle le siège social parisien de la multinationale américaine Rosserys and Mitchell. Une phrase, souvent citée, est censée résumer l’esprit de la mondialisation industrielle des Trente Glorieuses qui s’achèvent :

« Or c’était le temps où les pays riches, hérissés d’industries, touffus de magasins, avaient découvert une foi nouvelle, un projet digne des efforts supportés par l’homme depuis des millénaires : faire du monde une seule et immense entreprise. » [9]

Plutôt qu’un effondrement, on redoute surtout une « France à deux vitesses » :

« Le bouleversement économique et la politique menée depuis sept ans ont accentué le phénomène. Les contrats à temps partiel se multiplient dans le même temps où fleurissent les sociétés d’intérim. Du fait de la mondialisation des marchés, le fossé se creuse de plus en plus entre les entreprises actives sur les marchés extérieurs, disposant des méthodes de gestion les plus modernes et des cadres les plus “performants”, et les autres. Et ce, avec la bénédiction, voire l’appui, du gouvernement, dont la stratégie, plus ou moins avouée, consiste à aider les forts. Ce qui est vrai pour l’industrie l’est aussi pour l’agriculture. » [10]

Une dualité s’instaure : la mondialisation économique peut être subie, elle peut être aussi voulue. En 1978, François Grosrichard paraphrase ainsi une étude de la Datar, Villes internationales et villes mondiales :

« Le néologisme de “mondialisation” s’est appliqué vers les années 60 à des phénomènes aussi différents que la conquête spatiale, la dissuasion nucléaire, la crise des valeurs, les firmes multinationales, les moyens d’Information, la circulation des hommes, des marchandises ou des capitaux. Pourquoi ne s’appliquerait-il pas aussi aux cités ? Quand une grande ville se plie aux nouvelles caractéristiques de révolution économique internationale, mais surtout lorsqu’elle est capable d’anticiper ces mouvements, de les accompagner et d’en profiter, alors, elle accède au statut de ville mondiale. » [11]

Le paragraphe est riche d’enseignements. D’une part, le mot « mondialisation » n’est plus perçu, à la fin des années 1970, comme un néologisme ; d’autre part, il est déjà question de « villes mondiales », avec une analyse assez précise, portant sur des études de cas, et ce avant les travaux de Saskia Sassen généralement considérés comme fondateurs. La mondialisation, définie comme l’extension de l’internationalisation de la marchandise, de l’internationalisation du capital financier et de l’internationalisation de la production, et comme la combinaison de ces trois processus grâce au rôle moteur des grandes firmes multinationales, est considérée comme un processus essentiellement urbain :

« Face à ce mouvement de mondialisation, et à cause de lui, quelques villes jouent ou vont jouer un rôle mondial en ce sens qu’elles sont ou deviennent le lieu singulier de la définition d’un ordre socio-économique mondial et le moteur privilégié de sa diffusion. » [12]

Et François Grosrichard de conclure en s’interrogeant :

« À une époque où les responsables de l’aménagement du territoire semblent tous et presque exclusivement versés dans les dossiers, certes difficiles, de la France rurale, des provinces oubliées et des villages où il ne reste que des pierres, il n’était pas inopportun qu’on témoigne à nouveau quelque intérêt pour les villes. En effet, il serait dangereux, sur ce chapitre, de laisser la réflexion et la doctrine s’appauvrir en vieillissant. Dans quelques années, huit Français sur dix vivront dans des villes et dans leurs banlieues. Et comment croire qu’une nation peut tenir son rang dans le monde sans un réseau de grandes villes aux multiples renoms ? »

Le propos se retrouve sous la plume d’Henri Tezenas du Montcel, professeur de gestion des ressources humaines à l’université Paris-Dauphine et ancien collaborateur d’André Giraud, ministre de l’Industrie entre 1978 et 1981 :

« La mondialisation des échanges interdit l’isolement et contraint au renouvellement des méthodes de production et des fabrications elles-mêmes. » [13]

Il faut s’adapter !

Toutefois, dans ce contexte marqué par une défiance assez générale, on trouve une résurgence du mondialisme, défendu en 1977 dans les pages du Monde par Robert Mallet, alors recteur de l’académie de Paris :

« La population du globe en croissance exponentielle (malgré les chutes de natalité des pays dits développés, cause supplémentaire de conflits et d’invasions possibles), le gaspillage éhonté des ressources de la Terre, qui seront épuisées dans quelques décennies (malgré l’exploitation des fonds marins tout aussi épuisables que les continents émergés), la répartition anarchique des profits (le tiers de la population mondiale se partageant les 7/8e des richesses de la planète), l’aggravation continue du paupérisme des plus pauvres et de l’analphabétisation des moins instruits (les rapports de l’Unesco l’ont révélé), la prolifération des armes nucléaires (on dispose actuellement de quoi détruire un million d’Hiroshima), tout cela provoque d’immenses problèmes qu’aucun État, ni même aucun groupe d’États, ne saurait avoir la capacité de régler, tant pour sa gouverne qu’au nom de l’intérêt commun.

Ajoutons à ces facteurs de mondialisation subis dans l’involontaire communauté des épreuves toutes les raisons de se mondialiser dans le partage pas davantage prémédité mais bénéfique des sciences et des techniques appliquées à la santé, à l’information, à toutes les formes de communication. Nous assistons donc à une double mondialisation irrésistible : celle des problèmes qui n’ont pas encore trouvé de solutions, et celle des solutions qui ont déjà été adoptées par les forces des choses, autrement dit sous l’emprise de nécessités auxquelles aucune nation ne pouvait se soustraire. » [14]

La mondialisation est clairement définie comme un processus général, inéluctable, mais profondément ambivalent quant à ses conséquences. Quoi qu’il en soit, il semble alors qu’il n’y a pas d’autre choix que d’accepter cette situation nouvelle de l’humanité, « maintenant que nous y sommes… » [15].

 

4. Les années 1980 : la mondialisation financière

Le début des années 1980 commence par le « cri d’alarme » de Michel Charzat contre « la mondialisation sauvage » de l’économie française, « la déchirure du tissu industriel » [16]. Ce à quoi le gouvernement socialiste tente d’apporter une réponse :

« M. Jacques Delors reconnaît le fait de la mondialisation de l’économie, souhaite que la France ait des sociétés multinationales, et qu’elle investisse à l’étranger. Il se prononce contre l’idée d’une “économie duale” (où la France serait divisée en secteurs hautement compétitifs et industries moins performantes) et se prononce pour une “économie en continu” où tous les agents économiques sont utiles. “On ne peut bâtir le progrès social sur le sable économique.” C’est là une idée force du nouveau ministre dont les maîtres mots sont aujourd’hui : effort, rigueur, efficacité. »[17]

Position confirmée par le discours-programme de Pierre Mauroy :

« Notre pays est aujourd’hui engagé dans une nouvelle phase de mutations industrielles et technologiques. Les dures lois de la concurrence et de la productivité s’imposent à une économie ouverte qui s’insère dans la mondialisation des échanges. À nous de dominer le progrès, de dominer la machine. À nous de les mettre enfin au service de l’homme. À nous d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » [18]

Mais le doute n’est pas loin, comme dans cette autre déclaration de Jacques Delors dans une interview donnée au « Club de la presse » sur Europe 1 :

« Il faut bien savoir que chaque fois qu’on assume une tâche quotidienne, elle ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des grands défis des années 80, qui se résument à trois : la mondialisation de l’économie avec l’émergence de nouveaux compétiteurs ; une troisième révolution industrielle pour laquelle les pays européens ont cinq à dix ans de retard sur les États-Unis et le Japon ; la fin d’une période ou d’un modèle de régulation économique qui avait fait merveille pendant vingt-cinq ans dans les pays européens, avec des limites selon chaque pays. » [19]

Mais la mondialisation ne se réduit pas à l’économie :

« La mondialisation de l’information, des déplacements et surtout de la science introduit, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la possibilité et la nécessité d’une éthique non plus communautaire mais universelle, qui s’adresse, au-delà des particularismes ou des convictions locales, à l’espèce humaine elle-même. C’est cette éthique transcendante, visant à définir et à protéger les droits élémentaires de la personne humaine au regard de la révolution biologique et médicale, qui devrait inspirer le Comité. » [20]

La mondialisation est un fait général, que Maurice Le Lannou ne cesse de condamner :

« La mondialisation on dirait mieux la planétarisation des idées, des désirs, des vouloirs, et, de manière regrettable, des démarches spirituelles et intellectuelles d’une humanité qui, naguère encore, ne tenait pour vrai et pour désirable que ce qui était commandé ou suggéré par l’époque et par le lieu. Il faut aujourd’hui, pour convaincre les hommes, frapper vaste et fort. L’idée doit valoir pour le monde entier, et de plus en plus l’universel se confond avec l’univers. »[21]

« Mais nous sommes arrivés au temps des ruptures plus violentes. La mondialisation rapide des économies et des mœurs, fruit (ou cause ?) de la dislocation des communautés élémentaires et des délocalisations qui suppriment l’indigène et ruinent les solidarités proches de naguère, fait que le paysage, désormais enjeu et objet de conflit, cesse partout d’être banal, c’est-à-dire familier, pour devenir le siège d’une exploitation profitable. » [22]

Mais comme le rappelle André Fontaine, le Monde reste divisé :

« Le drame spécifique de notre époque, c’est que dans son aspiration à un ordre universel, aux dimensions du “village planétaire” cher à Marshall McLuhan, que justifie la mondialisation croissante des communications de toute nature, l’humanité se soit fragmentée en deux empires rivaux qui s’effrayent l’un l’autre et, faute de pouvoir écraser l’adversaire sans risquer l’anéantissement, se chipent sournoisement des pions. » [23]

Il n’en reste pas moins qu’un aspect plus particulier caractérise cette nouvelle période : la mondialisation financière. L’expression apparaît pour la première fois dans le journal Le Monde en 1987 à l’occasion de la privatisation de la Société générale [24].

En 1988, François Rachline s’interroge sur la remise en question du pouvoir des États :

« La transnationalisation des firmes et la mondialisation financière permettent aux entreprises et aux banques de se jouer des mesures gouvernementales en jouant des différentiels que les États font immanquablement naitre : différentiels d’intérêts et d’inflation bien sûr, mais aussi différentiels de réglementations. » [25]

La question de la gouvernance mondiale est ainsi reposée par Michel Beaud, professeur d’économie, fondateur en 1983 du Gemdev :

« Puisque la finance est incapable à elle seule de produire les régularités économiques permettant le jeu des mécanismes stabilisateurs de marché, une autorité centrale et un prêteur en dernier ressort sont indispensables. Ce rôle a, jusqu’à présent, été pour l’essentiel assumé par les autorités étatiques et bancaires nationales, mais, dans le contexte actuel de globalisation financière et de mondialisation, il devient écrasant : qui donc va désormais pourvoir le prendre en charge ? » [26]

Mais il ne peut que constater l’inertie contemporaine :

« Ainsi, comme pour les risques globaux environnementaux, nous nous trouvons avec la triple dynamique d’expansion, d’“archéisation” et de mondialisation financières, devant des risques tels que devrait être mise en place une capacité de gouvernance mondiale. Au lieu d’y œuvrer, les autorités en exercice en sont réduites à gérer une coopération dont l’efficacité tient principalement à la confiance que se doivent de placer en elle les acteurs financiers internationaux. » [27]

On notera au passage l’usage du mot « globalisation », mot français qui, au sens de « mondialisation », est cependant considéré comme un anglicisme, calqué sur le mot « globalization ». Celui-ci n’est d’ailleurs jamais utilisé dans Le Monde, et la seule référence qu’on puisse trouver, est une mention de l’article de Theodore Levitt, « The Globalization of Markets », paru en 1983 dans la Harvard Business Review [28].

De fait, l’expression « globalisation financière » s’impose comme une forme spécifique de la mondialisation à partir de la fin des années 1980. Il n’est pas tellement surprenant de trouver la première occurrence en 1988 dans un article de Christian de Boissieu [29], dont la carrière d’universitaire et d’analyste financier se déroule de part et d’autre de l’Atlantique, aux États-Unis et en France.

Notes

[1] Pierre Drouin, « Une “bonne” secousse ? », Le Monde, 29 décembre 1973.

[2] « “C’est à nous d’inventer une morale de l’espèce”, affirme M. Giscard d’Estaing », Le Monde, 26 septembre 1974.

[3] Maurice Le Lannou, « La géographie. L’ordre économique et la morale », Le Monde, 15 décembre 1975.

[4] Ibid.

[5] Maurice Le Lannou, « “La société déracinée” », Le Monde, 30 août 1976.

[6] Maurice Le Lannou, « La fin des paroisses », Le Monde, 24 juillet 1980.

[7] Véronique Maurus, « Textile : il ne suffit pas d’accepter l’inévitable », Le Monde, 24 janvier 1978.

[8] Gérard Delfau, « En ce printemps mouillé de la gauche… », Le Monde, 19 juin 1978.

[9] René-Victor Pilhes, 1974, L’Imprécateur, Paris, Seuil.

[10] « La France à deux vitesses », Le Monde, 13 novembre 1980.

[11] François Grosrichard, « Une étude de la DATAR. Un renom mondial pour la province ? », Le Monde, 3 mars 1978.

[12] DATAR, 1977, Villes internationales et villes mondiales, Paris, La Documentation française, p. 21.

[13] Henri Tezenas du Montcel, « Rénover la politique industrielle », Le Monde, 13 novembre 1979.

[14] Robert Mallet, « Ne pas être mondialiste, voilà l’utopie ! », Le Monde, 9 juillet 1977.

[15] Jean Provencher, « Maintenant que nous y sommes… », Le Monde, 7 juillet 1979.

[16] F.R. « Vive le plan… et l’investissement », Le Monde, 8 octobre 1980.

[17] Pierre Drouin, « Ministres et ministres délégués Économie et finances M. Jacques Delors : effort, rigueur et efficacité », Le Monde, 25 mai 1981 : citations extraites d’une interview donnée par Jacques Delors à l’Usine nouvelle, 14 mai 1981.

[18] « Le discours-programme de M. Mauroy », Le Monde, 10 juillet 1981.

[19] « Nous devons avoir la hantise du déclin déclare M Jacques Delors », Le Monde, 26 janvier 1982.

[20] Dr Escoffier-Lambiotte, « M. Mitterrand installe le Comité national d’éthique », Le Monde, 3 décembre 1982.

[21] Maurice Le Lannou, « Le décalage entre la science et la vie », Le Monde, 6 janvier 1984.

[22] Maurice Le Lannou, « Paysage et marginalité », Le Monde, 28 août 1984.

[231] André Fontaine, « Le temps de la vengeance », Le Monde, 9 novembre 1984.

[24] François Renard, « La Société Générale privatisée. Face à la mondialisation financière », Le Monde, 16 juin 1987.

[25] François Rachline, « La crise financière et les États débordés », Le Monde, 6 janvier 1988.

[26] Michel Beaud, « Brumes financières », Le Monde, 18 décembre 1990.

[27] Ibidem.

[28] Didier Pourquery, « À l’affût du consommateur européen », Le Monde, 15 octobre 1988.

[29] Christian de Boissieu, « L’innovation financière dans les pays en développement. Une nécessité à gérer », Le Monde, 3 mai 1988.