Journaliste et conférencier, j’ai récemment publié Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, dont je vais ici esquisser une brève recension. Depuis une douzaine d’années, je m’intéresse à l’histoire globale, une façon d’envisager l’histoire à très larges échelles, ainsi que je l’explique brièvement dans l’introduction de Cataclysmes (consultable sous GoogleBooks). L’histoire globale a été développée aux États-Unis depuis un demi-siècle, et elle est pourtant très peu pratiquée en France. Pour résumer : l’histoire globale est une méthode qui permet d’envisager de camper une histoire élargie, jusqu’aux dimensions du Monde, c’est-à-dire de l’espace habité par l’humanité sur notre planète. Cette méthode opère sur le temps long, sur de grandes distances, de façon transdisciplinaire et en variant les jeux d’échelle, du micro- au macro-.
Cataclysmes est un premier récit global, en français, des impacts de l’humanité sur la nature, et aussi des multiples façons dont la nature, altérée, a transformé le corps et même l’esprit des humains.
Cataclysmes est une synthèse de l’histoire environnementale globale, telle que l’on peut en prendre connaissance dans les livres des spécialistes anglo-saxons, enrichie des apports de certains ouvrages pionniers en France. Je me suis appuyé sur William McNeill, John McNeill, Alfred Crosby, Brian Fagan, Timothy Brook, Mark Elvin, Kenneth Pomeranz, Jared Diamond, David Graeber, pour ne citer que les plus connus, sachant qu’ils n’ont bénéficié que trop rarement de traductions en France. Du côté français, j’ai éclectiquement consulté les travaux de Philippe Candegabe sur les éléphants de guerre dans l’Antiquité, ceux de Pascal Picq sur les premiers hominines, ceux d’Alain Gras sur la Révolution industrielle, ceux de Fabrice Nicolino sur les perturbateurs endocriniens, et bien d’autres.
Pour autant, Cataclysmes n’est pas un patchwork. L’enjeu semblait en fait échapper à toute narration possible. Nous sommes devenus humains voici trois millions d’années, nous avons depuis transformé la planète entière. Comment faire tenir cela en 500 pages ?
En traitant cela comme un film, une épopée. Retenir certaines scènes, cruciales. En oublier d’autres, qui auraient masqué la progression de l’intrigue. En 17 chapitres, je livre des étapes fondamentales, introduites par des descriptions narratives illustrant les processus à l’œuvre. Rentrons dans la chambre noire.
Je postule que l’évolution de l’humanité a été marquée par sept Révolutions (Révolution avec majuscule SVP, car il s’agit d’un chrononyme, un moment historique – voir la liste des Révolutions sur GoogleBooks, en fin d’introduction), qui structurent notre histoire naturelle. Révolution corporelle ; cognitive : agricole ; morale ; énergético-industrielle ; médiatique ; évolutive. Chacune de ces révolutions a altéré notre morphologie ou notre psyché, et pesé sur la façon dont nous avons transformé le monde. Ce qui a entraîné des modifications en retour, la nature altérée nous confrontant à de nouvelles pressions évolutives.
L’approche environnementale globale permet de répondre à beaucoup de questions qui se sont posées à l’histoire dès le moment où elle a adopté une vision globale : comment Cortès, avec moins d’un millier d’hommes, a-t-il pu soumettre la confédération aztèque, une machine de guerre dominant près de 20 millions de sujets ? Le coupable est un processus biologique connu sous le nom d’Échange colombien, que l’on peut résumer par la formule « microbes contre nourriture ». Comme l’a montré Alfred Crosby, la déroute amérindienne résulte en premier lieu du fait que les Européens ont apporté avec eux des germes de l’Ancien Monde inconnus des Amérindiens : variole, grippe, peste, rougeole, etc., ont dépeuplé les Amériques. Des facteurs sociétaux (rivalités entre chefferies autochtones instrumentalisées par les conquistadores, travail forcé et regroupements de populations imposés par les Espagnols) ont fait le reste. Au 16e siècle, la population des Amériques centrale et andine s’effondre au dixième de ses effectifs initiaux. Et les aliments du Nouveau Monde – maïs, pomme de terre, patate douce, tomate, piment… – s’apprêtent à booster la croissance démographique de l’Ancien Monde.
Une autre question fondatrice de l’histoire globale est : pourquoi l’Occident a-t-il dominé le monde au 19e siècle ? Quand on s’est posé la question, il y a un siècle, au temps des colonies, la réponse semblait évidente : c’est que l’Europe détenait des valeurs morales qui la prédestinaient à exercer une magistrature sur le reste de la planète. Cette explication est évidemment passée de mode. On a alors supputé que c’est parce que les Occidentaux étaient les meilleurs tueurs, ou qu’ils avaient une supériorité écrasante en termes technologiques. C’est très partiellement vrai, mais cela ne suffit pas à expliquer, par exemple, comment l’Angleterre, 7 millions d’habitants, met sous tutelle les Indes, 150 millions d’habitants, au 18e siècle. Les raisons sont surtout conjoncturelles, à la fois environnementales, et aussi socio-économico-politique. Nous verrons prochainement, avec Kaveh Yazdani, comment on peut expliquer cette divergence.
L’environnement dicte le cadre des possibles, Si vous n’avez pas accès au charbon, vous raterez le coche de la Révolution industrielle. Si vous avez accès à des ressources en charbon, mais si votre système politique est déficient, si votre système économique n’est pas construit pour investir, si des voisins jaloux vous obligent à une lutte désespérée, et surtout si votre dynamique se révèle trop gourmande en ressources naturelles, il n’y aura pas la dynamique nécessaire. La Chine a connu une succession d’effondrements liés à une combinaison de ces causes, les plus spectaculaires opérant aux 12e et 19e siècles (les chapitres 7 et 12 de Cataclysmes sont partiellement consacrés à l’analyse de ces processus – voir aussi, sur l’effondrement de l’Empire des Song du Nord, ma récente contribution à Alternatives économiques, « Quand la Chine médiévale s’industrialisait »)
Cataclysmes apporte un recul historique sur nombre de problèmes qui se posent aujourd’hui avec acuité à l’humanité, du réchauffement climatique aux perturbateurs endocriniens, de l’agriculture intensive aux techniques de bioingénieurie, de la sixième extinction à la disparition des cultures traditionnelle, des potentiels des intelligences artificielles à la lutte contre les inégalités. Peu de journaux ont eu l’heur d’en parler à ce jour (liste ici). Dans les prochains mois, je publierai sur ce blog des approfondissements complétant différents chapitres de Cataclysmes, sur base de livres ou d’enquêtes journalistiques récents.
Pour commencer la réflexion, après avoir lu l’introduction et le premier chapitre de Cataclysmes (toujours, hélas, via GoogleBooks, il est possible de consulter la Table des matières de Cataclysmes. Et pour ceux qui se trouveront près de Brest le 25 août, je les invite à assister à une rencontre organisée par la librairie Dialogues qui, dans le cadre du cycle « Les Éclaireurs », invite un auteur à exposer ses travaux chaque semaine de cet été : Belinda Cannone, Irène Frachon, Gaspard Koenig, Michel Serres, Yves Coppens, Jean-Michel Le Boulanger, Nicolas Soulier…
Sur ce sujet on pourra également lire « Climate Changes in Prehistory.
Le directeur du Musée préhistorique de Terra AMata à Nice et son équipe ont pris « La préhistoire du monde » comme thème du prochain cycle de conférences 2018 2019, une vision globale de la préhistoire.
Un livre formidable, qu’on lit comme un roman, qui éclaire sur une marche inexorable, celle de ce singe qui en se complexifiant trouve toujours le moyen d’aller plus loin dans l’assujettissement des autres et de sa planète… Je cherchais des clés pour comprendre les différences de conception entre les américains du nord et les européens sur les aires marines protégées, afin de les réconcilier pour plus d’efficacité (mon job), mais finalement avant même d’être arrivée au bout du chapitre 13, je me demande si le singe ne s’est pas programmé durant sa longue évolution pour s’auto-détruire irrémédiablement. Passionnant quand même.