Le blog Histoire globale a maintenant deux années d’existence, et plus de 100 articles au compteur. Reprenant un usage initié l’an dernier, nous passons aujourd’hui en revue les publications journalistiques de l’année écoulée ayant trait à notre objet d’étude, sans prétention à l’exhaustivité, cela va de soi… On y parle de la Chine et de l’Afrique, des mondes perdus de Mésoamérique et de l’Ailleurs, de mondialisation et de cartographie, et on épice (un peu) d’épistémologie…
Ailleurs
Écrire l’histoire, n° 7 et n° 8, printemps et automne 2011, 140 p. et 15 € / n°.
Si nous devions décerner un prix de la meilleure revue de l’année en histoire globale, nul doute que cet excellent cru d’Écrire l’histoire, dossier « Ailleurs », l’emporterait haut la main. La revue réussit à dresser un panorama original des chantiers et débats en cours en France autour de cette notion d’Ailleurs, de l’état des études postcoloniales (exposé par Pierre Singaravélou) à la réception africaine du triste discours de Dakar prononcé en 2007 par Nicolas Sarkozy – souvenez-vous, « Le drame de l’Afrique, c’est que l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire… » –, en passant par la dialectique entre anthropologie et histoire. Mais elle expose aussi des pans amusants de ce qui fait l’essentiel de histoire globale universitaire hexagonale aujourd’hui, la microstoria réinvestie d’une perspective mondiale : on apprendra tout des préjugés de Jacques Attali sur le Japon, ou de l’exaltation romantique collective qui saisit l’Occident lors de la guerre de libération grecque contre l’Empire ottoman dans la première moitié du 19e siècle… Indispensable.
L’Atlas des minorités
Le Monde/La Vie, Hors-série, n° 6, automne 2011, 186 p., 12 €.
Regroupant les interventions de nombreux spécialistes, enrichi de près de 200 cartes, ce numéro offre une synthèse du phénomène minoritaire en 5 chapitres : « Qu’est-ce qu’une minorité ? » énumère les réponses, en brefs articles, de spécalistes (l’historien Pap Ndiaye, l’anthropologue Françoise Hériter, le sociologue Éric Fassin…) ; ce premier chapitre est suivi d’« Une longue histoire » malheureusement un peu courte (on n’y évoque que l’Europe – 4 articles –, le Dar-al-Islam – 3 articles –, l’Inde et la Chine étant réduites à la portion congrue d’1 article par pièce, le reste du monde ignoré) ; « Les mosaïques contemporaines », au contenu géopolitique plus étoffé, rattrape le vide laissé par le précédent chapitre ; de même que « Minorités issues des migrations », au contenu tout aussi géopolitique ; et « Tous minoritaires ? », des miscellanées qui ont le mérite de rappeler le scandale soulevé par l’exclusion de certaines minorités – ne mentionnons à cet égard qu’un article : « Les femmes dirigeantes restent rares », un constat qui vaut autant pour la France que pour le monde.
À signaler :
Dans la même collection, la réédition révisée d’un précieux Atlas des religions au printemps 2011.
Le Siècle chinois
Le Monde, hors-série, n° 26, octobre-novembre 2011, 98 p., 7,50 €.
La Chine, puissance émergente et/ou reémergente, a fait couler des torrents d’encre cette année. Parmi pléthore de publications, un bon hors-série du Monde scandé en trois parties : hier, aujourd’hui, demain. Au milieu de ce numéro, le chapô d’un article d’Étienne de la Vaissière, « Le temps où l’Empire du Milieu rayonnait », résume : « Soie, papier, porcelaine…, la Chine a dominé le commerce mondial pendant plusieurs millénaires. Après une éclipse de plus d’un siècle, elle retrouve aujourd’hui sa puissance perdue. » Pour l’évocation nostalgique d’anciens articles, lire Robert Guillain, « Les Martiens prennent Shanghaï », dans lequel le reporter s’amuse en 1949 de voir les trouffions maoïstes acquitter leur ticket de tramway dans la ville tout juste conquise… Un autre monde, décidément.
À signaler :
Pour nos lecteurs enseignants, le n° 1021 de TDC (Textes et Documents pour la classe), octobre 2011, titré La Chine : 2000 ans d’histoire, avec un bel article introductif de Marie-Claire Bergère.
L’Occident est-il fini ?
Courrier international, hors-série, n° 36, février-mars-avril 2011, 97 p., 8,50 €.
Le déclin de l’Occident, la chute de l’Empire américain, le passage d’un monde unipolaire à un monde multipolaire, les pays émergents… Vus d’ailleurs. Une belle revue de presse internationale pour dessiller notre regard. En prime, une série d’articles synthétisant les critiques portées à l’Occident depuis la Chine ou l’Amérique latine. Aussi urticant qu’instructif.
À signaler :
Historiens et Géographes consacre 80 p. de son n° 416 (oct.-nov. 2011, 19 €) à un dossier coordonné par Laurent Carroué, intitulé Crise et basculements du Monde.
Représenter le monde
Documentation photographique, n° 8084, 4e trim. 2011, 64 p., 11 €.
Ce numéro doit énormément au talent de notre ami Christian Grataloup, qui y campe une magistrale histoire des représentations du monde, de la Babylonie antique à nos jours. Pour un supplément, il est en sus possible de s’offrir les transparents des belles images et cartes qui ornent ce numéro (ah, voir enfin les œuvres de Fra Mauro ou de Matteo Ricci dans un format qui ne soit plus celui du poche !). En conclusion, Christian Grataloup questionne « Le bon “milieu” de la carte » : « Une figure plane a, qu’on le veuille ou non, un centre et des bords. Cette disposition induit une représentation mentale avec de la centralité et de la marginalité implicites. Tout le problème est de tenter de faire correspondre le milieu du planisphère avec la centralité de l’espace mondial. » Le discours est illustré avec la carte attribuée à l’Australien Stuart McArthur qui, las de voir son pays relégué aux marges, aurait commis en 1979 une carte « on top down under » positionnant l’Australie au centre et en haut. Au-delà de tels accès de fierté patriotique, il « reste à penser la dynamique en multipliant les figures possibles avec l’aide des évolutions techniques ».
À signaler :
Métropoles et mondialisation, d’Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo, Documentation photographique, n° 8082, 2e trim. 2011, 64 p., 11 €.
Un bilan du 20e siècle
Questions Internationales, n° 52, nov.-déc. 2011, 128 p., 9,80 €.
Mention spéciale au contributeur n° 1 du présent blog, Philippe Norel, pour son article intitulé « Le siècle de l’abondance », qui reprend différemment son billet « Le vingtième siècle au miroir de l’histoire globale ». À noter une très bonne synthèse de Pierre Grosser, au titre éloquent : « Un siècle de guerres, de massacres et de génocides ». Le tout complété d’un sommaire assez classique, avec un texte sur la troisième révolution industrielle, un autre sur l’Europe, un troisième sur l’hégémonie américaine, une synthèse sur « le siècle des médias »…
À signaler :
Diplomatie publie son Atlas Géostratégique, Les grands dossiers, n° 6, 2011, 100 p., 10,95 €.
Alternatives internationales pour L’état de la mondialisation 2012, hors-série n° 10, janvier 2012, 146 p., 9,50 €.
Les grands empires économiques
Capital/Histoire, hors-série, n° 1, mai-juin 2011, 106 p., 5,90 €.
Sous-titré « de l’Égypte antique à la Chine de 2011 », ce numéro réalisé par Patrice Piquard s’ouvre sur un entretien avec… Philippe Norel : « La domination de l’Occident a été surestimée ». Le sommaire s’étage en cinq parties : « La maîtrise du commerce » (Mésopotamie, cités-États européennes à la fin du Moyen Âge et Hollande du 17e siècle) ; « Le génie de l’innovation (Grèce ancienne mais aussi Chine des Tang et Song, Empire arabe, enfin Grande-Bretagne du 18e); « La passion de construire » (Égypte, empires précolombiens, Empire khmer, Empire moghol et… Louis XIV) ; « Les stratégies de conquête » (Rome, Empire mongol, Empire ottoman, Portugal et Espagne, et Japon du 20e); « La création d’un ordre mondial » (États-Unis, URSS, Chine). Un bel ouvrage richement illustré.
Incas, Mayas, Aztèques… Comment ont-ils conquis l’Amérique ?
Dossier Pour la science, n° 72, juillet-sept. 2011, 120 p., 6,95 ê.
Missiles Tomahawk, hélicoptères Apache, opération Geronimo pour éliminer Ben Laden… Non, les Amérindiens n’ont pas disparus de l’histoire, estime Loïc Mangin dans son éditorial. Outre les récupérations sémantiques qu’ils inspirent à l’armée états-unienne, ils ont fourni, avec les civilisations précolombiennes, « les fondations encore visibles de l’Amérique d’aujourd’hui ». Si le propos est ambitieux, ce numéro ne l’est pas moins, au point de faire figure de référence : les principales civilisations, les processus de peuplement, la navigation, le sacrifice, le jade, l’écriture, tout y est. Jusqu’à un entretien avec l’archéologue François Gendron, dont les propos sont titrés par le journal comme soulignant malicieusement la présence de « démocraties » précolombiennes ! Ceci dans la discutable mesure où les confédérations de cités-États mésoaméricaines, très improprement perçues comme des empires par les Espagnols, ont pu connaître des progressions sociales par le mérite guerrier – il est arrivé une fois, chez les Aztèques, qu’un fils d’esclave accède au titre suprême de tlatoani.
À signaler : L’or perdu des Amériques, un dossier de 14 p. paru dans le n° 779 de Sciences et Avenir, daté de janvier 2012, 4 €.
Les siècles d’or de l’Afrique
L’Histoire, n° 367, sept. 2011, dossier de 25 p., 6,20 €.
Surtitrant ce dossier d’un discutable « Moyen Âge » – peut-on vraiment parler d’une Afrique « médiévale ? », L’Histoire consacre un très beau et complet dossier à l’Afrique des 9e-15e siècles. L’islam met alors en contact le Continent noir avec le reste du monde, et lui fait prendre un tournant décisif : de puissants royaumes se constituent, et mettent en place des réseaux commerciaux qui les insèrent dans le système-monde eurasiatique. Mali, Éthiopie, Grand Zimbabwe sont les phares de cette nouvelle Afrique encore trop mal connue. Une belle synthèse.
À signaler :
La grande histoire des peuples arabes, un dossier de 95 p. publié dans L’Express, n° double 3155, 21 décembre 2011, 4,50 €.
Les terroristes. De Ravachol à Ben Laden, ont-ils changé le monde ?, hors-série Marianne/L’Histoire, août-sept. 2011, 98 p., 6,20 ê.
Aux origines du sacré et des dieux, Les Cahiers de Science & Vie, n° 124, août-sept. 2011, 114 p., 5,95 €.
Naissance de la médecine, Les Cahiers de Science & Vie, n° 121, février-mars 2011, 114 p., 5,95 €.
Les nouvelles histoires de l’homme, Sciences et Avenir, n° 772, juin 2011, un dossier de 12 p., 4 €.
L’histoire des autres mondes
Sciences Humaines, Les grands dossiers, n° 24, sept.-oct.-nov. 2011, 78 p., 7,50 €.
En toute immodestie, un numéro dirigé par votre serviteur pour explorer quelques pans des acquis récents de l’histoire mondiale. Y ont notamment contribués Jerry H. Bentley, Jack Goody, Timothy Brook, Sanjay Subrahmanyam, Kishore Mahbubani, Laurent Dubois, François Gipouloux, Brigitte Faugère, Éric Paul Meyer, Catherine Coquery-Vidrovitch, Pascal Depaepe, Hélène Guiot…
À signaler :
un dossier de 20 p. consacré à L’histoire du climat dans le n° 25 des grands dossiers de Sciences Humaines, titré « Affaires criminelles », déc. 2011/janv.- fév. 2012.
« L’histoire mondiale/globale, une jeunesse exubérante mais difficile »
Vingtième siècle, n° 110, avril-juin 2011.
Attention, ce n’est pas là le titre d’un dossier, mais d’un article signé par Pierre Grosser qui ouvre ce numéro de la « Revue d’histoire ». Adoptant un point de vue différent de celui que Chloé Maurel avait exposé pour « La World/Global History : questions et débats » publié dans le n° 104, oct-déc. 2009, de cette même revue, il défend avec conviction que « cette histoire n’est pas une exclusivité américaine, elle est loin de triompher, et elle suscite bien des interrogations ».
« Faire de l’histoire dans un monde globalisé »
Annales, vol. 66, n° 4, 4e trim. 2011.
Annales consacre son dernier cru aux « Statuts sociaux au Japon (17e-19e siècle) », et offre in fine un espace de 11 p. à Serge Gruzinski. À une réflexion historiographique sur les finalités de l’histoire globale, l’historien préfère une analyse de deux ouvrages de praticiens : Patrick Boucheron pour avoir dirigé Histoire du monde au 15e siècle, Fayard, 2010, et Timothy Brook pour Le Chapeau de Vermeer, 2008, trad. fr. Odile Demange, Payot, 2010. Le tout lui permet de conclure sur l’annonce de la parution de son prochain livre chez Fayard, qui aurait dû s’intituler La Guerre de Chine n’aura pas lieu. Pour une histoire globale de la Renaissance, et aura pour titre définitif L’Aigle et le Dragon. Démesure européenne et mondialisation au 16e siècle.
Nous reparlerons des destins respectifs de l’aigle (aztèque) et du dragon (chinois) à l’occasion d’une prochaine chronique, mais retenons la conclusion de Gruzinski en guise de vœux de bonne année : « L’histoire globale n’est pas une mode, ce n’est pas une discipline de plus, c’est l’irrésistible élargissement de nos horizons de chercheur et de citoyen dans un dialogue avec d’autres disciplines (P. Sloterdijk, S. Huntington) et d’autres formes d’expression : on a beaucoup à apprendre des cinéastes d’Amérique et d’Asie – Alejandro González Iñárritu, Tsaï Ming Liang – qui conçoivent des œuvres qui traversent les mondes et les cultures et l’on ne saurait négliger les moyens, autres que le livre, de divulguer cette relecture du passé. Enfin, l’histoire globale est aussi dans le Vieux Monde le révélateur des pesanteurs qui handicapent nombre d’institutions et d’éditeurs. »
À venir :
Les choses bougent doucement. Une revue francophone spécifiquement dédiée à l’histoire globale/mondiale/connectée/transnationale devrait voir le jour cette année : Monde(s). Histoire, Espaces, Relations sera publiée sur papier et en ligne (2 numéros par an) par les éditions Armand Colin. Le n° 1, programmé pour la fin mai 2012, dirigé par Sabine Dullin et Pierre Singaravélou, aura pour dossier « Le débat public transnational » ; le n° 2, dirigé par Pierre Boilley et Antoine Marès, publié fin novembre 2012, sera titré « Empires et monde ».
Ping : Revue de presse (10 January 2012)
merci pour ce tour d’horizon très intéressant. Je signale pour 2012 ou 2013 la publication prévue d’un dossier « histoire mondiale/globale » dans la revue Les Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique.