Un certain sentiment d’urgence

Nous reproduisons ci-dessous l’introduction de l’ouvrage Collapsus. Changer ou disparaître ? Le vrai bilan sur notre planète, Laurent Aillet et Laurent Testot (dir.), Albin Michel, 2020. Publié juste avant le début du confinement, il offre, en fédérant 40 contributeurs se demandant à quoi ressemblera notre futur proche, un panorama inégalé pour penser le monde d’après.

C’est peu dire que l’air du temps est à l’inquiétude. Depuis l’été 2018, l’avenir s’est assombri. Les scientifiques multiplient les alertes, écrivent noir sur blanc, dans les meilleures revues peer-reviewed, que le monde se transformera en désert à la fin du siècle si nous continuons à vivre comme nous le faisons. Des enfants, partout sur la planète, font grève d’école et manifestent leur angoisse pour que les adultes prennent conscience du futur qu’ils leur promettent. Le vivant se désintègre, étouffé par la pollution et l’extension de nos activités.

Il était urgent d’étudier la probabilité d’un ou des effondrements à venir ou peut-être en cours. De confronter les points de vue des penseurs et des praticiens des limites. Notre dernier ouvrage, Collapsus (1), est une enquête menée auprès d’une quarantaine d’auteurs, que nous avons sélectionnés autour d’une consigne : avoir l’esprit suffisamment ouvert au réel pour ne pas produire une vision hors-sol, sourde aux constats, un de ces contes lénifiants qui depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale nous serine que l’avenir sera rose bonbon, dopé par une croissance infinie. Pensons global ! C’est en tout cas ce que nous avons tenté de faire dans cette enquête kaléidoscopique décomposée en trois parties, avec d’abord un état des lieux, puis une revue des dynamiques en cours, pour terminer par différents points de vue sur les attitudes à envisager, ce que l’on pourrait appeler une « pédagogie de la possibilité d’effondrement ».

 

L’humanité aveuglée ?

Le constat est aussi factuel que violent : face aux alertes des scientifiques et aux cris d’angoisse des enfants, les décideurs, politiques ou économiques, ne bronchent pas. Comme s’ils ignoraient le théorème posé par l’économiste et philosophe Kenneth E. Boulding, selon lequel « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Or, et c’est là un postulat fondamental, tout système possède ses limites. Elles le définissent tout autant qu’elles le constituent et le contiennent. Notre civilisation occidentale moderne est un système, elle n’échappe pas à aux déterminismes physiques.

Le capitalisme, tel que défini par le philosophe Adam Smith dans son livre La Richesse des nations en 1776, repose sur ce principe de croissance économique infinie. Cette croissance n’a été rendue possible que par un « miracle » : la maîtrise des énergies fossiles qui ont stocké sous forme combustible et immédiatement disponible les calories de millions d’années de sédimentation du vivant. Nous vivons aujourd’hui dans un confort jamais vu dans l’histoire, en dilapidant le capital des ressources énergétiques de la Terre, et seul un flux toujours croissant d’énergie, alimentant toutes nos activités thermo-industrielles, autorise la croissance massive que nous connaissons encore à l’échelle de l’humanité. Mais les lois de la thermodynamique sont têtues, elles nous fixent deux limites prévisibles : en entrée, un flux nécessaire et toujours croissant d’énergie à sortir du sous-sol ; en sortie un flux inéluctable et toujours croissant de déchets.

Pour résumer, la boulimie d’énergie consubstantielle au fonctionnement de notre système, limité à l’espace clos d’une planète finie, implique mécaniquement qu’il se recouvre de ses propres excréments, pudiquement rebaptisés « pollution ». Un peu plus d’espace ou un plus d’énergie fournirait juste un plus de délai à l’inéluctable épuisement du système, mais ne changerait rien aux lois physiques, car celles-ci sont les limites intrinsèques du système ultime, celui qui contient tout le reste : l’univers.

Mais les limites qui bornent notre civilisation ne s’arrêtent pas là.

Par définition, l’utilisation de l’énergie modifie la matière. Le genre animal auquel nous appartenons, Homo, a lentement émergé, il y a seulement quelques millions d’années, d’un environnement auquel il lui a fallu s’adapter par la bipédie, et d’une matérialité qui a dicté ses possibles évolutions. Cette « matérialité naturelle » a lentement conféré à l’animal humain un gros cerveau réflexif, une capacité accrue de transformer la matière en outils et un langage évolué multipliant les capacités à coopérer. Cette matérialité naturelle a façonné, physiologiquement ou psychiquement, notre espèce Homo sapiens. Et de fait, notre civilisation ne fait que convertir cette matérialité naturelle en une matérialité artificielle. Cette dernière a été bricolée au fil des temps par les intelligences d’une multitude d’individus. Ils ont pu être plus ou moins géniaux et visionnaires, mais toujours mus par leurs émotions, bousculés qu’ils étaient par l’histoire et surtout limités par leur propre durée de vie. La vraie limite ne serait-elle donc pas à chercher plutôt au sein de cette intelligence humaine ? Elle qui collectivement et involontairement régit la transformation du monde, par exemple dans notre totale incapacité à appréhender la situation dans son ensemble, quelle que soit l’échelle à laquelle nous modélisons la réalité ? Ou, pour le résumer en une question : l’humanité sait-elle vraiment ce qu’elle fait ?

Il est facile de répliquer que la Nature, elle aussi, agit en aveugle. Oui, mais… La Nature, elle, se moque bien d’effacer l’expérience pour recommencer quasiment à partir de zéro, et les paléontologues nous apprennent qu’elle l’a déjà fait cinq fois sur cette planète. Ils appellent « extinctions de masse » des événements qui ont effacé chaque fois entre 75 % et 99 % du vivant de l’époque. De fait, la « Nature » n’est qu’un concept. Nous l’avons inventée pour tenter de modéliser notre univers proche et cadrer conceptuellement ce vivant qui nous fournit la totalité de nos ressources vitales : l’air que nous respirons, les substances organiques dont nous nous nourrissons, l’eau purifiée que nous buvons…

L’humanité, elle, est une réalité, notre réalité. Parler sérieusement de notre futur, c’est donc s’autoriser à questionner les effets de notre civilisation, et par là le système même qui la régit, n’en déplaise à ceux qui en profitent le plus et qui ont apparemment le plus à perdre. Mais ils risquent, comme tous les autres, de tout perdre si nous ne changeons rien.

 

De la nature des récits du futur

Le lecteur ne trouvera donc pas dans Collapsus un énième récit du « futur-qui-doit-advenir », prophétisé à partir de flux inépuisables d’énergie, de flots infinis de matériaux garantissant à tout humain sur Terre la jouissance d’une voiture électrique connectée, d’économie circulaire recyclant 100 % des déchets et bientôt de transfert de consciences, que l’on aimerait depuis bien longtemps éternelles, dans des disques durs. En l’état de nos connaissances scientifiques, et pour rassurants qu’ils soient, de tels récits sont des fictions pures, détachés des contingences.

Nous allons, tout au contraire, essayer de cerner au plus près les futurs possibles. Car il s’agit de restituer autre chose que les habituelles téléologies, ces constructions idéologiques décrivant à rebours comme certain un avenir préconçu. Ces prédictions, fortement encadrées par les hypothèses sélectionnées par leurs auteurs, sont trop souvent censées nous guider depuis notre présent jusqu’à cet avenir encore inexistant. Or s’il est une chose que l’étude des prédictions passées nous prouve, c’est que l’histoire se montre toujours indocile. En ces pages, coexistent donc des opinions apparemment irréconciliables, qui toutes ont droit de cité, car elles ont quelque chose à nous apprendre sur la complexité du futur perçu d’aujourd’hui.

Quelles forces décident de la validité d’un récit ? Quels peuvent être nos choix ? Avons-nous prise sur le futur ? Si oui, comment procéder pour faire les meilleurs choix ? En rassemblant des points de vue depuis le présent, ainsi que sur quelques devenirs possibles, d’auteurs de diverses origines : universitaires, experts, journalistes, politiques, militants associatifs ou même simples citoyens engagés, ce livre ne vous proposera aucune confirmation de l’avenir… mais il vous éclairera sans nul doute sur l’état de la planète et ses trajectoires plausibles. Car chacun des contributeurs s’est efforcé d’établir sans déni ni mensonge un diagnostic aussi lucide que possible ; d’éliminer le parasitage de la propagande des intérêts particuliers ; de comprendre les dynamiques en cours sans les confondre avec ses propres craintes ou espoirs ; et d’en déduire une ligne de conduite la plus compatible possible avec ce qui fait de nous des êtres humains. Leur travail collectif de réflexion permettra, nous l’espérons, d’esquisser des pistes d’action réalistes, de nous permettre de progresser le plus en confiance possible vers un futur se dessinant à chacun de nos pas.

Le résultat obtenu est forcément incomplet. Il peut aussi résonner comme quelque peu cacophonique. Mais il est ainsi conçu justement pour bousculer les idées reçues. Pour montrer que bien que certains déterminismes soient très puissants, il existe encore différentes interprétations du futur. Tous les récits peuvent et doivent être interrogés, ceux qui sont ici présentés, ainsi que ceux qui ont été écartés ou oubliés. Les réflexions des auteurs sollicités sont évidemment bien plus largement explorées dans leurs propres ouvrages, ouvrant vers d’autres horizons, d’autres auteurs et d’autres réflexions pour lesquels il manquait la place dans le présent ouvrage, ne fût-ce que d’une mention. Ce que vous tenez entre les mains est un guide de lecture du présent, un pavé jeté dans la mare de la réflexion, pas une encyclopédie du futur, qui, de toute façon, deviendra aussi vite obsolète que l’histoire trouvera son chemin.

 

Une réflexion vitale

Ce qui importe, c’est que la quête entamée en ces pages est devenue totalement vitale. Car nous voici déjà rendus à l’heure où les injonctions paradoxales, telle « Il faut choisir entre la fin du mois et la fin du monde », fleurissent dans la confusion générale. Ce moment de bascule politique où les protestations des jeunes d’Extinction Rebellion ou des Gilets jaunes ne récoltent que des jets de grenades lacrymogènes en guise de réponse. Si les discours à propos d’un futur encore à venir provoquent déjà en nous autant d’émotions et de réactions violentes, c’est qu’ils sont enjeux de pouvoir. Car celui qui a réfléchi au futur qu’il veut raconter, sait imposer aux autres son récit et contrôle les actions à venir. Défier les mythes dominants au motif qu’ils sont incompatibles avec les limites physiques propres à garantir, sinon le confort, du moins la survie des générations futures, est un acte risqué, qui engage le politique dans ce qu’il a de plus vital.

Comment se fait-il qu’une minorité puisse proclamer avec conviction que le futur de l’humanité se fera dans le transhumanisme, une transcendance technologique post-humaine plus ou moins partagée par tous, et que dans le même temps une autre minorité nous annonce une fin sombre et nébuleuse à plus ou moins brève échéance, tandis que l’immense majorité aspire tout simplement au confortable statu quo d’un scénario business as usual (« comme d’habitude ») de marketing prospectif ? Cet ouvrage se place dans l’ombre grandissante des limites planétaires. Il souscrit majoritairement, mais pas seulement, au choix de démonter le récit dominant, selon lequel tout devrait aller pour le plus grand avantage de tous dans le meilleur des mondes, et que, si des inconvénients perdurent, des solutions n’attendent qu’à être mises en œuvre par des élites dites éclairées. Si l’on prend au sérieux les avertissements quasi unanimes des scientifiques qui prennent le pouls de notre planète, au moins de ceux qui observent le climat et la biodiversité, il semble bien que le champ des possibles se réduise.

Il est symptomatique aussi de devoir souligner que, pour traiter cet ensemble large de réflexions, fondées sur des constats scientifiques et interdisciplinaires, les médias se soient rués sur l’étiquette de « collapsologie ». Ce terme, inventé très récemment par l’ingénieur agronome et essayiste Pablo Servigne et ses coauteurs Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens, a connu un succès inattendu. Il a accompagné la diffusion croissante des théories de l’effondrement ; mais, en cette ère de commentateurs de plus en plus contraints dans la longueur de leurs explications (maximum 280 caractères sur Twitter), il a été souvent dévoyé de son sens original, qui appelait à une enquête scientifique multidisciplinaire sur ces phénomènes, pour devenir parfois la cible d’un déni médiatique. L’étiquette de collapsologue a fait florès avec une rapidité que ses créateurs n’avaient pas prévue, et l’on peut regretter que son détournement ait pu permettre de disqualifier un propos venant perturber nos conceptions rassurantes d’un futur associé au progrès. Le succès des collapsologues dérange d’autant plus que leurs positions rencontrent une audience croissante dans la population, tout particulièrement chez les jeunes, ceux à qui le futur était justement censé appartenir. Précisons bien qu’aucun des auteurs rassemblés en ces pages – y compris lesdits collapsologues eux-mêmes – ne postule pour autant l’inéluctabilité d’un effondrement, loin de là. Toute la réflexion que l’on peut qualifier plus largement d’« effondriste » recouvre des pensées qui, si elles ne font pas de l’effondrement de la civilisation une certitude, s’attachent à en explorer la probabilité. Cette probabilité restera élevée tant que nous persisterons sur les trajectoires décrites dans ce livre, tissées de réchauffement climatique, d’érosion des biotopes et d’aveuglement collectif sur les pénuries prochaines.

De plus en plus d’individus se sentent interpellés et prennent en considération ces avertissements dans leurs choix quotidiens. L’accumulation de mauvaises nouvelles rend de plus en plus difficile le déni du réel. Les vieilles mythologies du futur peinent à enchanter encore, et le risque grandit qu’un sentiment d’impuissance ne plonge ces individus dans la dépression ou la colère. Il devient donc très important pour chacun de bien identifier les phénomènes de toute nature qui agitent notre société, pour pouvoir se positionner en toute conscience par rapport aux injonctions souvent ignorantes, parfois manipulatoires, si ce n’est mensongères de ceux qui souhaitent notre assentiment à leurs projets. Si nous ne voulons pas que notre avenir soit dessiné par des forces ignorant nos existences, il faudra bien que d’une façon ou d’une autre nous puissions construire et partager une vision commune. Ne serait-ce que pour avoir quelque chose de sensé à répondre à nos enfants quand ceux-ci s’éveillent à l’angoisse d’être privés d’avenir.

L’histoire d’une façon générale, tout particulièrement celle du 20e siècle, nous enseigne que lorsque les sociétés refusent de voir le fossé qui se creuse entre leurs aspirations existentielles et la réalité, la porte du futur s’ouvre béante sur les pires horreurs. Nous espérons évidemment que les décideurs auront la chance et le courage de lire ce livre jusqu’au bout, mais surtout que les lecteurs de cet ouvrage se sentiront mieux armés pour envisager l’avenir et… ne plus s’en laisser conter !

 

Laurent Aillet et Laurent Testot

Table des matières de Collapsus (pdf)

Laurent Aillet est consultant en résilience, expert en risques industriels.

Laurent Testot est journaliste scientifique, écrivain et formateur.

 

Une réflexion au sujet de « Un certain sentiment d’urgence »

  1. HOMO SAPIENS VENENUM
    Pourquoi l’homme n’examine-t-il pas avec sérieux les raisons qui font que ses actions détruisent tant autour de lui, au point de l’empoisonner lui-même ? La Nature, elle, n’a qu’un seul objectif, la reproduction, et il n’est qu’à courts et moyens termes. Court, de la fertilisation à la parturition. Moyen, de quoi amener, dans une sécurité et une condition physique suffisantes, à la période de reproduction. Pour ce faire elle multiplie frénétiquement les mutations et les espèces. Or la Sélection Naturelle nous a dotés de la conscience-réflexe destinée à nous assurer les meilleures chances de remplir cet objectif en prolongeant et en amplifiant une évolution déjà amorcée chez certains primates supérieurs. En ouvrant la voie au développement aléatoire d’une personnalisation du corps elle aura accru le sentiment de dualité. Ce dispositif est différent du simple instinct, et combiné à un côté joueur, curieux et créatif il aura enclenché un phénomène cataclysmique dont l’humanité risque de faire les frais. Qu’elle en ait longtemps bénéficié est un sujet de débat, autant que dépendant du point-de-vue…
    Car les caractéristiques dont nous sommes dotés nous amènent à peser sur le long terme, et souvent de la pire des manières. Notre capacité à développer notamment des matières de synthèse et notre incapacité à en planifier une utilisation avisée, accumule les causes de destruction. Car nous sommes oublieux des leçons du passé et dépourvus de toute capacité de prévision fiable. L’IA, ce concept qui n’est qu’un extenseur, multiplicateur et accélérateur d’une pensée humaine mono-séquentielle lente, pourrait peut-être aider à compenser nos faiblesses en la matière. Las, utilisant les résultats d’un ‘’big-data’’ escroqué, cette technique algorithmiquement multi-prévisionnelle a peu de chances de nous aider. Pour des raisons évidentes dont la moindre n’est pas qu’elle ne sera pas orientée dans ce but par les détenteurs des données lui permettant de fonctionner, et ne trouverait en toute occurrence pas de consensus dans le choix des actions à mener.
    En réalité le problème est dans le comportement même de l’homme, et dans cette conviction égocentrée qu’il a d’avoir le ‘’droit par nature’’ de piller la biosphère. Et cela sans le moindre devoir de compensation, la Nature étant supposée s’auto-régénérer. Très gros consommateur d’énergie sous toutes ses formes dont largement fossiles, il est logique qu’il restitue les déchets toxiques de cette boulimie à une allure colossale. Grâce à une amélioration de l’hygiène et des traitements médicaux, ainsi que par une alimentation plus abondante, même si de moindre qualité, la population humaine mondiale est devenue, en quelques décennies, pléthorique. La propension à consommer, d’abord centrée en Occident est devenue mondiale et exponentielle. Par contre la Société, tout en favorisant la diminution de la fertilité, reste braquée sur le concept de protection de la vie des individus, alors qu’il ne s’agit que d’existences. La Vie, qui les anime certes, est apparue il y a bien longtemps et se prolongera probablement pour de longues années encore, évoluant peut-être vers des formes moins énergivores.
    Nombreux sont ceux qui ont pris conscience de toutes ces aberrations. Certains changent le cours de leur vécu avec conviction, mais avec peu d’impact planétaire. Les Etats, qui devraient prendre les mesures les plus significatives, sont eux embourbés dans les conflits d’opinions partisanes ou dirigés par des sceptiques soumis aux lobbies et/ou à des ego surdimensionnés. Fréquemment financièrement exsangues, ces entités sont peu efficaces et désespérément lentes dans leur action.
    Les perspectives qui sont réservées à l’humain sont difficiles à évaluer, mais les jeunes sont de plus-en-plus anxieux de leur avenir d’hommes et femmes et de celui de leurs enfants. Suivant le point-de-vue leur angoisse est justifiée, ou au contraire un nouvel destin, un transhumanisme glorieux, est promis à l’Humanité… A chacun de se faire sa conviction. Mais si on se réfère aux avertissements…‘’peu seront élus’’.
    Beaucoup voudraient enfin en avoir le cœur net et comprendre pourquoi une humanité pleine de promesses en est arrivée là. Que ceux-là se posent la question séculaire : ‘’Connais-toi toi-même’’. Se reconnaître en tant qu’issu d’une unité primordiale et non au travers d’apparences physiques et dans les multiples méandres psycho-cryptés de personnalités socioculturelles. Tenter ainsi de briser les chaînes de la conviction duale qui nous précipite dans un monde d’oppositions, de brutalités, d’injustices, et de cupidités, même si au milieu des ruines poussent quelques fleurs des champs.
    Bien sûr notre marquage génétique ne changera pas. Il n’est pas question de forcer une mutation, qui a d’ailleurs peu de chances d’apporter la correction souhaitée. Mais il est temps que nous apprenions qui nous sommes.
    La manière la plus évidente est d’observer le parcours existentiel usuel. Trois étapes d’identifications s’additionnent et nous convainquent de dualité, et en ça nous abusent.
    0. L’embryon, doté d’une combinaison ADN aléatoire, naît muni d’un statut d’êtreté non définie qu’on pourrait appeler une conscience-base. Elle relève plutôt de la cognition corticale primaire et permet notamment la localisation dans l’espace dont bénéficient la plupart des animaux. Comme eux, l’homme vient à l’existence en totale dépendance de l’environnement. La mère (stricto sensu, puis mode étendu) lui fournit ce dont il a besoin pour se développer. Mais très tôt des hiatus vont survenir, dus aux besoins essentiels non immédiatement satisfaits. Or tout notre fonctionnement cérébral est guidé par l’alternance des perceptions de désagrément et de celles de satisfaction.
    1. A l’issue de cette première étape s’installe une impression de séparation. C’est ici que le génome humain se différencie de nombre des précédents. La dualité entre ce qui fournit les satisfactions primaires et le sentiment de leur manque fonde la Conscience-réflexe, le ‘’Je’’, premier degré de l’identification.
    2. Ce ‘’moi-je’’ va se chercher un enracinement. Ce seront les sens, transmetteurs vers le système nerveux central des messages perçus tant en interne que dans l’environnement qui vont imposer, par défaut, cet ancrage. Ainsi s’affirme la somatisation, l’identification au corps.
    3. Vient ensuite le stade de la particularisation spécifique. Par une succession de définitions allant des identifications administratives à la lecture interprétative du regard des autres en passant par les fêtes anniversaires de naissance, les rappels d’appartenances sociales et généalogiques, l’affirmation de jugements péremptoires de la part des tiers et, pire, de celle des proches, des rêves adolescents… Le tout brassé par un mental qui agite et pérennise des impressions et des mémoires dont on sait les défaillances. La personnalisation, troisième degré de l’identification est atteinte.
    C’est sur ces fondations friables et somme toute fictionnelles, que se construit le Soi. Cette conviction que vous avez d’être ‘’Vous’’, tout au long de l’existence et malgré les changements incessants.
    La parole du Sage Sri Nisargadatta Marhaj (BSI), représentative de celle de tous les ‘’Éveillés Vivants’’ au travers des siècles aura des chances de devenir réalité pour ceux qui en prendront conscience.
    Marhaj : ‘’En tant que personne […] vous êtes une calamité et une gêne dont il faut se débarrasser. En fait le but est de vous éliminer dans la conscience’’.
    Visiteur : Si je suis éliminé que restera-t-il !?
    Marhaj : ‘’Rien ne restera, tout restera. La sensation d’identité demeurera, mais il n’y aura plus d’identification à un corps en particulier. L’Être, l’éveil, l’amour brilleront de toute leur splendeur’’.
    …Une promesse d’apaisement pour une Humanité prise dans un cyclone dévastateur. Pour peu que ceux qui aspirent à en bénéficier gardent le regard intérieur fixé sur le calme des profondeurs originelles, en même temps que de contempler et s’extasier sur le bouillonnement du torrent de l’existence. Et pour s’apercevoir finalement que le Monde n’est que notre projection duale alors que nous sommes issus d’un Infini inconnaissable.

    ***

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