L’histoire globale en revues

Le blog histoire globale s’apprête à souffler sa première bougie. Eh oui, cet espace, ouvert à tous ceux qui pensent qu’il est possible de concevoir une world/global history en français dans le texte, a déjà produit 51 articles hebdomadaires.

C’est à un rapide survol des gondoles des kiosques à journaux métropolitains que nous allons vous convier cette semaine pour ce dernier billet de 2010. À une exploration, sans prétention à l’exhaustivité, de titres de presse qui ont cette année consacré des dossiers à des thèmes proches de ceux qui nourrissent nos chroniques hebdomadaires.

« L’atlas des mondialisations », Le Monde/La Vie, N° 4, fin 2010, 186 p., 12 euros.

« 5 000 ans d’histoire, 200 cartes », proclame la couverture. Tournons la page… L’édito nous annonce que l’on va ici évoquer les « Mondialisations au pluriel ». Nous serions persuadés de vivre un phénomène totalement inédit, quand Mc Donald écoule ses produits à deux pas de la Cité interdite de Pékin ? Parler de « la » mondialisation, celle que nous vivons aujourd’hui, ce serait faire abstraction d’un phénomène permanent dans l’histoire.

À l’appui de cette profession de foi programmatique, nous retrouverons dans les pages qui suivent des figures connues de notre blog, la sociologue américaine Saskia Sassen, les historiens Philippe Beaujard et Patrick Boucheron, le géohistorien Christian Grataloup… Et beaucoup d’autres, comme l’anthropologue Pascal Picq – pour lequel la mondialisation a commencé avec l’expansion planétaire d’Homo sapiens – ou le géostratège Gérard Chaliand – qui la voit inaugurée, pour sa part, avec les conquêtes musulmanes… Au-delà de ces détails, ce numéro nous offre à la fois un beau résumé des thèmes de l’histoire mondiale vue de France et une mine de réflexions.

Rassurons enfin ceux qui craindraient de voir se dissoudre l’usage du terme mondialisation dans un pluriel de mauvais aloi : la moitié de ce hors-série est très classiquement consacrée à la mondialisation contemporaine, analysée sous des angles pluridisciplinaires.

« Un monde au pluriel », Esprit, N° 368, octobre 2010, dossier de 75 p., numéro de 206 p., 24 euros.

2010 a été le théâtre d’un changement majeur : la Chine est officiellement devenue la deuxième économie mondiale. Cette année a vu aussi les suites de la crise, que l’on dit en Occident des subprimes – en Asie, nous apprend Esprit, on préfère parler de la « crise atlantique », histoire de prendre une revanche sémantique sur la décennie passée à écluser les effets de la précédente crise, dite « asiatique ».

D’une crise à l’autre, donc, le monde a commencé à basculer – ou plutôt à « se rééquilibrer ». La recherche aussi, avec la montée en puissance des universités indiennes et chinoises dans la production académique. En témoigne un énergique article de Kishore Mahbubani, politologue à l’université de Singapour, qui analyse les « Regards asiatiques sur la gouvernance globale ». Ce texte s’ouvre sur la phrase suivante : « Nous entrons dans une nouvelle ère de l’histoire mondiale, marquée par deux caractéristiques majeures. La première est que nous allons voir la fin de la domination occidentale sur l’histoire mondiale (…). La seconde est que nous allons assister au retour de l’Asie. » Car « Les économies asiatiques croissent à une vitesse incroyable ». Et de se gausser de ces économistes occidentaux qui estiment que l’Asie connaît aujourd’hui un équivalent à retardement de la révolution industrielle : « À l’époque, ces populations [occidentales] ne connurent qu’une augmentation [de leurs acquis économiques] de 50 % à l’échelle d’une vie humaine. Aujourd’hui, sur une échelle équivalente, les populations asiatiques connaissent une augmentation de 10 000 %. »

D’autres articles suivent, dont un du sémiologue Jean Molino. Critiquant sévèrement l’ouvrage de Daniel Cohen La Prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie (Albin Michel, 2009) pour sa prétention à rédiger une histoire économique mondiale paradoxalement consacrée à l’hégémonie de la seule Europe, il plaide pour que l’histoire ose enfin « Sortir du regard européen ».

« La grande histoire du capitalisme », Sciences Humaines, Hors-série spécial, n° 11, mai-juin 2010, 86 p., 8,50 euros.

Coordonné par Xavier de la Vega, cet hors-série revisite l’histoire du capitalisme à la lumière des travaux récents. De multiples contributions dévident, par touches successives, la construction chronologique du capitalisme. L’élaboration simultanée de ses cadres initiaux en Europe et en Asie, son essor planétaire à la faveur de l’hégémonie européenne, sa redéfinition dans l’après-Seconde Guerre mondiale et les incertitudes soulevées aujourd’hui par la finance globalisée sont passés en revue. Les contributions de chercheurs d’horizons variés, tels les Japonais Shigeru Akita et Kaoru Sugihara, donnent à ce numéro une ampleur de vue mondiale, à l’échelle de son sujet.

« Migrations et transformations des paysages religieux », Autrepart. Revue de sciences sociales au Sud, N° 56, fin 2010, Presses de Sciences Po/IRD, 272 p., 25 euros.

Quelle jolie illustration de couverture : debout sur son crocodile, la déesse hindoue Ganga (incarnation du fleuve sacré) surplombe une étendue lacustre dont on devine qu’elle est indienne… Perdu, la photo a été prise à l’île Maurice. À la faveur de l’essor des migrations, les religions s’expatrient aujourd’hui partout sur la planète. Le phénomène n’est pas nouveau, mais la mondialisation actuelle l’a accéléré dans des proportions jamais vues, dont témoignent les articles constituant ce numéro. Cette belle ethnographie des imaginaires transnationaux nous montre comment les migrants voyagent avec leur religion, l’ancrent dans un territoire d’accueil, au besoin la recomposent pour mieux s’inventer une tradition et légitimer leur nouvelle identité, hybride – ancienne religion / nouvelle appartenance nationale.

« Les âges d’or oubliés », Enjeux/Les Échos, Dossier spécial histoire, juillet-août 2010, 38 p., supplément au quotidien des 2 et 3 juillet 2010.

« D’autres civilisations que la nôtre ont connu des périodes de modernisation, d’innovations et de prospérité. Bien avant nous. » Cette phrase, en sous-titre de la couverture, est inspirée d’un entretien avec Philippe Norel (initiateur de ce blog), entretien qui ouvre ce dossier et dans lequel l’intéressé donne sa définition de la – et des – mondialisation(s). Suit une série de brefs articles faisant un tour du monde de l’apogée de certaines civilisations.

L’Histoire

« Méditerranée. Guerre et paix depuis 5000 ans », Les Collections, n° 47, avril 2010, 98 p., 6,80 euros.

« Comment meurent les empires. D’Alexandre aux Habsbourgs », Les Collections, n° 48, juillet 2010, 98 p., 6,80 euros.

« La fin des empires coloniaux. De Jefferson à Mandela », Les Collections, n° 49, octobre 2010, 98 p., 6,80 euros.

Trois excellents numéros thématiques, sollicitant des chercheurs reconnus.

Les Cahiers de Science & Vie

« Rome. Comment tout a commencé », N° 115, février-mars 2010, 114 p., 5,95 euros.

« Mésopotamie. De Sumer à Babylone, le berceau de notre civilisation », N° 116, avril-mai 2010, 114 p., 5,95 euros.

« Les origines des langues. Comment elles naissent, comment elles meurent », N° 118, août-septembre 2010, 114 p., 5,95 euros.

« Versailles. Le pouvoir et la science », N° 119, octobre-novembre 2010, 114 p., 5,95 euros.

« La ville au Moyen Âge. Le grand réveil du monde urbain », N° 120, décembre 2010-janvier 2011, 114 p., 5,95 euros.

Un magazine d’excellente facture, qui aborde en profondeur nombre de thèmes de l’histoire mondiale.

« Histoire de l’Afrique ancienne. 8e-16e siècle », Documentation photographique, N° 8075, mai-juin 2010, 64 p., 11 euros.

Cette excellente revue a pour objectif de fournir des supports de cours aux enseignants du secondaire. On ne peut que se féliciter du présent choix éditorial, et souligner la nécessité de ce numéro dirigé par Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien : oui, l’Afrique a, bien évidemment, une histoire, quoi qu’en disent certains.

« Histoire critique du 20e siècle », Monde diplomatique, Hors-série Atlas Histoire, n° 4, 2010, 98 p., 8,50 euros.

L’histoire est écrite par les vainqueurs. En septembre 1944, rapporte Serge Halimi, un sondage réalisé auprès de Parisiens demandait quel pays avait le plus contribué à la victoire sur les nazis. Verdict, l’Union soviétique, 61 % ; les États-Unis, 29 %. Soixante ans plus tard, même lieu, même question : Les États-Unis, 58 % ; L’Union soviétique, 20 %. Hollywood était passé par là, grignotant la cote de l’armée rouge, et l’effondrement du bloc soviétique avait fait le reste.

C’est apparemment avec l’ambition d’écrire une histoire expurgée de faux souvenirs qu’a été conçu ce numéro. Il est plutôt réussi dans l’ensemble, si l’on retient que l’ouvrage se présente davantage comme une initiation à l’histoire que comme une recherche académique. Les spécialistes, pour leur part, renâcleront devant certaines affirmations par trop catégoriques.

« Chiisme. Spécificités, revendications, réformes », Moyen-Orient, N° 6, juin-juillet 2010, dossier de 40 p., numéro de 98 p., 10,95 euros.

Cette revue consacre un éclairant et pédagogique dossier à l’islam chi’ite réformateur, phénomène transfrontalier mal connu en Occident. L’étiquette regroupe un ensemble de penseurs et de militants chi’ites luttant pour l’établissement d’un État démocratique dans une société musulmane. On imagine volontiers que les convulsions politiques (démocrates contre théocrates) qui agitent aujourd’hui l’Iran restent confinées au monde perse. Rien de plus faux, car le chi’isme est une religion de réseaux, elle repose sur des allégeances ignorant les frontières. En matière religieuse, un fidèle résidant en Arabie Saoudite suit généralement les directives d’un maître (marja) qu’il s’est choisi en Iran. Suivant également cette logique réticulaire, la pensée réformatrice chi’ite est née au 19e siècle dans la ville sainte de Nadjaf (Irak) avant d’être relayée par des philosophes iraniens (Abdolkarim Soroush, Mohsen Kadivar et Hasan Yousefi Eshkevari)… Aujourd’hui, l’enjeu politique que constitue ce mouvement est un des facteurs-clés du règlement des conflits et du partage du pouvoir politique, que ce soit dans des pays où les chi’ites sont majoritaires (Irak, et dans une moindre mesure Liban) ou minoritaires (comme en Arabie Saoudite).